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›› Economie

Au-delà des confinements, l’exigence de vivre et la réforme du schéma de développement

Dernière nouvelle : Le 1er juin, Pékin a commencé à alléger les mesures de restriction. A Shanghai, les résidents ont afflué dans les rues pour goûter la première sensation de liberté depuis le confinement total de mars.

Mais les mesures draconiennes ont suscité une colère largement partagée, laissant certaines personnes confinées à la maison sans emploi et d’autres luttant pour maintenir leurs entreprises à flot. Les pénuries alimentaires et l’accès limité aux soins médicaux ont aggravé l’indignation, qui s’est souvent propagée sur les réseaux sociaux malgré les efforts du gouvernement pour présenter la fermeture comme ordonnée et bien gérée.

Le 16 mai, un responsable de la municipalité de Shanghai annonçait que la ville serait à nouveau ouverte à ses activités industrielles, commerciales et portuaires à compter du 1er juin. Compte-tenu des tensions existantes entre la direction politique du pays et la ville accusée d’avoir tardé à mettre en œuvre les restrictions liées à la stratégie de « zéro-Covid », on peut faire l’hypothèse que, cette fois, la déclaration publique de reprise des activités a été concertée avec Pékin.

Si l’hypothèse est exacte, elle est le signe d’une prise de conscience publique des dégâts causés à l’économie par la stratégie d’éradication totale du virus. Alors que la croissance du premier trimestre est tombée à +4,8%, et que les prévisions officielles pour l’année 2022 ont déjà été réduites deux fois par le FMI à +5,6% en octobre 2021, puis à +4,4% en avril 2022 (en baisse depuis Janvier 2022 où elles étaient à 4,8%), le mois dernier, les ventes de détail ont baissé de 11,1% et la production industrielle de 4,6%.

Cette dernière était tirée vers le bas par une sévère contraction des marchés de l’automobile et des équipements industriels, contraints par la montée des coûts et la faiblesse de la demande. Les perspectives du marché automobile sont les plus sombres. Avec une chute spectaculaire de 41,1% par rapport à 2021, l’effondrement souligné par l’Association des automobilistes est d’autant plus préoccupant que le secteur est à l’origine de près de 17% des emplois et 10% des ventes de détail.

Un autre secteur menacé est l’immobilier qui compte pour 15% du PNB (25% si on y ajoute la construction et la production industrielle des matériaux).

Déjà sous la pression d’une forte crise de liquidités (cf. notre article : « Evergrande », le spectre d’un effet domino) marquée par l’endettement excessif de la plupart des promoteurs, il encaisse de plein fouet le sévère choc de la baisse de 53% du marché des appartements neufs. (statistiques du 31 mars de l’Association des professionnels de l’immobilier).

Dans 31 des plus grandes villes, le taux de chômage a atteint 6,7% en avril. Si on se souvient que la statistique ne tient pas compte du chômage des migrants, il est probable que, dans certaines régions de l’Est, les sans-emplois représentent plus de 8% de la main d’œuvre.

Dans une note récente, Ting Lu, économiste en chef pour la Chine chez Nomura, souligne que « malgré la baisse considérable du nombre de cas de Covid depuis le pic de la mi-avril, la levée des confinements est toujours très lente, en partie à cause de la prudence des responsables locaux ». Il en déduit que « les verrouillages auront encore un impact sévère sur la production en mai et qu’un redressement rapide est presque impossible. »

Carlos Casanova, économiste pour l’Asie à l’Union Bancaire Privée suisse, estime que la priorité d’élimination totale des infections Covid adoptée par le président Xi Jinping, plaçant des dizaines de villes et des centaines de millions de personnes à travers la Chine en verrouillage total ou partiel, devrait avoir un sérieux impact sur les chaînes d’approvisionnement mondiales.

Récemment le Bureau National des Statistiques chinois a publié un communiqué qui se voulait à la fois réaliste sur la situation actuelle et confiant à moyen terme.
« L’environnement international de plus en plus sombre et complexe et le choc plus grand de la pandémie de Covid-19 chez nous ont pris de court nos prévisions et la pression à la baisse sur l’économie s’est accentuée ». Pour autant, optimiste, la fin du communiqué précisait que l’impact de la Covid était « temporaire » et que l’économie « devrait se stabiliser et se redresser ». C’est évidemment probable.

Mais la crise a mis à jour quelques dysfonctionnements structurels graves touchant au schéma de développement arrivé au bout de sa logique. Une analyse détaillée et sans détours des blocages et des perspectives de réformes est proposée par Michael Pettis, professeur de finance à la Guanghua School of Management de l’Université de Pékin. Elle est en ligne sur le site de la Carnegie Edowment for International Peace.

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Analyse de l’essoufflement du schéma de croissance.

En résumé, pour Michael Pettis, Pékin tente à la fois de réduire l’excès d’investissements non productifs dans l’infrastructure et l’immobilier et de corriger l’habitude de fixer des taux de croissance dont la valeur préétablie est un signal politique, mais n’a aucun rapport avec l’état réel de l’économie.

