Your browser does not support JavaScript!

Repérer l'essentiel de l'information • Chercher le sens de l'événement • Comprendre l'évolution de la Chine

›› Editorial

BO Xilai. Coup de grâce, batailles politiques et chausses trappes

Une relation fragile entre l’appareil politique et la société.

Mais, la brutalité qui entoure l’élimination de Bo, dont toute la carrière est présentée comme une suite d’errements inconvenants dont le Parti se désolidarise, signale aussi que dans les strates supérieures du régime on souhaite corriger une fragilité persistante dans la relation de l’appareil avec la société. Les failles se nourrissent non seulement du déficit de confiance entre le peuple et l’oligarchie, mais également des profonds déséquilibres, inégalités et injustices ayant accompagné le développement rapide du pays, et que l’actuelle équipe au pouvoir n’a pas su corriger, en dépit de son slogan, souvent brocardé, appelant à la construction d’une « société harmonieuse ».

Que le Parti ait, sur certains sujets liés à la transparence, au machiavélisme politique, à la malhonnêteté des cadres corrompus, perdu la confiance de larges pans de la société, y compris dans la classe moyenne, est une évidence qui s’exprime fréquemment dans les incidents de la vie quotidienne, ou par le truchement de certains journaux critiques qui publient des articles rédigés par des chercheurs vigilants ou des anciens cadres excédés.

La trajectoire catastrophique de Bo Xilai, dont l’épouse a été convaincue de meurtre et condamnée à mort avec sursis par un procès éclair, réglé comme une pièce de théâtre, avant que lui-même ne soit directement impliqué dans le crime, a donné lieu à un de ces cris du cœur qui, de temps à autre, résonne sur la scène politique chinoise comme un coup de semonce moral adressé au régime.

Il n’est pas rare que leurs auteurs soient des chercheurs, des intellectuels, médecins, rompus à la science des faits établis, et étrangers, voire hostiles à la subtilité des manœuvres politiques. Cette fois, le coup est venu de Madame Wang Xuemei, médecin légiste à la cour suprême qui, comme si la coupe n’était pas déjà bien pleine, met en doute les conclusions du tribunal sur l’empoisonnement au cyanure de Neil Heywood.

S’il est vrai que son intervention publiée sur son blog, au ton théâtral et étrangement émaillé par une vision taoïste de l’univers, n’a pas la capacité de modifier le cours des choses, la dépouille de la victime ayant été très vite incinérée, son coup de cymbale qui vient d’une des plus hautes instances judiciaires du pays, n’en sonne pas moins comme un blâme adressé aux habitudes d’opacité et de mensonge du système.

« Voilà 50 ans que je m’interroge sur le sens de ma vie. Médecin légiste à la Cour suprême d’un grand pays qui abrite 1/5 de l’humanité, je suis une enfant de la nature. Et, petite cellule dans le vaste corps de notre mère Nature, je me coule dans le flot de l’univers pour accomplir la mission sacrée que m’a donné le destin. Il m’appartient de m’interroger sur la véracité des conclusions expliquant la mort. Mon rôle consiste à renifler les erreurs humaines pouvant désacraliser les âmes… Aucune personne, qu’elle soit isolée, ou membre d’un groupe ou d’une organisation, ne peut m’utiliser pour proférer ses mensonges ou commettre ses péchés, car je suis une professionnelle qui agit en cohérence avec ce que décrète le Ciel ».

Quant aux déséquilibres de la société, ils constituent le principal levier d’action des critiques contre l’actuel pouvoir, à commencer par les émules de la geste révolutionnaire, opportunément teintée du mythe maoïste, auquel le peuple est toujours sensible, et que Bo Xilai avait instrumentalisé à Chongqing. Si le Parti peut encore négliger les critiques de Wang Xuemei, qui ont cependant eu un beau succès sur le net, sur le thème « soyons sincères, disons les mots justes, pour mener une vie sans mensonges », la survivance des « idées révolutionnaires », attisées par les nombreux ratés de l’harmonie, a de quoi inquiéter le pouvoir.

Les quelques réactions recueillies à Chongqing et rassemblées dans un article de Reuter du 30 septembre sont éloquentes de l’état d’esprit de cette mouvance. Un ouvrier d’usine explique par exemple que « personne ne saura jamais si les accusations portées contre Bo Xilai sont vraies. Mais ce que nous savons ici c’est la somme de travail qu’il a consentie pour améliorer Chongqing ».

Un autre jette la responsabilité sur les luttes internes, tout en pardonnant la corruption : « Tout est de la faute des rivalités au sein de l’élite politique ; il n’y a pas d’autre causes à la chute de Bo Xilai… Regardez à quel point Chongqing s’est améliorée, grâce à Bo Xilai. S’il y a eu de la corruption ce n’est pas grave ». D’autres enfin évoquent la jalousie dont il était victime : « A pékin, ils le harcèlent car il était bien meilleur qu’eux dans son travail et en politique ».

La survivance de ces idées explique en partie la violence de la riposte du régime. Elle dessine un paysage politique contrasté et jonché de chausses trappes où l’homme politique le plus publiquement controversé depuis des lustres, que le Parti vient d’abattre sans merci, révélant une accumulation de fautes morales et éthiques graves, continue d’avoir la faveur de certaines catégories de la population, parmi les moins favorisées, qui le créditent de belles réalisation sociales à Chongqing, tout en exprimant leur méfiance contre ses ennemis. Ceux-là même qui disent vouloir « purifier » le Parti.


• Commenter cet article

Modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Ce formulaire accepte les raccourcis SPIP [->url] {{gras}} {italique} <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

• À lire dans la même rubrique

Le révisionnisme sino-russe sur les traces de la révolution mondiale maoïste. Au Moyen-Orient, les risques avérés d’une escalade mortelle

A Hong-Kong, l’inflexible priorité à la sécurité nationale a remplacé la souplesse des « Deux systèmes. »

14e ANP : Une page se tourne

La stratégie chinoise de « sécurité globale » face aux réalités de la guerre

Que sera le « Dragon » ?