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C.C.Eyes only. Pour les Conseillers du Commerce Extérieur confinés à Shanghai. Chapitre III

Rémie Gedoie (pseudonyme), contributeur régulier de QC, sous plusieurs identités (une autre est Louis Montalte) est aussi Conseiller du Commerce Extérieur (CCE) dont l’expérience en Chine en fait depuis trente ans un commentateur critique écouté de l’action économique de la France en Chine.

QC publie sous sa plume iconoclaste souvent râpeuse et crue, un feuilleton - fiction dédié à ses amis CCE sévèrement confinés à Shanghai par les effets de la politique de zéro-Covid mise en œuvre par le gouvernement chinois.

Les péripéties aventureuses des héros Français et Chinois confrontés à la puissante bureaucratie de l’appareil de sécurité sont aussi l’occasion de commentaires éclairés sur le système politique et la société, par ce fin connaisseur de la Chine.

En décembre 2019, après la visite officielle du Président Macron à Pékin du 3 au 6 novembre 2019 (Visite d’État en Chine), il avait signé un article sur QC stigmatisant la survivance anachronique des aides françaises à la Chine dans la cadre des actions de l’AFD (lire : Mais que fait donc l’AFD en chine ?)

La Rédaction.


Ce petit polar est dédié à mes amis CCE de Chine pour qu’ils sachent qu’ils ne sont pas seuls face au COVID et dans les temps difficiles qu’ils traversent.

La FIPEP, Fédération Internationale Pour l’Extermination des Pandas, est et sera toujours, de tout coeur avec eux dans cette épreuve...

Un merci à Michel LABIE et à François SASTOURNÉ qui ont accepté d’émender et de corriger mon texte, avant sa parution et à Bruno Gensburger pour la photo de couverture.

AVERTISSEMENT

Toute ressemblance avec des CCE existants ne peut être qu’amicalement fortuite. Seuls les esprits bistournés et cauteleux verront dans les noms donnés aux personnages de cette nouvelle, des homologies douteuses ou des rapprochements inconsidérés avec des personnes de leur connaissance...

Chapitre 3

L’ambassade de France en Chine ressemble maintenant à une ambassade, constatait Grodègue, en se remémorant l’ancienne représentation diplomatique qui, à l’époque, se rapprochait plus d’une vielle ferme retapée en maison d’hôtes que d’une représentation diplomatique.

D’accord, on avait mis plus vingt ans pour construire cette nouvelle ambassade et dépensé vingt fois le budget initialement prévu pour en arriver là… Mais ça, c’était le chic du Quai d’Orsay…

Danjou lui répétait souvent que si on demandait au Ministère des Affaires Étrangères d’organiser des chasses à courre, il remplaceraient les cors de chasse par un orchestre symphonique et les cavaliers par des chars d’assaut, pour finir par ramener, triomphalement, une musaraigne au lieu du sanglier qu’il avait pris en chasse…

Mais il ne fallait pas en vouloir à Danjou, il était trop gentil ; il avait toujours eu tendance à minimiser les incompétences de ce Ministère…

 Bon, là, au moins, ils avaient construit une belle maison d’arrêt…
- Il faut dire qu’il était stoppé, devant les hauts grillages qui entouraient l’édifice, par trois petits hommes verts masqués qui lui en refusaient énergiquement l’entrée…

Pour être véritablement honnête, il faut également préciser que Grodègue s’ingéniait à présenter sa carte de police, barrée de tricolore, plutôt que son passeport, ce qui n’était pas vraiment fait pour arranger les choses…

Grodègue rigolait tout seul en pensant aux remontrances de son copain Weng s’il avait pu être présent à ses côtés… « oui, je t’ai conseillé de ne pas te cacher mais ce n’est pas une raison pour faire un scandale à la porte de l’ambassade ! »

 Il se marrait doucement en imaginant que l’incident mineur serait reporté « en haut lieu » où l’on ne manquerait pas de se questionner sur le pourquoi du pourquoi du pourquoi mais, en tout état de cause, il trouvait que c’était un bon moyen pour s’assurer que tout le monde avait bien noté qu’il avait commencé son enquête par une visite à ses autorités…

Un gendarme de la sécurité, accompagné d’un agent chinois de l’ambassade, arrivèrent finalement à sa rescousse. Après de brefs pourparlers avec les gardes de sécurité de la police militaire chinoise, ils réussirent à le faire entrée dans le sas de sécurité qui permettait l’entrée dans l’ambassade…

 On vous attendait mais, dehors, les gardes chinois sont habitués à ce que l’on leur présente le passeport, lui expliqua, un peu gêné, le gendarme de service…

 Je sais… C’est pourquoi j’ai montré ma carte de police, lui répondit Grodègue, avec un clin d’oeil et une tape amicale sur l’épaule.

Il fit copieusement sonner le portique de sécurité mais personne ne lui demanda quoi que ce soit…

 Je vous emmène directement voir l’ambassadeur… Il vous attend dans la chambre sourde…

La chambre sourde était théoriquement le seul endroit de l’ambassade où nos amis chinois ne pouvaient pas entendre les conversations… C’était une pièce spécialement conçue pour que les conversations restent confidentielles…

 Mais, vu que la plupart des décisions étaient prises ou commentées ensuite, dans les bureaux et dans les couloirs, avant ou après s’être réuni en secret, cela ne changeait pas grand chose, à la confidentialité… Il déposa son téléphone portable, dans le casier prévu à cet effet, avant de pénétrer dans la pièce.

Il existe des gens qui se plaignent régulièrement de l’agressivité des ondes électroniques… Là, dans cette chambre close, c’était l’effet psychosomatique contraire… Grodègue se sentait oppressé comme s’il ne recevait plus sa dose normale de radiations…
Ils étaient quatre qui se levèrent à son arrivée. L’ambassadeur vint à sa rencontre et se présenta :

 Laurent Dequide, ambassadeur…
- Puis il introduisit les autres participants à la rencontre :
- Jièmheffe, notre ministre-conseiller financier et commercial.
- Il était au côté de l’ambassadeur. Ils échangèrent une poignée de main franche et sympathique

Les deux autres se trouvaient de l’autre côté de la grande table de réunion qui occupait tout le centre de la pièce.

 Le colonel Moutarde, que vous connaissez sûrement ; c’est lui qui est en charge du DCIS, le service de la sécurité intérieure de l’ambassade.
- Le colonel le gratifia d’un signe amicale de la main.
- Et Etienne Dinjar, un de mes proches conseillers… Ce dernier se contenta d’un clin d’oeil…

Grodègue savait que sa venue avait été annoncée ; il opta donc pour une présentation succincte :

 Grodègue, commissaire divisionnaire à la retraite et actuellement chargé de mission plénipotentiaire, si vous me permettez ce jargon diplomatique… Puis, à l’invitation de Dequide, il prit place en bout de table, Dequide et Jièmheffe, à sa gauche, le dos à la porte d’entrée et Moutarde et Dinjar, face à eux, à sa droite.

 Nous sommes au courant, reprit l’ambassadeur, nous avons été avertis de votre venue et de l’intérêt tout particulier que nos autorités attachent à votre déplacement… Par contre, je ne vous cacherai pas que je trouve votre déplacement un peu disproportionné… Nous avons envoyé plusieurs télégrammes pour indiquer que les éléments dont nous disposons actuellement ne laissaient rien paraître d’anormal ou de suspicieux.

La famille et les amis proches de Monsieur Guy Yaume, qui est, par ailleurs, honorablement connu de nos services, sont formels ; il est actuellement en déplacement, dans la province du Xinjiang, dans la ville de Karamay. Il est confiné, dans un hôtel local… L’hôtel Yitel Trend, précisa-t-il après avoir consulté ses notes et il a confirmé à Jièmheffe, qui le connait très bien et qui a pu le joindre au téléphone, que tout allait pour le mieux pour lui…

Puis, se tournant vers le colonel Moutarde, il l’encouragea d’un léger coup de tête à prendre la parole.

 L !ambassadeur vient de vous communiquer l’essentiel des informations que nous avons récoltées pour le moment… Vous êtes bien placé pour savoir que nous sommes un peu en froid avec nos collègues de la police chinoise, ces derniers temps… Les relations avec eux se sont quelque peu tendues depuis que nous avons accordé l’asile politique en France, à Grace Meng, l’épouse de Meng Hongwei, l’ancien directeur d’Interpol à Lyon… Nous gardons néanmoins quelques contacts officieux avec eux mais avec en plus, la préparation des Jeux Olympiques et les tensions dues au COVID nous n’étions guère optimistes quant à une réaction de leur part… Nous avons un peu surpris, pour le coup, ils ont été réceptifs et plutôt rapides…

Ils nous ont très vite fait savoir que Monsieur Guy Yaume était en bonne santé mais qu’il était retenu, pour des raisons sanitaires, en confinement, à Karamay, dans le Xinjiang, à l’hôtel Yi Trend. Nous avons immédiatement contacté l’épouse de Monsieur Yaume, qui nous a confirmé cette information et nous avons téléphoné à l’hôtel Yi Trend pour bien vérifier que Monsieur Guy Yaume était bien actuellement dans leur hôtel ; chambre 888, nous ont-ils alors précisé, dans l’aile réservée au confinement. Pour plus de sûreté, nous avons demandé à notre ministre-conseiller commercial ici présent, qui, comme vous l’a précisé l’ambassadeur, connait très bien Monsieur Yaume qui est le président des CCE, ici en Chine, de prendre contact directement avec lui, en vue de s’assurer qu’il s’agissait bien de la bonne personne…

Jièmheffe acquiesça de la tête et prit la parole :

