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›› Taiwan

A Taïwan, la pandémie éclaire la brutalité de Pékin

Lâcheté au sommet de l’OMS.

Le 29 mars, à une question d’une journaliste de RTHK, unique société d’audiovisuel public de Hong Kong, qui interrogeait en vidéoconférence le n°2 de l’OMS, Bruce Aylward sur l’éventualité que, dans les circonstances actuelles d’urgence sanitaire, l’Organisation puisse accueillir une délégation taïwanaise, ce dernier a coupé la communication après avoir plusieurs fois fait semblant de ne pas avoir entendu la question.

Enfin comme pour confirmer à quel point les esprits, ayant des difficultés à opérer la synthèse des événements contradictoires qui les submergent, s’accrochent à des schémas de pensée réflexe, à Hong Kong, alors même que la R.A.S est depuis juin 2019 secouée par une violente remise en question de ses relations avec Pékin, la journaliste de RTHK Yvonne Tong qui avait interrogé Bruce Aylward fin mars, a, le 2 avril été accusée par Edward Yau, d’avoir failli à ses obligations de journaliste d’un média public de promouvoir le schéma « Un pays deux systèmes ».

Dans la foulée, le député pro-Pékin Junius Ho considérait que la question posée par Yvonne Tong était « dangereuse ». Le qualificatif est édifiant. Il rappelle l’ombre portée menaçante du régime autocrate de Pékin, alors même qu’à aucun moment, l’interview n’a fait allusion au statut de l’Île. De Taïwan, la réponse la moins diplomatique à l’esquive de Bruce Aylward est venue du ministre des Affaires Joseph Wu : « Wow, à l’OMS on ne peut même pas prononcer le nom de “Taïwan“ ».

En prenant la peine de porter le regard ailleurs que vers l’obsédant face-à-face du Détroit, on s’aperçoit qu’à la vaste stratégie de propagande auto-laudative de Pékin présentant la réaction de son régime à l’épidémie comme un exemple à suivre, capable aujourd’hui de prodiguer aide matérielle et conseils à toute la planète, Taïwan réplique par une initiative dont personne ne souffle mot et qui pourtant se développe en Europe, à nos portes, en République Tchèque.

Riposte taïwanaise en république tchèque.

Alors que le gouvernement de Tsai Ing-wen, a donné 7 millions de masques à l’UE et à 9 pays européens, début avril, Taipei a signé un partenariat officiel avec Prague dont l’objet est la lutte contre le covid-19. A Taïwan tout le monde a ressenti un profond sentiment de fierté en écoutant les remerciements appuyés d’Ursula Von Der Leyen, présidente de la Commission dont les médias européens ont peu parlé.

En arrière-plan flotte, dans l’esprit de la plupart des dirigeants européens, les images contradictoires de la rapidité précise et ordonnée de la réaction taïwanaise, contrastant avec les manquements chinois au démarrage de la crise à Wuhan. Si beaucoup ont été sensibles au battage de la propagande, dans les cercles politiques européens, en revanche, les occultations et les cafouillages chinois ont souvent initié un sentiment de défiance que les livraisons de masques n’ont pas tout à fait compensé.

Certes, à Bruxelles personne ne croit que le réseau diplomatique européen de Pékin pourrait être fragilisé. D’autant qu’à l’Est de l’Europe 25 pays n’ont jamais noué la moindre relation avec Taïwan.

Il n’est cependant pas impossible que le choc et les révélations de la pandémie offrent à Taïwan l’opportunité de développer des relations informelles. A Taïwan, un porte-parole du MAE confiait à Nikkei Asian Review que Prague et Taipei allaient coopérer pour développer des tests rapides, des protocoles de soins et un vaccin.

Les efforts de Taipei en direction de Prague ne tombent pas du ciel.

Durant l’année 2019, Zdenek Hrib, le maire pro-Taïwan avait plusieurs fois fustigé Pékin pour ses manquements aux droits des personnes et son insistance à imposer à tous ses interlocuteurs et à tous propos « la politique d’une seule Chine ».

Par la suite, la polémique, née après le refus de la ville de Prague d’insérer dans l’accord de jumelage la reconnaissance de la « politique d’une seule Chine », s’est terminée, à l’initiative du régime chinois, par la bascule du jumelage de Pékin vers Taipei. L’avenir dira si la rupture du jumelage avec Pékin aura une influence sur les relations de Prague avec Canton, l’autre partenariat majeur de la capitale tchèque en Chine.

*

Enfin, en mars 2020, marquant l’apogée des tensions bilatérales, le Premier ministre Andrei Babis, riche homme d’affaires en poste depuis 2017, demandait à Pékin de rappeler son ambassadeur. C’était une première en Europe par laquelle Prague réagissait aux mises en garde écrites de l’ambassade de Chine ayant choqué toute la classe politique tchèque.

