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›› Taiwan

Chiang Ching-kuo, le fils du Generalissimo

Publié en 2000 par Harvard university press et en France en 2016 par les éditions René Viénet. Traduction Pierre Mallet.

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Alors qu’à Taïwan la nouvelle présidente indépendantiste a entrepris d’effectuer un retour sur l’histoire de l’Île pour y mettre en lumière les responsabilités du KMT dans les massacres du 28 février 1947 et les 40 années de « terreur blanche » qui suivirent ponctuées par la loi martiale imposée jusqu’en 1987, la biographie du fils de Chiang Kai-shek, Chiang Ching-kuo (transcription Wade-Giles) par Jay Taylor (Harvard University Press, 2000), traduite avec élégance par Pierre Mallet propose à point nommé une rétrospective précise de la règle nationaliste qui a conduit Taïwan vers l’ouverture politique sans pour autant en occulter les années sombres.

Publié en France en mars 2016 par les éditions René Viénet « Chiang Ching-kuo. Le Fils du generalissimo » est bien plus d’une simple biographie. Elle est un fil rouge de l’histoire de la Chine et de Taïwan depuis la révolution de 1911, au long duquel on chemine avec le père et le fils, leurs disputes et leurs réconciliations autour des valeurs confucéennes revisitées par la foi méthodiste. L’histoire avance d’abord sur le Continent et en Russie à l’ombre de la pernicieuse duplicité de Staline et l’abandon de Roosevelt malade, jamais à court de concessions à faire aux soviétiques dans le dos du généralissime que ses conseillers américains Joseph Stilwell et Wedemeyer [1] jugeaient rigide et incompétent.

La guerre de Corée qui coïncide avec la débâcle de l’armée nationaliste réfugiée dans le chaos à Taïwan a à la fois sauvé l’Île d’une invasion communiste et sonné le réveil stratégique de l’Amérique qui, après avoir abandonné Chiang Kai-shek en Chine, a fait de lui et de son île un de ses grands points d’appuis de l’Amérique en Asie, en réaction contre la tentative maoïste d’étendre son influence idéologique dans toute la zone du Pacifique Occidental et jusqu’au sous-continent indien, en Birmanie.

A Taïwan, la trajectoire du fils du Maréchal Chiang commença, sous l’égide de son père, par de très sévères répressions politiques portant la marque de l’influence léniniste dont il réussit pourtant à se départir à l’extrême fin de sa vie, après avoir modernisé l’appareil politique du KMT et insufflé à l’Île un formidable élan économique. Au début des années 70, il dut faire face à la bascule stratégique des États-Unis en faveur de la Chine communiste et à l’expulsion des Nations Unies exigée par Pékin. Les circonstances de la fin de sa vie portent aussi les prémisses de la démocratisation politique qui tranche avec la rigidité politique du régime de Pékin.

L’empreinte soviétique et la duplicité de Staline.

Chiang Ching-kuo et sa femme biélorusse Faina Ipat’evna Vakherevich, rencontrée lors de son exil dans l’Oural.

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Autant Chiang père était austère et froid, autant Ching-kuo son fils était jovial et extraverti, en même temps qu’un lecteur assidu de la Bible, honnête, travailleur ayant un sens aigu de l’éthique socialiste et de l’obligation d’améliorer par la formation et l’éducation la qualité des hommes, militaires et civils qui servaient son père. Mais de la période trouble de l’après 45, où la Mandchourie fut littéralement pillée par les Soviétiques avec l’assentiment de Washington, une constante néfaste surnage : la naïveté de Chiang Ching-kuo à l’égard de Staline et des Soviétiques au point qu’il crut pouvoir compter sur eux pour faire contrepoids à Mao dans le nord-est.

La confiance aveugle de Ching-kuo dans l’amitié soviétique était peut-être la conséquence de ses 12 années de séjour en URSS dont il gardait un excellent souvenir en dépit de ses tiraillements avec Staline plus nationaliste que révolutionnaire qui l’obligea à trahir son admiration pour Trostky. Au point qu’après avoir aussi renié son père à la suite des purges contre les communistes chinois en 1927 [2], et fort de ses excellents résultats à l’académie militaire de Tolmatchev, il avait un moment envisagé de faire carrière dans l’armée rouge. Ce à quoi Staline s’opposa.

On ne sait cependant pas très bien si Chiang Ching-kuo n’avait pas cédé à des pressions dans un contexte où les Trotskistes étaient férocement poursuivis et assassinés par la police secrète. En tous cas, pour lui remettre les idées en place « le Petit Père des peuples » l’avait exilé dans une usine de l’Oural où il mena une existence spartiate, mais où – peut-être est-ce là une des raisons pour lesquelles il idéalisa la période -, il rencontra la Biélorusse Faina Ipat’evna Vakherevich, mère de ses enfants qui restera son épouse toute sa vie.