 Le portable de Yaume ne répondant plus… j’ai appris plus tard, de la bouche de Yaume lui- même, que son chargeur de batterie était tombé en panne… J’ai donc appelé directement l’hôtel Yi Trend, qui a transféré mon appel jusqu’à sa chambre et je peux vous assurer que c’est bien avec Guy Yaume que j’ai pu m’entretenir et qu’il m’a confirmé de vive voix, qu’il allait pour le mieux et qu’il n’y avait nulle raison de s’inquiéter à son sujet… Il m’a eu l’air serein et à aucun moment je n’ai eu l’impression d’une quelconque inquiétude…

 Nous avons communiqué toutes ces informations à Paris. Vous conviendrez donc, reprit l’ambassadeur, que nous sommes un peu étonnés par votre venue et par votre insistance à vouloir qualifier cette absence, en présomption de disparition…

 Je vous remercie pour toutes ces informations et pour tout le travail que vous avez accompli pour éclaircir la situation… En fait, je vais vous faire part de ce qui me chagrine encore mais avant tout, il me faut vous rappeler, même si cela va de soi et sans vouloir pour rien au monde vous offenser, que, pour les besoins de l’enquête, tout ce qui est dit dans cette pièce doit rester strictement confidentiel…

Grodègue sentit qu’il avait bien fait de rajouter qu’il ne voulait surtout pas les vexer, car ils l’étaient tous un peu quand même… Mettre ainsi, publiquement, en doute leur probité…

 Voilà… Le problème, c’est que je reviens de Karamay… L’hôtel Yi Trend n’est pas habilité à recevoir des personnes confinées et il n’y a pas de Guy Yaume ni même d’autres français enregistrés dans cet hôtel… Et pour couronner le tout, la chambre 888 n’existe pas…

 On aurait pu entendre une mouche voler…

C’est l’ambassadeur qui rompit à nouveau le silence :

 Quand j’ai pris mon poste, je suis très vite arrivé à la conclusion que les chinois étaient capables de tout… Maintenant, je vois que je me suis trompé ; ils ne sont pas seulement capables de tout, ils sont aussi capables du pire…

Moutarde, un peu gêné, reprit la parole :

 Désolé…Nous aurions dû pousser un peu plus nos investigation…Mais tous les éléments nous poussaient à écarter la piste d’une disparition et les dénégations de Guy Yaume lui-même, ainsi que celles de son épouse nous ont définitivement convaincus… Rien ne nous laissait imaginer que nos collègues chinois, ou lui, ou sa femme elle-même nous racontaient des craques…

 Ne soyez pas désolés… Vous avez fait tout ce que vous deviez faire… Vous pensez bien que ce n’est pas parce que je suis plus intelligent que vous que j’ai vu l’arnaque… Si je suis passé par Karamay, c’est simplement parce qu’on m’a tuyauté, c’est tout…

 Mais, son épouse, pourquoi fait-elle cela ? Et lui-même qui nous a confirmé…

 C’est ce que l’on va essayer de comprendre… Si vous avez un tableau, nous pourrions reprendre les éléments dont nous disposons, point par point…

L’ambassadeur Dequide en profita pour se lever :

 Je vous prie de m’excuser mais je dois vous laisser… J’adorerais pouvoir assister de près à ce qui ressemble de plus en plus à une enquête policière, et ce d’autant plus que je connais également votre présumée victime consentante.

Hélas, comme l’a souligné le colonel Moutarde, il y a un instant, entre le COVID, les J.O. et les tensions internationales, la situation est un peu crispée en ce moment… Cela va de soi, mais , bien entendu, je vous remercie d’avance de me tenir informé des développements de cette affaire et je reste, bien entendu, à votre disposition si vous avez besoin, de mon aide… Jièmheffe, vous me suivez ou souhaitez-vous rester avec ces messieurs ?

 Je suis comme vous, monsieur l’ambassadeur, j’aimerais bien moi aussi participer à cette enquête mais je vois bien que je ne serais pas d’une grande utilité… Je vous suis…

 Nous vous tiendrons informé de l’évolution de notre enquête, dans ses moindres détails, les rassura Grodègue qui ne croyait pas un mot de ce qu’il racontait…

Une fois l’ambassadeur et le ministre-conseiller partis, Grodègue se dirigea vers le tableau sur roulettes que Dinjar venait de tirer.

 Une chose est maintenant à peu près sûre, Yaume a bel et bien disparu ou disons plutôt que nous ne savons pas où il se trouve…Nous sommes donc face à de nombreuses hypothèses : Il a disparu de son plein gré ou contre son gré…

Il divisa le tableau, verticalement, en deux parties…

 Si c’est de son plein gré, pourquoi ? Raisons personnelles, professionnelles, ou autres ?

 Il y a eu des rumeurs de possibles relations avec le projet du laboratoire P4 de Wuhan, suggéra Moutarde… La France a déjà pas mal pâti de son implication dans ce projet… Espérons que la disparition de Yaume n’a rien à voir avec tout ça…

Grodègue se garda bien de révéler qu’il ne croyait plus à cette hypothèse… D’un autre côté, même si Weng avait l’air sincère, il fallait bien admettre que Yaume s’était volatilisé alors qu’il était sous pression de la part de deux agents de la DGSE… Dans ce type d’enquête, les coïncidences étaient rarement fortuites… Cette piste méritait donc d’être creusée… De plus, cela permettait de donner du grain à moudre aux services de l’ambassade et de lui laisser plus de marge de manœuvre…

 Vous avez raison, je crois qu’il faut enquêter dans cette direction même si d’autres possibilités existent… Il serait bien d’essayer de remonter jusqu’à l’origine de ces rumeurs..

 Cela peut également venir de problèmes avec une maffia locale ? Une histoire de cul ?

 Possible mais alors pourquoi la police le couvre ?

 Une histoire à la Peng Shuai, ricana Dinjar, Il s’est peut-être sauté la fille ou la petite-fille d’un très haut dirigeant…

 On a quelque chose qui pourrait étayer cette thèse ? questionna Grodègue intéressé…

 Dans le maigre dossier que l’on a constitué sur lui, j’ai vu qu’il jouait au tennis… Il est peu-être effectivement tombé amoureux de Peng Shuai et cela a pu créer des conflits avec l’un des sept membres du secrétariat permanent… Mais non… Je rigole… Si c’est une histoire de cul, on a rien…

 Côté mauvaises fréquentations qui l’obligeraient à se cacher… ?

 Non… Rien non plus, continua Moutarde ; nous n’avons rien trouvé de malsain sur lui. Apparemment, il ne trempe dans aucun trafic, aucune rumeur de quelconque malversation, ni aucune fréquentation douteuse notoire…

 Bon… Reste l’hypothèse ou Guy Yaume est retenu quelque part, contre son gré… Des suggestions ?

 Bien, déjà, se lança Dinjar, cela pourrait être exactement pour les mêmes raisons que s’il a disparu de son plein gré… Sauf que, dans ce cas là, il n’a pas couru assez vite et les autres sont arrivés avant qu’il n’ait pu prendre la poudre d’escampette…

 Mais, s’il est retenu contre sa volonté, là se pose la question de son entretien téléphonique avec Jièmheffe où il lui disait que tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes… Véritable sérénité ou bien sous la contrainte ?

Moutarde s’était planté devant le tableau et réfléchissait tout haut…

 Il est peut-être à cheval, au milieu, sur la barre verticale…

 Ooups…Ça doit faire mal… Qu’est-ce que tu veux dire par là ?

 Bah… Quelque chose comme à l’insu de son plein gré… A la fois contraint et forcé et à la fois voulu et volontaire… Entre les mensonges des autorités chinoises et les allégations de son épouse d’une part, et d’autre part son coup de téléphone à Jièmheffe pour le rassurer, on doit admettre que notre approche « contre ou de son plein gré » ne semple pas être la plus judicieuse…

 Tu n’as pas tort… Il nous faut de nouveaux éléments pour essayer d’y voir plus clair… Il faut qu’on retourne voir Madame Yaume ; c’est vraisemblablement de ce côté là que l’on pourra en apprendre un peu plus…C’est quand même elle qui nous a mis sur cette fausse piste…

 Sauf que depuis ce matin, elle n’est plus chez elle et elle ne répond plus au téléphone… Nous l’avions contactée pour lui faire signer une sorte de déposition, en vue de notre rencontre… A ce moment-là, nous pensions l’affaire close et on s’était dit que vous aimeriez revenir avec quelques papiers signés pour appuyer vos dires si vous aviez décidé de rentrerez en France…

 Et les gosses… J’ai cru voir qu’ils avaient des gosses ?

 Oui, deux… confirma Moutarde, mais, pour le moment ils sont avec elle. Ils n’étaient pas testés positifs mais ils présentaient quelques symptômes, toux et fièvre, d’après ce qu’elle nous a dit. Cela fait dix jours qu’ils sont absents du lycée. Lorsque je lui ai parlé au bout du fil, j’ai nettement entendu le petit interrompre la conversation… Je pense que la sœur ne devait pas être loin…Du moins, je pensais… A l’époque, je n’avais aucune raison de mettre en doute sa sincérité…
Grodègue rajouta « Gosse ? » sur le trait vertical au milieu du tableau…

 Cela nous fait une incertitude de plus… Nous ne sommes pas sûrs que la sœur est bien à la maison…

 Ni que c’est bien le frère que Moutarde a entendu au bout du fil, surenchérit Dinjar… C’était peut-être le fils du voisin ou celui de la bonne…C’est un peu tiré par les cheveux mais, dans ce poker-menteur, toutes les hypothèses sont permises

 On se croirait dans une partie de Cluedo, soupira Moutarde, impassible…

 Si quelqu’un a enlevé un ou les deux gosses, cela pourrait expliquer tout ce remue-ménage, murmura Grodègue… Au fait, vous avez pu obtenir des renseignements sur un certain Raoul Belon qui est également CCE ?