Dans une lettre du 10 janvier 2020 adressée au gouvernement, l’Ambassadeur Zhang Jianmin (張建敏) prévenait que, si comme il l’avait annoncé, le sénateur Milos Vystrcil, successeur de Jaroslav Kubera décédé, se rendait à Taipei, des représailles seraient exercées sur le marché chinois contre les intérêts tchèques, notamment une société tchèque de crédit mutuel et le groupe Skoda filiale de Volkswagen dont une usine est implantée dans la ville portuaire de Ningbo à 150 km au sud de Shanghai, de l’autre côté de la baie de Hangzhou.

Le vent tourne.

Quel que soit l’angle de vue, pour Pékin déjà engagé dans une bataille féroce avec les États-Unis où, tous parti confondus, la réputation du parti communiste chinois est au plus bas, le raidissement d’un pays européen à propos de la question centrale de la souveraineté sur Taïwan, est une alarme qui ne peut laisser le Parti indifférent.

Est-ce une conséquence du raidissement tchèque ayant fait jurisprudence, le 14 avril, LU Shaye, ambassadeur de Chine en France était convoqué au Quai d’Orsay par J-Y Le Drian. Le ministre reprochait à l’ambassade de Chine ses affirmations sans preuves sur son site, selon lesquelles les soignants des Ehpad avaient « abandonné leurs postes du jour au lendemain (...) laissant mourir leurs pensionnaires de faim et de maladie ».

Il est vrai que le vent tourne – déjà en mars dernier Bruxelles avait qualifié la Chine « de rival systémique » - signifiant que les stratégies extérieures de Pékin avaient, au-delà des contentieux commerciaux, le potentiel de bousculer le paradigme socio-politique fondant l’épine dorsale de la marche des sociétés démocratiques de la planète. Lire : Face à Pékin, la solidarité hésitante de l’Europe.

Récemment, le sinologue Jean-Pierre Cabestan, Dr en Sciences Politiques et Dr en droit de l’Université Paris Sorbonne, spécialiste du droit chinois, actuellement professeur à l’Université Baptiste de Hong Kong, expliquait que, puisque la Chine était considérée comme un rival systémique, il était temps de le faire comprendre à Pékin et de mettre en œuvre des politiques traduisant cette situation.

Pour l’heure, il est cependant encore très peu probable que les États européens suivent l’exemple de la ville Prague ayant basculé son jumelage de Pékin à Taipei. Déjà des divergences existent entre Londres et Paris, plus enclins à appuyer Taïwan quand Berlin est plus réticent. L’Allemagne, par exemple, ne s’était pas associée aux félicitations françaises et britanniques adressées à Tsai Ing-wen, lors de sa réélection.

Quant à U Von der Leyen, présidente de la Commission, elle a tenu à préciser que les remerciements adressés à Taipei pour ses masques ne signifiaient pas que la politique de Bruxelles avait changé.

Il reste que la nouvelle situation où apparaissent des fêlures internes en Chine, tandis que Pékin est souvent confronté à des contrefeux et à des critiques, ouvre des opportunités pour le développement de liens avec Taipei, d’autant que l’expérience du contrôle par l’Île de l’épidémie offre des terrains d’échanges tout trouvés.

Sans passer la ligne rouge que serait la reconnaissance de l’objectif d’indépendance au cœur du projet politique de l’actuelle présidence, sur laquelle les Taïwanais eux-mêmes ne s’accordent pas, certains pays pourraient s’engager avec Taïwan dans des coopérations soigneusement « calibrées », dont un des avantages serait, dit J.P. Cabestan, d’indiquer à Pékin, que, « pour les pays européens, la trajectoire du régime communiste est devenue un problème ».

Au demeurant, alors que l’UE est la première source d’IDE dans l’Île et qu’il existe un accord croisé pour l’accès libre à l’espace Shengen et à Taïwan des détenteurs de passeports taïwanais et européens, 16 pays européens entretiennent à Taipei des bureaux de représentation. A Bruxelles, le bureau de représentation de Taipei auprès de l’UE et de la Belgique est la représentation diplomatique non officielle de Taïwan auprès de l’Union Européenne.

A travers ces canaux et ceux existant ailleurs dans le monde sur le même modèle « non officiel », Taipei s’active pour promouvoir des échanges sur l’épidémie.

Le 14 avril le New-York Times publiait une publicité en pleine page financée par 26 000 bénévoles montrant que Taïwan pouvait aider le Monde, jeu de mot acerbe autour de World Health Organization : « WHO can help ? Taïwan can help ».

Et en-dessous, tout aussi acerbe et sibyllin « Par ces temps d’isolement, nous choisissons la solidarité. Vous n’êtes pas seuls. Taïwan est avec vous ».


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