Page 177 de l’ouvrage, Jay Taylor donne la preuve de la trop grande ingénuité de Ching-kuo en citant une note de Molotov à Staline datée de janvier 1946 dans laquelle le ministre des A.E met en doute la sincérité du fils du generalissimo : « en tant qu’ancien membre du parti bolchevique, il (Ching-kuo) voudrait manœuvrer entre son père et nous en prétendant qu’il est un véritable ami de l’URSS. »

L’épisode se situe après que les deux Chiang se soient réconciliés et que le fils, de retour en Chine en 1937, ait à nouveau donné la preuve de son affection filiale en rendant souvent visite à son père, désormais marié à la jolie Song Mei-lin. Devant le Maréchal, retrouvant après ses utopies révolutionnaires les rites confucéens ancestraux auxquels il croyait autant qu’à la religion chrétienne, il allait même jusqu’à faire le « kowtow » front contre terre.

En Mandchourie, Moscou qui avait annoncé son intention d’évacuer ses troupes, manoeuvrait en réalité avec duplicité pour écarter les Américains de Chine, avec l’intention de soutenir Mao dont les troupes dans le nord-est dirigées par Lin Biao étaient déjà supérieures en nombre à celles des nationalistes chinois. « Le 15 avril 1946 », écrit Jay Taylor, « après que les Soviétiques aient évacué la ville, les communistes chinois qui étaient déjà présents occupèrent entièrement Changchun. ». L’échec de son entremise avec les Soviétiques affaiblit la position de Ching-kuo au sein du KMT et renforça les plus réactionnaires qui redoutaient la division de la Chine.

Débâcle militaire. Complaisance américaine pour Staline.

En mars 1946 le général Georges Marshall tente une impossible conciliation entre communistes et nationalistes. De gauche à droite Zhou En Lai, G. Marshall, Zhu De, commandant l’APL, le général nationaliste Chang Chih-chung et Mao Zedong.

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La fausse manœuvre en Mandchourie fut le début d’une longue épreuve qui devait durer encore trois ans, jusqu’à la défaite générale sur le Continent et conduire le fils et le père Chiang à Taïwan au milieu des débris chaotiques de l’armée du KMT. Partout la lourde et rigide armée nationaliste coupée des campagnes perdit l’initiative contre la souplesse de l’APL immergée dans la paysannerie chinoise.

Fin 1948, le nord-est était aux mains des Maoïstes, dans un mouvement général en Asie du Sud-est où les partis communistes étaient partout passés à l’offensive. Cette retraite eut lieu alors que depuis plusieurs années Chiang fils se démenait depuis Nankin et Shanghai pour lutter contre le marché noir et la corruption, malgré les passe-droits des clans et des familles occupés à protéger leurs privilèges et leurs avoirs au milieu d’une inflation galopante.

Les phases suivantes virent l’APL pousser vers le Shandong et la plaine centrale dont la conquête donna lieu à l’une des plus formidables batailles de l’histoire où l’APL, désormais aux ordres de Chu Te (Zhu De) rassembla 600 000 hommes pendant 60 jours, contre les 6e et 7e armées nationalistes encerclées et détruites à Suzhou.

Simultanément les armées communistes du Centre où se trouvait le commissaire politique Deng Xiaoping que Chiang Ching-kuo avait croisé en Russie, responsable politique de l’ensemble de l’offensive, attaquaient le Henan et l’Anhui. La marche continua au sud du Yangzi puis vers Canton qui tomba à l’automne. L’attitude américaine surtout préoccupée de donner des gages aux Soviétiques qui refusa de s’impliquer plus avant dans la guerre civile chinoise, accéléra la débâcle.

La naïveté ou la complaisance américaine à l’égard de Staline et de Mao se poursuivit bien après la victoire communiste en Chine. Jay Taylor confirme en effet qu’au moment même où les deux dirigeants du communisme mondial concoctèrent à Moscou l’expansion de leur influence stratégique en Asie, Dean Acheson, le secrétaire d’État américain, commettait l’erreur de signaler publiquement que Taïwan et la Corée du sud ne faisaient pas partie du périmètre de défense américain. Le réveil brutal sonna en 1950 avec l’invasion de la Corée du sud par Kim Il Sung.

Note(s) :

[1Stilwell dont le caractère acariâtre et peu conciliant lui avait valu le surnom de « Vinegar Joe », haïssait Chiang Kai-shek qui le lui rendait bien. Stilwell avait tout de même poussé le manque de diplomatie jusqu’à suggérer à Chiang Kai-shek de faire commander l’armée chinoise par un général américain. Son successeur, le général Wedemeyer n’était pas moins critique. Il avait souligné les défauts d’organisation de l’armée nationaliste et l’incompétence des responsables, ce qui heurta beaucoup les généraux nationalistes.

Mais dans un rapport très remarqué au Président Truman en 1947, il mettait en garde contre la dégradation de la situation dans le nord-est chinois au profit de l’URSS et des troupes maoïstes et suggérait une augmentation de l’aide américaine et même une mise sous tutelle onusienne de la Mandchourie. Il ne fut écouté qu’en partie par Truman, tandis que l’idée de la mise sous tutelle onusienne rencontra une violente opposition des Chinois nationalistes.

[2Le 21 avril 1927, citée par Jay Taylor, les Izvestia rendirent publique, avec l’accord de Ching-kuo, une lettre qu’il avait adressée à son père qu’il concluait par « la révolution est la seule chose que je connaisse, je ne vous reconnais plus comme mon père ».


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