 Cette demande de renseignement… Elle venait de vous ? Pesta Moutarde… Nous l’avons bien reçue, il y a deux jours… Mais comme personne n’a daigné nous avertir, on n’avait pas compris que c‘était lié à cette affaire… Encore une fois désolé mais nous n’avons pas sorti la grosse artillerie pour cette nouvelle demande d’enquête qui ne nous paraissait pas prioritaire… Tout ce que j’ai vu passer c’est qu’il donne un peu dans la franc-maçonnerie, qu’il est plutôt fort en gueule mais, jusqu’à preuve du contraire, pas bien méchant… Si vous me dites que c’est important, on va continuer à creuser…

 De toute façon, je compte aller le voir prochainement mais, a priori, tout ce que vous pourrez glaner sur lui m’intéresse…

 On peut savoir pourquoi… ? On sentait dans la voix du colonel Moutarde, comme un peu plus qu’une légère irritation…

 On m’a laissé entendre qu’il pourrait avoir eu des fréquentations douteuses, en rapport avec notre affaire… Mais on ne m’en a pas dit beaucoup plus…

 Et ce « On » ? C’est qui ?

 Si je pouvais vous en dire plus sur ma source, croyez bien que je le ferais… C’est un haut fonctionnaire et, dans une certaine mesure, je crois que je peux lui faire confiance… Même si je sais aussi qu’il est capable de me re-fourguer des renseignements frelatés, voire carrément pourris et de me balader moi aussi, si la situation l’exige…

 Désolé, Grodègue… Tiens, c’est la troisième fois que je me désole aujourd’hui… Je ne voulais pas vous bousculer ; je voulais simplement que vous évitiez de nous prendre pour des billes, surtout si on doit travailler ensemble… Votre contact, ce n’est pas un secret de polichinelle mais ce n’est pas non plus une énigme très compliquée pour deviner qui cela peut-être… Il suffit de comparer votre bio au seul dignitaire francophone de votre âge encore plus ou moins actif à la Sécurité d’État, pour comprendre… J’ai comme l’impression désagréable que vous nous baladez presque autant que nos « amis » chinois et que vous prenez un malin plaisir à nous foutre le nez dans la merde que vous nous avez demandé de déterrer en oubliant de nous dire que vous possédiez de nouveaux éléments qui nous auraient permis de comprendre que nous faisions fausse route…

 Écoutez, on ne va pas se chamailler pour savoir qui a la plus grosse… OK vous connaissez ma source mais je suis le seul à pouvoir la gérer… Si je vous avais déballé d’un bloc toutes les infos qu’il m’a refilées, cela vous aurait naturellement influencé et vous ne m’auriez pas rapporté ce que vous aviez découvert de la même façon… Et même, vous n’auriez pas cherché de la même façon… C’est moi qui suis en charge de cette enquête et je suis obligé de naviguer au milieu d’une foule d’informations foireuses le plus souvent contradictoires. J’ai donc besoin que chacun me joue au plus juste, la partition qu’on lui a demandé de chanter… C’est à moi de tenter de faire sortir, une mélodie qui se tienne, de cette cacophonie…

 Encore une fois, ne le prenez pas mal… Cela méritait que l’on se le dise…Je pense que cela va nous permettre de travailler ensemble plus sereinement… Je vais demander immédiatement à mes gars de creuser du côté du P4 et de ce Belon…

 Pas de problème non plus de mon côté… Je suis également ravi de pouvoir travailler avec vous et avec vos services…Je vais essayer d’en savoir plus sur madame Yaume et je vais tenter de rencontrer ce Raoul Belon… Ce sont, a priori, les seules pistes crédibles dont nous disposons actuellement…

Une fois réglés les derniers détails, il prit congé, non sans les avoir remerciés une nouvelle fois pour leur aide précieuse et en se promettant de rester en contact…

 Je suis désolée… Monsieur Belon a reçu un appel urgent de la part de son ami Monsieur Croqueyesse et il s’est vu contraint de partir précipitamment sur Shanghai. Puis-je prendre un message pour lui ?

 La secrétaire frôlait l’âge de la retraite ; rien à voir avec les petites de la photo…
- Il s’est absenté pour longtemps ? Demanda Grodègue.
- Compte tenu du caractère inopiné de ce départ, je ne saurais vous répondre précisément…
- Et sauriez-vous par hasard, dans quel hôtel Monsieur Belon est descendu à Shanghai ?

 Laissez-moi vos coordonnées et je les transmettrai à Monsieur Belon ou bien, je vous contacterai si j’obtiens de ses nouvelles, lui répliqua la secrétaire, avec un sourire aussi ironique que mielleux…

Grodègue ravala une poussée de fiel, ferma les yeux un court instant, le temps de pester intérieurement, et se contenta d’un petit hochement de tête poli, avant de prendre congé avec égard et courtoisie…

Le père Belon commençait fortement à le brouter à jouer ainsi les arlésiennes…

Il avait besoin de se détendre… Il regagna le SOFITEL, près du World Trade Center. La coffee-shop était quasiment vide mais pour plus de tranquillité, il préféra rejoindre sa chambre. Rien ne l’attirait dans son mini-bar ; il appela le room-service et opta pour une tasse de thé vert… La carte en proposait une dizaine dont les prix frôlaient ceux d’un verre de Pétrus ou d’un La Tache dans un 3 étoiles parisien… Il se décida pour un Biluochun, le thé de l’escargot vert du printemps… Tout un programme. Finalement, il commanda également une bière pression… Juste pour faire croire qu’ils étaient deux sur ce coup-là, pour éviter une crise cardiaque au comptable quand il verrait le prix du verre de thé…

 Content de lui, il farfouilla dans son téléphone pour retrouver le numéro de Bruno Cassebourg…

 Bruno ? C’est René…

 René ?

 René Grodègue… Banane ! Pas René Coty… Tu me prends pour OSS 117 !

 Mais où avais-je la tête ! J’avais oublié le son de ta voix alors que cela fait quoi, à peine 5 ans que l’on ne s’est pas parlé… ! Et qu’apprends-je ? Nom d’une pipe ! Tu n’es plus OSS 117 ! Ils t’ont encore dégradé au 118e rang ou peut-être même au 120e… OSS 120… Tu parles d’une décadence… !

 Grodègue ignora l’insolence…

 Danjou t’a contacté ? Tu as pu faire quelque chose ?

Sur le banc, lors de son entrevue avec Danjou, ce dernier lui avait précisé qu !il pouvait s’appuyer sur Cassebourg, en cas de nécessité, puisqu’il accompagnait l’équipe de France2 qui s’en allait commenter la cérémonie d’ouverture des J.O. …

Danjou ne s’était pas trompé ; pour commenter, il avait commenté… Au milieu de plaisanteries bien appuyées, il avait réussi à placer, en guise de clins d’oeil aux initiés, des conditions de travail très ouïgoureuses, l’exposition « dégueulasse » de Harbin et autres joyeusetés qui étaient quasiment passées inaperçues à l’antenne mais qui avaient agréablement réjoui ses groupies… Cassebourg avait même réussi à caser une plaisanterie sur les pandas… Il faut préciser que Cassebourg était un membre dirigeant de la FIPEP, la Fédération Internationale Pour l’Extermination des Pandas…Mais c’était une autre histoire…

Puisque Cassebourg était sur place, autant en profiter… Grodègue lui avait donc demandé, via Danjou, si il pouvait déblayer le terrain en récoltant quelques informations sur Monsieur et Madame Yaume, en attendant son arrivée sur Pékin…

Cassebourg avait travaillé de longues années en Chine et gardait de précieux contacts dans le milieu des expatriés mais également chinois…

 J’ai pu passer quelques coups de fil, par ci par là, mais la moisson n’a pas été très fructueuse, il vaut mieux que je te l’avoue tout de suite… Tu penses bien que, coincé dans ma bulle sanitaire, je n’ai pu rencontré personne…

 Je peux simplement te confirmer que la situation est confuse mais ça, je pense que tu le savais déjà…Comme on m’avait passé le message de ne pas faire de vagues et d’y aller mollo, j’ai concocté une histoire bancale comme quoi j’avais des nouvelles d’un des proches de Guy Yaume mais que je n’arrivais pas à le contacter pour lui communiquer… C’était suffisamment crédible pour que je puisse poser quelques questions sans trop attirer l’attention…

 Quand on évoque une absence bizarre de Yaume, dans son entourage, cela va d’un étonnement plus ou moins candide jusqu’à un embarras constipé… Une chose est sûre, c’est bien du côté des CCE qu’il va te falloir concentrer ton enquête si tu décides de pousser plus en avant tes recherches, parce qu’ailleurs, dans le petit monde des expatriés français à Pékin, à la Chambre de Commerce, par exemple, ou à l’ambassade, je n’ai rencontré que très peu d’échos… Il est assez connu mais personne n’a mentionné une quelconque disparition et encore moins un confinement dans le Xinjiang… Encéphalogramme zéro… Aucune réaction de ces côtés là mais aucune réaction non plus du côté des restaurants français de Pékin qui sont, en temps normal, une bonne source pour tous les potins…

J’ai appelé le Café de la Poste, O’Steak, la Taverne et quelques autres, mais sans grand succès… Par contre, c’était beaucoup plus intéressant du côté des CCE… Il n’y a qu’auprès d’eux et en particulier auprès des membres de leur bureau national, que j’ai rencontré des personnes qui m’ont répondu qu’il était retenu, en quarantaine à Karamay, tous avec la même histoire quasiment au mot près… Cela donnait quand même un peu l’impression d’une leçon bien apprise…

 Il y en a deux qui ont éveillé mon attention parce qu’elles avaient l’air de ne pas trop croire ce qu’elles racontaient ; d’abord, une ancienne copine journaliste qui siège maintenant au bureau des CCE, Caroline Ruateau et une Christine Thousand qui en est devenue la secrétaire générale…