En revanche, les mesures plus ou moins efficaces prises par les pouvoirs publics pour tenir les objectifs affichés sont révélateurs des efforts qu’ils sont prêts à consentir – y compris un taux d’endettement excessif - pour perpétuer un schéma de développement arrivé au bout de sa logique, mais que, pour des raisons politiques, ils tardent à réformer.

En bref, tant que l’augmentation des investissements en actifs fixes continuera d’être le principal levier de Pékin pour maintenir des taux de croissance politiquement souhaitables bien au-dessus de 2 à 3%, le fardeau de la dette interne, résultat mécanique des relances budgétaires, ne fera que s’alourdir.

Au passage Michael Pettis rappelle que contrairement aux idées reçues, une dette publique reposant essentiellement sur l’épargne interne, n’est pas moins dangereuse que celle liée à des emprunts extérieurs.

A ce propos, il souligne à titre d’exemple, que les flambées de la dette américaine dans les années 1920 et celle de la dette japonaise de 1970 à 1980 - deux pays avec des excédents courants persistants, une épargne intérieure élevée et aucune dette extérieure - se sont avérées les plus grandes calamités liées à la dette au XXe siècle.

En réalité, une augmentation de la dette, corolaire d’une expansion de la demande au regard de l’offre et génératrice d’inflation, ne peut être corrigée que par des transferts implicites ou explicites de ressources financières qui, à leur tour, sapent toujours la croissance économique, que la dette soit financée à l’intérieur ou à l’extérieur.

Réformer le schéma économique. Une exigence et des obstacles.

Les décideurs et responsables économiques chinois reconnaissent de plus en plus que l’actuel modèle de développement a atteint ses limites ; ils savent aussi que l’ère des croissances rapides tire à sa fin et donnent l’impression de vouloir maintenir le cap de la rigueur. Notamment dans l’immobilier.

Pour l’instant, le Président Xi Jinping a compris l’enjeu du prix exorbitant des logements qui grèvent le budget des ménages, handicape les efforts publics pour relancer la natalité et met en danger tout l’équilibre social de la politique du « troisième âge », faisant porter le poids financier de la charge des aînés sur les enfants uniques que le coût des logements rend insupportable.

Lire : Urbanisation, mutations sociales et défaillances du lien filial.

Contrairement aux campagnes précédentes qui avaient tendance à réduire les contraintes dès que la croissance commençait à faiblir, le Président semble déterminé à poursuivre la mise au pas du secteur immobilier commencée à l’été 2020 et à canaliser les ressources vers les investissements plus productifs de la production industrielle et du secteur des hautes technologies.

La réalité du réajustement de l’allocation de ressources se lit dans les chiffres. En juin 2021, les encours de crédits à moyen et long terme du secteur manufacturier avaient augmenté de 41,6% sur un an. Déjà en 2020, on les avait vus bondir de +24,7% par rapport à 2019. Dans le même temps, selon les données de la banque centrale, les encours de crédits du secteur immobilier ont baissé de 13,1% en 2019 et de 9,5% en juin 2021.

Mais l’inquiétude est palpable.

Liu He, membre du Bureau Politique responsable de l’économie met en garde contre les risques financiers, tandis que Guo Shuqing, président de la Commission de régulation bancaire sonne l’alarme en qualifiant le secteur immobilier de « Rhinocéros gris 灰犀牛 Hui Xiniu », dont l’effondrement aurait un impact direct sur les finances locales et pourrait produire une instabilité sociale.

Face aux risques, des voix plus mesurées se font entendre. Zong Liang, chercheur à la Bank of China prône la prudence. « Nous devrions donner la priorité à la stabilité du secteur immobilier. S’il est vrai que nous ne voulons pas voir les prix de l’immobilier augmenter rapidement, il ne serait pas non plus souhaitable que de nombreux promoteurs immobiliers fassent faillite ». Du coup les pouvoirs publics mettent en place des mesures correctives pour assouplir la rigueur.

Depuis mars 2022, suite au ralentissement du marché immobilier, des banques de plus une centaine de villes ont en moyenne abaissé les taux hypothécaires de 40 points. La confiance des investisseurs dans le secteur semble s’améliorer. Alors que les volumes et les prix des obligations ont augmenté ces dernières semaines, Ils sont en partie stimulés par la promesse du gouvernement de soutenir le secteur et par l’assouplissement des politiques de rigueur.

Enfin, tous les analystes soulignent que l’accent mis par Xi Jinping sur le fait que « les maisons sont faites pour y vivre, pas pour spéculer - 房子是用来住的、不是用来炒的 » (Xi Jinping, le 14 décembre 2016, lors d’une session de la conférence économique centrale) continuera à freiner le marché immobilier qui pourrait ne pas reprendre sa forte croissance avant longtemps.

Cette réalité pourrait être l’indice d’un premier succès dans la difficile tâche de réduire la part des investissements non productifs dans le schéma économique chinois.

 

 

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