Caroline Ruateau avait remarqué l’absence de Yaume car ils étaient convenus de se rencontrer prochainement au sujet de nouvelles candidatures… Quand elle a cherché à en savoir plus, on lui a servi cette histoire d’un Yaume coincé dans le Xinjiang par une alerte COVID… Non pas que par les temps qui courent, l’histoire ne soit pas plausible… Cela arrive tous les jours et à des tas de gens… Mais, elle ne sait pas vraiment pourquoi, elle n’a pas été convaincue par le ton de ses interlocuteurs qui se bidonnaient comme s’ils voulaient lui jouer une bonne blague…

En plus, elle ne comprends pas pourquoi, même confiné, Yaume ne répond pas à ses appels… Pour couronner le tout, un certain Jean-Michel Pigetot, qui est président d’honneur de leur petite association, l’a appelé de Paris pour la rassurer et pour lui confirmer qu’il fallait circuler parce qu’il n’y avait rien à voir… Cela lui a paru assez bizarre, qu’on l’appelle de Paris pour ça…

Elle en a parlé avec sa copine Christine Thousand, qui n’en savait pas plus qu’elle mais qui avait également des soupçons que quelque chose clochait, parce que normalement, entre le président et la secrétaire générale, ils se parlent au moins une à deux fois par semaine, pour la bonne marche de leur comité CCE…. Elle trouve donc forcément très étrange que Yaume ne l’ait pas contactée au moins pour lui donner de ses nouvelles… Ce n’est pas son genre…

Quand je leur ai demandé qui répandait cette histoire de confinement, toutes les deux m’ont répondu que c’était l’histoire que tout le monde se répétait et qu’il « était difficile de savoir qui l’avait dévoilée en premier mais elles m’ont quand même, discrètement pointé leur petit doigt, en direction d’un certain Jean Rard, un ancien CCE influent qui a pris sa retraite en Chine et en direction d’un ancien patron d’EDF sur place, Hervé Croqueyesse… Du genre, je ne vous en dis pas plus mais passez donc les voir…

 Croqueyesse, ses amis d’EDF l’ont surnommé « le Chinois » mais je ne suis pas sûr que ce soit un compliment chez ceux qui l’appellent comme ça… En tout cas, il est honorablement connu dans la communauté d’affaires en Chine…

 Quant au Jean Rard en question, je le connais bien, il est également en Chine depuis des lustres… Les CCE lui ont donné le titre ronflant de Secrétaire Perpétuel… C’est un peu une mascotte de leur groupe et c’est surtout l’écrivain des comptes-rendus de séance ; il paraît que les CCE se les arrachent dès leur parution parce qu’ils sont généralement très croustillants… Il a une belle plume, m’a précisé Caroline, qui a rougi au téléphone quand je lui ai demandé si c’était bien toujours du stylo dont elle parlait…

Ce Jean Rard habite une petite maison, dans les collines, près de Mutianyu, sous la Grande-Muraille… C’est à une bonne heure de Pékin, ces temps-ci grâce au COVID… Avant la pandémie, ça pouvait monter à deux heures ou plus, à cause du trafic…

Je les aurais bien contactés mais je n’en ai eu ni le temps ni les moyens… Et puis, je n’allais tout de même pas faire tout le boulot à ta place !

 Par contre, ni Ruateau ni Thousand n’ont réagi quand je leur ai parlé de ton Raoul Belon… Elles le connaissent, bien entendu mais elles m’ont paru sincèrement surprises quand j’ai évoqué son nom dans le contexte de l’absence inexpliquée de leur président… Personne n’a évoqué son nom, du moins au niveau de leur bureau national… Lui aussi est honorablement connu et je n’ai recueilli aucune rumeur défavorable le concernant…

Sinon, j’ai gardé le meilleur pour la fin ; j’ai aussi pris sur moi d’appeler André van Dogg… Il siège également dans ce fameux Bureau des CCE en tant que vice-président honoraire…

 Vice-président honoraire… C’est quoi ça encore..? On a déjà un président honoraire, un secrétaire perpétuel… Si je comprends bien, leurs bureaux successifs ne se remplacent pas, ils se superposent…

 Oui, c’est un peu ça… C’est un peu une coutume locale ; ces anciens CCE ont du temps pour eux, toujours beaucoup d’influence et leurs collègues les aiment bien… Au bout du compte, ils font partie des murs…

 Bref, j’ai donc appelé ton André van Dogg et je lui ai raconté ma salade au sujet de Guy Yaume pour lui expliquer les raisons pour lesquelles je cherchais à mettre la main dessus… Il m’a servi la réponse standard, qu’il était en confinement à Karamay… et pendant un bon quart d’heure, il m’a fait l’éloge des J.O. qui étaient vraiment une réussite éclatante et que la Chine était le seul pays qui pouvait organiser de telles prouesses, dans une situation mondiale aussi difficile…

 J’ai profité d’un moment où il reprenait sa respiration pour l’interroger à nouveau sur le silence étourdissant de son président pas honoraire et sur le fait qu’aucun média chinois n’avait parlé d’une alerte COVID dans cette région du Xinjiang…

Et là, il m’a demandé ce que je pensais de la façon sublime avec laquelle la Chine a su gérer cette épidémie du COVID et pendant un nouveau quart d’heure, j’ai dû me taper un cours détaillé sur les avantages d’un système politique chinois certes un peu totalitaire mais qui finalement était apparu plus proche que l’on ne le pensait de son peuple et qui pouvait déplacer des montagnes et triompher d’une pandémie…

 Lorsque j’ai cru avoir à nouveau, l’occasion d’en placer une, je n’avais même pas prononcé le nom de Yaume que j’avais le droit à une critique acerbe de la presse et des médias français, sur leur incapacité à comprendre la Chine, sur leur aveuglement à ne pas voir que c’était ici que se jouait l’avenir du monde et que le 21e siècle était et sera le siècle de la Chine… Je te passe les détails parce que je n’ai pas tout noté mais ça a encore duré une bonne vingtaine de minutes, montre en main…

 Il m’a promené, en tournant comme ça, autour du pot, presqu’une heure… J’ai crû que j’allais craquer…Ton André van Dogg, c’est un homard !

 Quoi, un homard ?

 Je voulais simplement te dire qu’il m’a tué avec ses arguments à la mords-moi-le-nœud pour défendre à tout prix la Chine… « Homard m’a tuer » ! Mais je vois que cela ne te fait pas rire…

 « Homard m’a tuer »… Tu ne t’améliores vraiment pas avec l’âge… C’est désolant… Tu m’as dit que tu avais gardé le meilleur pour la fin… Pourtant, ce que tu as récolté en essayant de lui tirer les vers du nez, ce n’est pas très reluisant…

 Tu manques d’humour… En vérité, c’était pour préparer la transition… Il n’y a pas eu que du homard au menu… Il m’a également servi de la langouste…

 « Langouste m’a tuer » ça fait encore moins rire… Qu’est-ce qu’il t’a dit d’autre qui sorte de l’ordinaire ?

 Lui, rien… Mais, attends la fin… Quand j’t’aurais dit… Tu comprendras…

 Oh ! Mouloudji, t’accouches !

 Tu ne vas pas me croire… Il n’y avait pas dix minutes que j’avais raccroché avec Dogg que ça a sonné à la porte de ma chambre…Je te le redis ; tu ne vas pas me croire…

 Je me suis retrouvé nez à nez avec une espèce de patineuse sur glace en latex, belle comme la Reine des Neiges… Elle m’a dit qu’elle était là pour me donner un sérieux avertissement et en moins de temps qu’il n’en faut pour compter jusqu’à 10…

 Tu sais compter jusqu’à 10, toi… ? Objecta Grodègue qui subodorait déjà la suite de l’histoire…

 Cesse de m’interrompre, Mécréant ! Donc, en moins temps qu’il ne faut pour compter jusqu’à 12…

 Pourquoi 12 maintenant… ?

 Parce que, ça t’apprendras à me couper la parole, à tout bout de champs ! En un rien de temps donc, j’étais attaché aux barreaux de mon lit et ce n’était plus un nez-à-nez mais un langue-à- langue et une moule-à-b…

 Cassebourg ! Un peu de tenue ! Abrège… : Elle avait un tatouage Ying et Yang, en haut de la cuisse ?

 Quoi ! Vieux pervers ! Toi aussi, tu es passé par là… ! Et l’hélicoptère ? Elle t’a fait l’hélicoptère… !?

 Le tatouage, avec un coquillage… ?

 Un coquillage ? Non… La seule chose qui ressemblait à un coquillage, j’avais le nez dessus…

 Juste le symbole du Ying et du Yang ?

 Non, il y avait aussi deux petits poissons… Et une toute petite tache de naissance, comme un petit éclat de diamant noir, sur la cuisse d’en face…

 Deux petits poissons… ? Cela pourrait également être un des huit symboles bouddhique et je n’avais pas le grain de beauté, sur l’autre cuisse… J’ai dû rencontrer une de ses sœurs…

 Tu déconnes… Il y en a d’autres… ? Vivement les réunions de famille…
- Et qu’est-ce qu’elle t’a dit ?

 Oups… ! C’est vrai, j’allais oublier… Mais où avais-je la tête ?

 Ça, tu nous l’a déjà détaillé… C’est le sérieux avertissement qu’elle t’a transmis qui m’intéresse…

 Punaise… Tu es pire qu’une assiettée de bromure… Moi qui comptait te raconter notre entrevue dans le détail… T’es tout juste bon à distribuer des bibles dans un lupanar… ! Elle m’a dit qu’elle s’appelait Rayon de Lune et qu’il fallait que j’arrête d’escagasser ses amis André Dogg, Hervé Croqueyesse et Jean Rard… Voilà, t’es content !? Le André Dogg à qui j’aurais donné le bon dieu sans confession… Tu crois qu’elle se le tape, aussi ?

 Tu es sûr qu’elle a employé le mot « escagasser » ?

 Je lui raconte qu’une Rayon de Lune toute nue m’a transporté au septième ciel et tout ce qu’il trouve à me demander c’est si elle a bien employé le mot escagasser… Hé bien oui ! C’est bien le mot qu’elle a utilisé… Je n’aurais pas eu la tête ailleurs que cela aurait pu m’étonner mais…

 Rayon de Lune… ?

 C’était son nom… Ou tout du moins celui qu’elle m’a donné…

 Elle ne t’a rien dit d’autre ?

 Non… Mais elle m’a fait d’autres trucs… Le casse-noisettes… Et l’hydrothérapie anale au thé vert ? C’est Michel Lépine, un copain à moi qui m’en avait parlé mais j’ai toujours crû qu’il me racontait des craques car il peut être un peu gascon sur les bords parfois… Mais tu ne vas pas le croire, il…

 Je ne veux pas le savoir…Et sur Mme Yaume ? As-tu appris des trucs intéressants sur elle ?

 Sachristie… ! Rien à tirer de ce mec… Je lui parle d’hydrothérapie anale et lui, il change de sujet… Même un iceberg est plus chaud que lui…

 Pour ta mère Yaume, je ne suis pas médium et tes copains à Paris ont complètement oublié de me fournir une boule de cristal… Je ne la connais pas et je n’ai trouvé personne, parmi mes connaissances, qui était proche d’elle… Nib, que dalle, rien du tout… Mais maintenant je regrette un peu… Tu crois que, si j’avais retrouvé sa trace, cela aurait pu être un motif pour un deuxième avertissement ?

 Oh, punaise… ! Il est déjà presque midi… Je cause, je cause… Ce n’est pas le tout… Ce n’est pas que je m’ennuie avec toi mais on repart demain alors j’ai encore pas mal de trucs à faire… De toute façon, je t’ai déjà tout dit sauf ce que tu ne voulais pas entendre… Je serai bien resté un peu plus longtemps à discuter avec toi mais comme tu refuses de comparer nos expériences…

 Vous n’allez pas couvrir la cérémonie de clôture ?

 Pour la clôture, on fera les commentaires en direct mais de Paris… De toute façon, tout le monde n’y verra que du feu ; ici, on est coincé dans un cagibi, dans le nid d’oiseau, le grand stade de Pékin et on ne voit que ce qu’ils veulent bien nous montrer à l’écran… Alors, que l’on soit sur place ou à Paris… On laisse un mec sur place au cas où, c’est suffisant…

 Et si tu veux une confidence, jusqu’à la visite de la petite, je n’était pas triste de quitter ce village olympique de merde et ce stress sanitaire omniprésent… C’est tout juste si j’ai pu apercevoir quelques chinois durant mon séjour… Au restaurant, on était servi par un armada de C-3PO et une armée de bras articulés et la plupart du temps on était accompagné par des scaphandriers robotisés ou par des robots revêtus de combinaisons de scaphandriers…

Va savoir ce qui se cache sous leurs uniformes de taïkonautes ! D’ailleurs, je me suis promis d’en déshabiller un avant de partir pour en avoir le cœur net… Faut vraiment que je m’en chope un pour l’autopsier… ! Si cela ça se trouve, c’est peut-être une armée de petites tatouées, comme Rayon de Lune…Ou bien des robots matriochkas… Tu sais ces poupées russes qui s’emboîtent l’une dans l’autre… Si il y avait un scaphandrier dans le scaphandrier et un autre scaphandrier dans le nouveau scaphandrier… Tu vois le scoop… ?

 Je ne vois pas, non… Par contre, je me rends compte qu’il est vraiment grand temps que tu rentres… Et réfléchis quand même avant d’agresser un de tes accompagnateurs…Je ne suis pas sûr qu’ils aient le même sens de l’humour que toi… !

 Que veux-tu qu’ils me fassent ? Qu’ils expulsent un mec qui quitte le pays… ?

 Non… Qu’ils décident de te garder quelques mois de plus en confinement…A karamay, dans le Xinjiang, par exemple…

 Va te faire voir ! Tu n’es qu’un rabat-joie… Que les puces d’un millier de chameaux ouïgours infestent la raie de ton…

Grodègue avait raccroché…Il prit quelques minutes de repos méditatif, en sirotant sa bière… Il avait renoncé à finir son thé de luxe… Difficile de comprendre cet engouement pour de l’eau chaude, vendue au prix de la truffe… Arriver à un tel niveau de supercherie, ce n’était plus de l’escroquerie, c’était du Grand Art…

Mais trêve de billevesées… Cassebourg avait bel et bien soulevé un lièvre… Ou plutôt, deux petits poissons… Deux petits poissons qui faisaient également partie des huit symbole bouddhiques… D’où sortaient ces sirènes tatouées ? Qui étaient-elles ? Et pourquoi lui indiquaient-elles cette nouvelle piste en direction de Dogg, de Croqueyesse et de Jean Rard ? Si elles appartenaient à une faction qui s’opposait à Weng, pourquoi semblaient-elles aussi l’aider dans son enquête… ?

Toutes ces questions tournaient dans sa tête sans pouvoir les reclasser dans une suite logique au sein d’un scénario qui se tienne…

Il n’avait rien d’autre de mieux à faire que de rendre une petite visite de courtoisie à tous ces suspects potentiels, dans une affaire de disparition qui en était officiellement pas une…Le problème c’est que Raoul Belon s’était enfui précipitamment à Shanghai, peut-être même en compagnie de Croqueyesse… Et que Mme Yaume, elle restait toujours insaisissable…

Restaient André Dogg et Jean Rard… Ceux-là avaient l’air d’être toujours dans le coin… Du moins l’espérait-il…

Weng qui devait continuer à le suivre pas à pas, à la loupe, devait s’être également directement branché sur ses méditations car, sans même avoir formulée une quelconque demande, les adresses de ces deux antagonistes venaient de s’afficher sur l’écran de son mobile…

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Dogg habitait une superbe maison carrée dans le centre du vieux Pékin, dans une étroite hutong, les étroites veinules qui irritaient la vieille ville, à l’intérieur des anciennes murailles…Son épouse, architecte, avait entièrement repensé la maison pour y aménager tout le confort moderne sans la couper de ses racines anciennes…

Grodègue avait averti de sa visite et Dogg l’attendait, confortablement assis dans un fauteuil en bois noir, emmitouflé dans une veste chinoise de soie bleue molletonnée…

Grodègue avait étudié son dossier… Ce n’était pas la moitié d’un con… Il était bardé de diplômes et sortait d’une Grande École de la République… Il était un des piliers de la communauté d’affaires française et possédait un impressionnant carnet d’adresse qui lui promettait des appuis au plus haut niveau, localement mais également en France… Grodègue avait senti qu’il serait difficile de le déstabiliser et qu’il risquait de se faire « balader » comme l’avait été Cassebourg… Il avait pesé le pour et le contre et avait finalement décidé de lui rentrer dans le chou… Une stratégie comme une autre… De toute façon, il lui aurait été difficile de jouer au gentil et au méchant flic, en étant tout seul… Il avait contacté son ami Weng, histoire d’obtenir un peu d’aide dans son entreprise de déstabilisation…

 Je suis venu vous parler de Monsieur Guy Yaume, attaqua Grodègue, bille en tête…

 Il est, d’après ce que l’on m’a confié, en confinement à Karamay, une ville du Xinjiang, lui répondit aussitôt André Dogg, sur un ton assuré qui ne laissait que peu de place au moindre doute…

 Si vous pouviez éviter de me prendre pour un con, cela nous ferait gagner du temps, à tous les deux et accessoirement vous éviter de gros ennuis…

Quitte à ne pas faire dans la dentelle, alors, autant secouer le cocotier… Et puis, lui aussi en avait, pour tout dire, un peu marre qu’on le prenne pour un imbécile, sans pouvoir avancer d’un pouce… Si Dogg était aussi innocent qu’il en prenait l’air, il allait devoir le prouver…

Dogg parut franchement surpris par l’agressivité de son interlocuteur et franchement outré par le ton menaçant employé à son égard…

 Mais je ne… ne vous permets pas ! Je vous dis ce que je sais, un point c’est tout ! Quant à vos… vos menaces, elles me paraissent fortement déplacées ! M’éviter de gros ennuis ! Je vais me plaindre à l’ambassade et auprès de vos supérieurs, soyez en sûr ! Je pense avoir répondu à votre question, alors, si vous n’en avez pas d’autres, je vous demanderai de bien vouloir quitter cette maison sur-le-champ…

 Ne le prenez pas de haut ! Vous voulez jouer au gros dur, à votre guise… déclara calmement Grodègue en bougeant pas d’un pouce de son fauteuil…

 Je ne veux pas… pas jouer au gros dur ! Je vous demande simplement de déguerpir de chez moi ! Mais pour qui vous prenez-vous ! C’est un comble… !

 D’accord, d’accord… lui rétorqua Grodègue, toujours aussi impassible et toujours sans bouger d’un poil… Pour vous montrer que je ne suis pas chien, je vous laisse quelques minutes de réflexions… A propos, on va sonner à votre porte… Je vous conseille de simplement leur dire que vous êtes avec moi et nous reprendrons ensuite notre conversation…

Dogg, déboussolé, le regardait en bouillant, en se demandant quelle attitude prendre… La tournure que prenait les évènements, le dépassait. L’ambassade l’avait prévenu qu’un policier venant de France souhaitait le questionner. Il ne s’était pas préparé à une telle provocation qui dépassait les bornes… Il n’allait pas non plus le sortir de chez lui, par la force… C’était ubuesque… Et maintenant cette histoire ridicule de coup de sonnette…

Dring…

On sonnait à la porte… Intrigué, Dogg alla lui-même ouvrir…Deux employés de la Sécurité d’État, en uniforme, lui présentèrent leurs papiers, lui signifièrent qu’il était en état d’arrestation et lui demandèrent de bien vouloir le suivre, jusqu’à leur siège, Place Tiananmen… Deux autres gorilles se tenaient de part et d’autre, empêchant toute velléité de s’enfuir… Une fourgonnette noire, aux vitres teintées, stationnait devant la porte, obstruant l’étroite ruelle… Deux véhicules de police, gyrophares clignotant, encadraient la fourgonnette en barrant la ruelle de part et d’autre…

Un cauchemar… Désarçonné, Dogg balbutia qu’il était en rendez-vous avec Monsier Grodègue, un policier venu de France… Le premier des agents, qui parlait un français parfait, le salua d’un petit mouvement de la tête :

 Parfait, nous reviendrons si nécessaire…

Et comme par enchantement, voitures et policiers disparurent de la hutong… Seuls subsistaient encore les regards suspicieux de quelques voisins curieux, balayant nonchalamment devant leurs portes…

 Mais, qui…qui êtes vous … ? Questionna Dogg, d’une voix chevrotante, en revenant d’un pas trainant, dans son salon…

 L’ambassade ne vous l’a pas dit ? lui répondit Grodègue, accompagné d’un sourire candide, complètement désarmant ; j’enquête sur la disparition de Monsieur Guy Yaume. Vous savez, votre président des CCE en Chine… A ce propos, il n’est pas à Karamay… Alors si vous voulez bien éviter de continuer de me prendre pour un imbécile, nous pourrions gagner, comme je vous l’ai déjà dit, un temps précieux et…

 Mais qu’est-ce que je vous ai fait ? Que me voulez-vous ? Vous êtes complètement fou ! La sécurité d’état, venant m’arrêter comme un vulgaire criminel, ici, dans ma maison ! Mais vous vous rendez compte ? Vous êtes inconscient…

 Pourquoi voulez-vous absolument me convaincre que Monsieur Yaume est en confinement à Karamay ?

 Vous ne me… me faites pas peur… Je n’ai rien à me reprocher… Je vais por… porter plainte et je vais demander une protection à l’ambassade ! Je connais bien l’ambassadeur ! Je suis connu et respecté … !

Dogg semblait à la fois perdu et remonté… hagard mais prêt à se battre…

Grodègue, en policier aguerri, connaissait bien cet état ; celui des cerfs ou des sangliers, coiffés par les chiens, au moment de l’hallali… Il se prépara pour la curée…
 Où est Guy Yaume ?-Mais laissez-moi tran… tranquille ! Je n’en sais rien ! On m’a dit qu’il était à Karamay !

 Qui ?

 Quoi qui ? Mais c’est vou… vous qui me demandez où est Guy Yaume… !
- Je vous demande « qui » vous a informé que Guy Yaume était à Karamay… ?
- Mais tout le monde…
- Précisez-moi qui est tout le monde…

 Nous faisons une visio-conférence, pour réunir le bureau des CCE tous les jeudis… Normalement, c’est Guy Yaume qui préside… Quelqu’un a dû demander pourquoi ce n’était pas lui… Franchement, ça arrive, cela n’a rien d’extraordinaire… Quelqu’un a dit qu’il était retenu en
confinement à Karamay, dans le Xinjiang et quelques collègues en ont profité pour faire des plaisanteries et on est passé à l’agenda du jour…

 Quelqu’un… Quelques… On… Cela ne vous ferait rien d’être un peu plus précis… ?

 Mais je n’en sais rien ! Ce n’était pas important ! Je me préparais à intervenir pour annoncer qu’une délégation du Comité France Chine allait être reçue à l’Assemblée Nationale, pour faire un point sur le COVID en Chine et les relations franco-chinoises, vue par des expatriés et que je ferai partie de cette délégation… Je n’ai donc pas porté grande attention à ces échanges anodins… Vous savez, c’est important, par les temps qui courent, de redresser l’image de la Chine ; tous les prétextes sont bons pour essayer de la diffamer et de la salir…

Une dernière tentative pour dévier la conversation, tout en rappelant ses relations… « reçu à l’Assemblée Nationale… » .

 Qui vous a dit que Yaume était à Karamay ?

 Je vous l’ai dit ! Je ne me souviens plus !

 Hé bien, faites un effort de mémoire…
- Mais… mais puisque je vous dis…

 Vous tenez vraiment à finir au trou… Cela ne tient qu’à vous… Je rappelle mes amis ? Le temps que l’ambassade soit prévenue, je vous garantis que vous serez au secret dans une geôle secrète, six étages sous terre…

 Mais vous… vous êtes cinglé… ! Vous… vous… Cela vous amuse de détruire ainsi les gens ? Jamais je n’aurais pu penser que ma propre administration, mon propre pays pourrait me faire cela ! Vous… vous êtes ignoble… !

 Qui vous a dit que Guy Yaume était à Karamay ?

Le ton employé par Grodègue était franchement menaçant… Complètement abasourdi, Dogg craqua…
-…C’était Hervé Croqueyesse et Jean Rard …

 Hé bien, voilà… Tout ça pour en arriver là…

 Ce sont deux personnes respectables… Ce ne sont pas des criminels ! Vous faites fausse route…

 Mais je ne vous ai jamais laissé penser que c’était des criminels ! Néanmoins, j’aimerais bien que vous m’expliquiez, si comme vous le dites la conversation était anodine, pourquoi c’était si difficile d’accoucher de ces deux noms…

 Parce que c’est une blague ! Et vous, vous menacez ma vie, ma famille, ma réputation… ! Je ne vais pas sacrifier cinquante ans de travail pour une plaisanterie…

 Expliquez-moi la plaisanterie, que je puisse rigoler un bon coup avec vous…

 Croqueyesse nous a expliqué en riant, qu’il était retenu à Karamay, pour une histoire de fesses… Il nous a expliqué que tout allait bien mais que c’était un peu compliqué pour le moment… Que Jean Rard pouvait confirmer… Rard a hoché la tête avec un visage hilare… Croqueyesse a continué en nous disant que Yaume comptait sur nous pour que cette information ne s’ébruite pas dans toute la communauté d’affaire… Il nous a donc demandé de nous en tenir à la version d’un confinement sanitaire… On aime tous bien Yaume ; on n’allait pas salir sa réputation avec ce qui pouvait rapidement devenir des ragots de caniveaux…

 Qui participait à cette visio-conférence ?

 Le bureau compte douze membres mais nous n’étions pas très nombreux au début… cinq ou six au début… Avec Bernard Rachnide et Annick Lelonbec, de Shanghai, et Jean-Michel Durjonc de Canton…

 Vous dites au début… D’autres se sont joints par la suite… ?

 Oui, Christine Thousand et Caroline Ruateau se sont connectées avec un peu de retard. Je m’en souviens car Ruateau a demandé des nouvelles de Yaume et on a tous éclaté de rires quand Jean Rard lui a répondu qu’il était en confinement à Karamay… Elles ont paru surprises par notre attitude… Mais personne n’a voulu les affranchir en détail… Détails que par ailleurs, on ne connaît pas vraiment… Je pense qu’inconsciemment, nous n’avons pas jugé utile de mettre trop de femmes dans la confidence… Les femmes sont moins sujettes à pardonner ce type d’escapades…

 Et donc, vous avez risqué tout ça, uniquement pour une histoire de cul… !

Dogg se crispa, sincèrement scandalisé par son attitude et par une expression aussi triviale…

 Je vous en prie ! Ne jugez pas sans savoir ! Je connais Yaume, c’est quelqu’un de bien, je vous assure… Et j’avais donné ma parole que je ne dévoilerais pas cette information et vos méthodes de soudard ne me poussaient pas à le faire ! Mais qui êtes-vous donc pour pouvoir faire intervenir ainsi les services de la Sécurité d’état ?

 Et vous auriez voulu que je fasse quoi ? Vous auriez préféré que je planque des documents confidentiels chez vous pour pouvoir vous accuser de haute trahison, histoire de vous attendrir ?

 Je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi cynique que vous… ! déclara Dogg, en secouant la tête d’air sincèrement navré…

 Pas de compliments, je vous en prie… Le prochain coup qu’un policier vous interroge, essayez de ne pas trop mal mentir… Ça irrite…Et à propos, si un truc vous revenait ou si vous appreniez quelque chose de nouveau, informez-moi sur le champ… Ce la m’ennuierait d’avoir à revenir… Une dernière question… Connaissez-vous une certaine Rosée du Matin ? Ou une Rayon de Lune ?

Devant la mine atterrée de Dogg et l’incompréhension qui s’affichait sur son visage, il n’insista pas d’avantage…

Grodègue avait poussé jusqu’au Novotel de la Paix, juste un peu au Sud de la maison de Dogg… Pékin était un enchevêtrement de routes pour la plupart perpendiculaires, orientées vers les points cardinaux… On était toujours à l’Est ou à l’Ouest de quelque part et et au Nord ou au Sud d’un autre endroit… C’est vrai également pour la plupart des villes chinoises, Shanghai et Canton, mises à part… Pour s’orienter dans l’Empire du Milieu, il suffit de ne pas perdre le Nord…

Il était treize heures passées et il grignotait un vermicelle à la singapourienne, un xingzhou mifen des familles, à la coffee-shop de l’hôtel… Les menus de ces coffee-shops s’étaient standardisés au point que l’on trouvait aujourd’hui les mêmes plats sur les cartes dans toutes les cafétérias de Singapour à Séoul et de Oulan-Bator à Manille…

 Les indonésiens avaient contribué avec le nasi-goreng, la Thaïlande avec son Pad-thai, les italiens avec leurs pizzas, les américains avec leurs hamburgers et les français, surtout depuis qu’ils s’étaient faits piquer leur steak-frites par les belges, par leurs croque-monsieur…

Tout en boulottant son vermicelle, Grodègue repensait à son dernier rendez-vous… Pour lui, André Dogg était clean… Il l’avait vu passer par une impressionnante palette de couleurs, allant du jaune rosé au rouge fumant, pour finir sur cinquante nuances de gris pâle… Si Dogg lui avait menti, même par omission, c’est qu’il méritait d’être nominé pour la prochaine cérémonie des oscars…

Son enquête n’en était pas éclaircie pour autant… Dogg soupçonnait un motif quelque peu égrillard dans la disparition de Yaume mais rien pour le moment ne venait étayer cette hypothèse d’une bonne vieille histoire de fesses…

Et cela n’expliquait toujours pas ce que venaient faire les petites amazones tatouées dans cette affaire… Pour qui travaillaient-elles ?

Au bout du compte, Dogg avait confirmé le rôle de Hervé Croqueyesse et de Jean Rard dans cette histoire… Mais ce Croqueyesse semblait s’être volatilisé avec Belon à Shanghai… Ces deux là, ne perdaient rien pour attendre mais, dans l’immédiat, le plus urgent s’avérait de rendre une visite de courtoisie à ce Jean Rard, qui paraissait être encore sur Pékin… Il valait mieux faire vite car ses potentiels interlocuteurs avaient plutôt tendance à se carapater à son approche…

A peine cinq minutes s’étaient écoulées après son coup de fil à Weng l’informant qu’il aurait besoin d’une voiture, avant que celle-ci se gare sagement sur le perron du Novotel ; une belle Audi A4 noire, au vitres teintées… Un bijou pour apparatchik heureux…

 C’est une A4L FSI lui souffla le chauffeur, en lui ouvrant la porte… Elle a été un peu re-motorisée pour compenser le poids supplémentaire dû au blindage, ajouta-t-il avec un sourire complice… Il faut vous dire que l’on a complètement revu la carrosserie… Elle a été re-moulée et re-forgée en incorporant directement le blindage composite en uranium appauvri et en céramique, directement dans les moules… Bon d’accord, elle vous suce un petit soixante litres au cent, mais, franchement, elle est agréable à manier…

 Et où avez-vous appris à parler un français comme celui-là ? lui demanda Grodègue nettement plus impressionné par son niveau de français que par le blindage supposé du véhicule…

 A Belleville, comme tout le monde, lui répliqua-t-il, le plus sérieusement du monde… Je travaillais dans un magasin, ongles et bains de pieds…
- Vous étiez dans la manucure ?
- Grosso modo… On peut dire cela…

Grodègue préféra ne pas lui demander dans quel type de coupe d’ongles il excellait…

 Nous allons vers Mutianyu, lui indiqua-t-il, tout en fouillant dans sa sacoche pour lui fournir l’adresse exacte…

 Ne vous inquiétez pas… Je sais où nous allons…

Ce qu’il y avait de bien chez Weng, c’était son respect de l’intimité et son sens de la vie privé…
Grodègue somnolait… La voiture filait droit vers le Nord. Passé le cinquième périphérique, elle engagea sur la G45, la fameuse autoroute DaGuang, de 3500 km de long qui partait de Daqing dans la province du Nord-Est du Heilongjiang pour atteindre Canton dans le Sud de la Chine…

++++

En réalité, depuis quelques décennies, la Chine s’est lancée dans une frénésie incontrôlée de construction d’autoroutes dans toute les directions… Tous ces tronçons, petit à petit, ont fini par s’interconnecter… Il suffit maintenant de prendre son stabilo pour tracer sur la carte, des routes interminables…

Comme dans ces jeux d’enfants où il faut trouver un chemin allant d’un point A à un point B, au milieu d’un dédale de fils… Le JingXin qui relie le Xinjiang à Pékin affiche ses 2500 km au compteur et il y a fort à parier que lorsque les chinois vont mettre bout à bout le G1 et le G6, qui vont de Pékin à Lhassa pour le G1 et de Pékin à Harbin, pour le G6, ce nouvel autoroute qui ira de Lhassa à Harbin, frôlera allègrement les 6000 km…

En fait, c’est assez drôle, pensa Grodègue, on assiste à un remake actualisé de la naissance de la Grande Muraille dans l’imagination collective… La Grande Muraille est un peu la copie originale de ces méga-autoroutes ; elle n’est en fait qu’un choix de murailles extérieures dans un lacis de murailles construites dans tous les sens par différents royaumes et différentes dynasties au fil des siècles…

La Grande Muraille existe bel et bien mais son concept est une fiction… une gigantesque arnaque… A l’image de ces super-autoroutes qui traversent la Chine de part et d’autre, elle n’est qu’un tracé de stabilo magique au travers d’un fouillis de murailles partant dans tous les sens…
Elle est au croisement des fantasmes occidentaux et du génie des chinois à reprendre ces chimères quand elle y trouve son compte pour se construire une identité…

Perdu dans ses pensées iconoclastes, Grodègue n’avait guère fait attention à la route… La voiture se faufilait maintenant sur une petite route de montagne. Elle finit par s’arrêter devant une vieille bâtisse

Un septuagénaire, portant beau mais l’air quelque peu exténué, l’attendait devant la porte…

 Jean Rard, enchanté…
- Grodègue, commissaire…
- Vous n’êtes pas enchanté ?
- Si, mais je suis également commissaire…

Jean Rard, le sourire aux lèvres, le fit entrer dans sa demeure… Celle-ci ressemblait à ces vieux manteaux chinois où la fourrure de vison était cachée dans la doublure de la redingote pelée… Une fois dedans, la ferme un peu en ruine se changeait en un manoir agréable d’où se dégageait une atmosphère de modernisme et de confort des plus délectables…

 Vous venez me demander si je sais où est Yaume… Vous allez être déçu parce que je n’en sais strictement rien… lança Rard à Grodègue qui marchait derrière lui vers le salon lambrissé de lattes de bois et en partie recouvert de livres…

 Ne vous emballez pas tout de suite, rajouta aussitôt Jean Rard, en se retournant vers lui, toujours le sourire aux lèvre… Dogg m’a raconté son entrevue avec vous… Rassurez-vous, vous n’aurez pas à me torturer ni à me soumettre à la question… Je vais vous dire tout ce que je sais… promis…
Dans le salon, deux personnes vautrées dans un divan, se relevèrent péniblement… Jean Rard fit les présentations :

 Éric Gobio, c’est le CCE le plus discret mais aussi l’un des plus fiables de notre petite communauté… Il dirige notre Groupe de Travail sur l’attractivité de la France mais c’est aussi le grand maître des procédures… Il essaie de nous tenir à flot, dans la tempête COVID où les directives d’un jour deviennent caduques le lendemain ou inopérantes dans la ville voisine… Et à ses côtés, Nicolas Agent… Il a roulé sa bosse dans tous les coins de Chine, du Nord au Sud, de l’Est en Ouest, de la production d’amidon de maïs au conseil pour les grandes entreprises… Et ils en savent autant que moi sur Yaume, je veux dire par là, qu’ils n’en savent pas grand chose non plus…

Les deux n’avaient pas l’air très frais…

 Mais asseyons-nous,… Autant prendre ses aises… Un whisky ?

 Si c’est pour noyer la vérité dans les alcools forts, je préfère une mirabelle ou un calva… Au moins, c’est de chez nous…

 Les stocks ont pas mal baissé ces derniers jours… Le tout-venant a été piraté par les mômes… On peut se risquer sur le bizarre… il doit me rester une poire Williams de dernière les fagots…
- Hé, bien… Allons-y pour la poire… !
- J’en suis… Rajouta Nicolas Agent avec une voix pâteuse…
-Moi, je vais rester au lait frais… susurra Gobio dont les paupières avaient du mal à se coordonner avec son élocution…

 Faites attention quand même à la poire… Allez-y mollo… Elle a du goût mais elle est artisanale… Elle doit approcher les 60°… Cela vous ennuie si je fume ? Demanda Rard, en s’éloignant du goulot de la bouteille et en exhibant un Cohiba long comme la main… Je ne fume pas souvent mais avec vous, je crois qu’il faut au moins ça…

 Faites comme chez vous, je vous en prie…

 Elle a le goût de poire… affirma Nicolas Agent en essuyant une larme qui lui coulait du coin de l’œil…

 Y en a aussi… Certifia Grodègue….

 Trop aimable… Bon… Je me doute que vous n’êtes sûrement pas venu jusqu’ici pour échanger des politesses avec nous… Vous voulez savoir ce que nous savons de l’absence de notre président bien-aimé… D’après ce que je crois comprendre, elle tient à la fois du roman d’espionnage et de la tragi-comédie…

 Vous auriez suggéré, lors de la dernière réunion du bureau des CCE Chine, que cela tenait plutôt d’une histoire de fesses…

 Vous ne pouvez même pas imaginer à quel point c’est aussi une histoire de fesses… Mais cela n’empêche pas la tragi-comédie et le roman d’espionnage…

 Expliquez moi… Je suis tout ouïe…

 Il y a une semaine, j’ai reçu la visite de Croqueyesse et de Belon… Deux autres CCE notoirement connus et respectés de notre communauté d’affaires en Chine. Ils étaient accompagnés de trois magnifiques jeunes chinoises qui parlaient un français parfait… Ils sont arrivés en coup de vent et ils m’ont demandé, de but en blanc, si je pouvais les héberger… Ils m’ont expliqué, de manière assez amphigourique je dois bien l’avouer, que c’était sans danger, que c’était une histoire compliquée mais que Yaume, notre président de la section CCE de Chine, avait pris les choses en main et que tout devait rentrer très prochainement dans l’ordre…

Et plus je tentais d’en savoir plus et plus les choses devenaient confuses… En gros, pour vous le faire court, ce que j’ai cru comprendre c’est que ces trois magnifiques jeunes filles rencontraient des problèmes avec leur employeur… Et ils n’ont pas souhaité m’en dire plus sur l’identité de cet employeur et je ne connais pas vraiment plus, non plus, sur la nature de ces problèmes… Autant vous l’annoncer tout de suite… Et je ne sais pas non plus en quoi consistaient les « choses » que Yaume était censé avoir prises en main…

Tout ce que je peux affirmer avec certitude, c’est qu’ils se sont enfuis dès qu’ils ont pu mais qu’ils m’ont laissé les trois petites ici, en me faisant promettre de rester le plus discret possible… Je me suis retrouvé, sans savoir vraiment pourquoi, père adoptif de trois petites orphelines dans la force de l’âge et belles à faire fondre même des blocs de granit…

J’ai tout de suite compris que cela allait dépasser mes forces… Faut dire qu’elles avaient la manie de se promener quasiment nues à toute heure du jour et de la nuit… En plus elles étaient, comment dire, insatiables… Comme vous pouvez le constater, je ne suis plus tout jeune… Franchement, j’ai crû mourir… J’ai donc appelé du renfort… D’où la présence de mes deux collègues et néanmoins amis…

 Lueur d’espoir…soupira Gobio, un sourire angélique aux lèvres…
- Qu’est-ce qu’il dit ?

 Ce n’est rien… Lueur d’espoir, c’était le nom d’une des trois petites… murmura Nicolas Agent, le regard, également, légèrement embué dans ses souvenirs…

 Je ne vous demande pas si les petites, elles avaient un tatouage Ying et Yang en haut de la cuisse ?
- Tu quoque fili mi… ? Jean Rard le fixait, un rayon de paradis sur le visage…

 Ha ! Vous voyez… ! Je l’avais bien dit que nous n’avions pas rêvé… ! Elles ont vraiment existé… insista Gobio…

 J’en conclus donc qu’elles portaient bien des tatouages…insista Grodègue qui ne cherchait qu’une confirmation de principe à une apparente évidence…

 Des tatouages mais pas grand chose d’autre, renchérit Nicolas Agent… J’ai complètement reconsidéré ma conception du Yin et du Yang…

 Oui pour les tatouages mais ce ne sont pas eux qui m’ont épuisé… souligna Jean Rard… Deux jours de plus et j’y passais… Mon cœur n’aurait pas supporté… Je ne sais même pas comment elles ont réussi à me faire accomplir de telles prouesses…

Mais elles sont finalement parties… Sur le coup, j’ai fredonné Libéré… Délivré… Sauf que je commence déjà à les regretter… C’est pire que des drogues dures… On devient vite accro… D’ailleurs, on a vite pris l’habitude de les appeler par leur tatouage… On avait Ombrelle, Fleur de Lotus et Mets-ta-carpe…

 Et à propos… Où sont-elles passées ?

 Croqueyesse a débarqué en coup de vent ce week-end pour enlever nos Sabines… Sauf qu’à la différence du tableau de Poussin, je ne saurais pas vraiment dire si c’était un romain qui enlevait les Sabines ou si c’était les Sabines qui commandaient la Légion…

 Il vous a dit où il comptait les emmener…

 Lui, il avait l’air certain de partir pour Shanghai… Mais connaissant nos petites, allez savoir où elles vont atterrir…Elles peuvent être n’importe où en Chine, à l’heure actuelle… Ou encore plus loin peut-être…

 Tout à l’heure, vous avez évoqué de possibles problèmes avec leur employeur ?

 C’est Belon qui a lâché cette information, par inadvertance je pense, parce que Croqueyesse l’a aussitôt incendié avec un regard réprobateur… Les gamines ne m’en ont pas dit plus mais Gubio qui parle bien le chinois, les a souvent entendu parler d’un « Laoban » et d’une « Mama
san » quand elles étaient entre elles…

Grodègue se tourna vers Eric Gubio.

 Vous pouvez m’en dire plus ?

 J’ai eu l’impression qu’elles respectaient leur « Laoban ». Elles l’appelaient leur Rimpotché et elles en parlaient toujours avec révérence… Moi, j’ai toujours fait attention pour qu’elles ne réalisent pas que je les comprenais plus ou moins… assez souvent plutôt moins que plus, d’ailleurs… Elles avaient un jargon bien à elles, truffé de jurons et de mantras bouddhiques… Encore une fois, je ne sais pas ce qu’elles avaient comme problèmes avec leur laoban mais, en tout cas, il ne fait pas l’ombre d’un doute qu’elles ont bien le même employeur… Avec un peu de recul, on s’aperçoit qu’elles ont reçu la même formation… Par exemple, elles pratiquaient toutes, des techniques assez peu courantes, comme celles du casse-noisettes, de l’hélicoptère ou de la langue fourrée aux sucions vagi…

 Mais vous n’avez pas une idée sur qui pourrait être cet employeur ou cette Mama san ? se dépêcha de l’interrompre Grodègue, qui sentait le souvenir de sa Rosée du Matin lui réveiller tous ses chakras…

 Il dut pourtant attendre quelques minutes, le temps que, « Fleur de Lotus » cesse de faire
« hélicoptère » ; que Lueur d’Espoir, l’Ombrelle, daigne redescendre d’un cochon pendu à réveiller même les morts et que l’atmosphère explosive s’apaise…

 Mama san, cela fait plutôt allusion à une tenancière de bordel mais c’est à mille lieues de ces petites qui respirent l’innocence et la pureté…

 N’exagérez quand même pas… Si on pouvait garder un minimum d’objectivité…

 Quant à l’employeur, leur Laoban, encore une fois, c’est un mystère… Je pencherais pour un grand maître bouddhiste ou pour un oligarque du parti mais ne me demandez pas pourquoi, je serais incapable de vous expliquer ce qui me fait penser cela… Pourquoi rigolez-vous ?

 C’est votre expression « oligarque du Parti Communiste »… Ça fait un peu antinomique…

 Mon bon monsieur, vous touchez là du doigt la plus grande contradiction à laquelle est confrontée ce pays ! La Chine, aujourd’hui, s’écartèle sous la tutelle de deux entités diamétralement opposées ; d’une part une oligarchie de ploutocrates uniquement préoccupés par l’argent et le pouvoir et de l’autre côté par un parti communiste qui veut l’égalité pour tous et la dictature du prolétariat… Jusqu’à présent, c’était plutôt comme un chalut que l’on ramène à bord… Chacun tirait sur le filet et se partageait les poissons… Mais, depuis quelques temps, l’angle des cordes s’est écarté et cela devient de plus en plus comme un tir à la corde, il va bien arriver un jour où l’un des camps va tirer plus fort que l’autre…

 Et votre pronostic ?

 Officiellement, je n’en ai pas… Officieusement, je dirai que comme il s’agit d’un jeu de cons, je pencherais plutôt pour le Parti… En matière de cons, il a plus de réserve…

 Vous reprendrez bien un petit verre de poire ? Lui proposa Nicolas Agent.

 Juste une lichette, alors… Faut avouer que c’est une boisson d’homme… Pendant que j’y suis, vous m’avez dit avoir appelé une des petites « Mets-ta-carpe » ?

 Oui, confirma Nicolas Agent… Elle avait deux petits poissons tatoués sous le symbole du Yin et du Yang…

 Et son nom chinois, vous vous en souvenez ?

 Rayon de Lune,… Déclara Eric Gubio… Elle adorait déposer des petits morceaux de poissons crus sur son tatouage… Elle nous obligeait à les gober sans l’aide de nos mains…

Gobio était une nouvelle fois reparti dans ses souvenirs… Grodègue lui réfléchissait à l’information qu’il venait d’apprendre… Il était peu probable que deux petites aient le même tatouage. Cela signifiait donc que Rayon de lune était vraisemblablement la même sirène qui avait approché Cassebourg et qui avait séjourné chez Jean Rard…

Une bonne heure et quelques verres plus tard, Grodègue, vautré dans les coussins de sa limousine, le cerveau quelque peu embué par des vapeurs d’alcool, tentait de réfléchir aux avancées de son enquête… Il avait, certes, assemblé quelques pièces du cadre de son puzzle ; il restait à finir complètement le tour et à remplir l’intérieur, pour avoir l’image intégrale… Et là, il était encore loin du compte ;.… Pour le moment, il n’avait encore que de vagues indices pour tenter de découvrir l’image à reconstituer… Il lui manquait encore trop de pièces… Il s’enfonça confortablement dans les fauteuils de cuir.

C’est à ce moment, qu’il perçut le bruit des premiers grêlons…

 Je crains que nous soyons suivis et que l’on soit en train de nous tirer dessus… l’informa calmement le chauffeur en se penchant pour ouvrir sa boite à gants…

Il en retira un pistolet à la taille impressionnante… Dans le même temps, une plaque d’acier épaisse montait lentement du coffre pour protéger la vitre arrière… quelques instants plus tard,

Grodègue entendit distinctement une explosion puis la plaque redescendit s’insérer dans le coffre. Au loin, des flammes s’élevaient d’un véhicule éventré et en feu…

 Ceux-là ne nous ennuieront plus… Des amis à nous viennent de leur balancer un gros pruneau, lui lança le chauffeur hilare, en freinant à mort… Puis, il effectua un demi-tour et rajouta : je pense qu’il est plus prudent de changer notre itinéraire… Ceux-là n’étaient peut-être que des rabatteurs… Cela serait dommage de foncer tête baissée vers un comité d’accueil…

Grodègue jeta un coup d’œil sur ses agresseurs lorsqu’il passa le long de leur voiture… Ils avaient franchement une sale mine et dégageaient une forte odeur de cochons brulés…

Danjou ne lui avait pas menti quand il lui prédisait qu’il aurait une mission à la James Bond… Il avait déjà eu droit aux James Bond girls… Maintenant à la voiture de 007… Il ne lui restait plus qu’à trouver un stylo qui tue ou une ceinture de chasteté à rayons LASER pour effacer les tatouages…

 

 

La comédienne et réalisatrice Jia Ling, « star » des réseaux sociaux

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