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›› Editorial

Chine – États-Unis. Le choc des entêtements, stigmate de la rivalité stratégique globale

Le choc des obstinations.

Quels que soient les griefs assez souvent justifiés adressés à la Chine, de manipulation du marché par les subventions publiques aux grands groupes, de captations illégales de technologies par le chantage à l’accès au marché et de maquillages des brevets par la sinisation d’inventions anciennes (lire : L’innovation avec caractéristiques chinoises., par l’avocat d’affaires français Paul Ranjard), il apparaît de plus en plus douteux que la bonne stratégie pour faire entrer la Chine dans les normes commerciales ouvertes et régulées à l’occidentale, soit cette offensive jusqu’au-boutiste et sans nuance.

La forme d’abord qui, on le sait, finit par conditionner le fond, installe une rancœur portant le risque de fermer toutes les marges manœuvre. Le fond ensuite, pousse Pékin dans les retranchements existentiels de son système politique et socio-économique. Dans cette vision holistique de concentration de tous les pouvoirs, les entreprises publiques y sont en effet à la fois des acteurs économiques et des pourvoyeurs d’emplois.

Dans le système chinois, le rôle social anti-chômage des industriels prend si nécessaire et sans états d’âme le pas sur la rigueur comptable. L’État, en 2e ligne, vient en appui des groupes publics pour combler les déficits résultant de l’abandon par les PDG pour des raisons sociales des stricts critères de compétitivité économique.

Dès lors, on voit mal comment le parti cèderait aux réclamations de Trump sans se mettre lui-même en danger. Ces réalités expliquent en grande partie les actuels raidissements. Sans compter qu’en cette année du 70iéme anniversaire du Parti au pouvoir, il est impossible de donner publiquement l’impression de céder à des pressions extérieures.

Quand les deux parties s’accusent mutuellement de ne pas avoir tenu leurs promesses formulées lors des négociations, il faut garder en mémoire que certaines d’entre-elles, si elles étaient poussées à leur terme, présenteraient le risque de déstabiliser les fragiles équilibres politiques chinois.

Croire que le régime très attentif à son opinion interne dont le nationalisme a été porté au rouge, cèdera aux injonctions américaines surtout si elles sont publiques, est une illusion.

Il n’y pas de solution « définitive » et « une fois pour toutes » à ces controverses fondamentales, dont le point commun en Chine et aux États-Unis semble qu’elles sont portées par l’obstination.

Dommages collatéraux.

En attendant, le télescopage des « valeurs » dont les tensions commerciales ne sont qu’un des symptômes, provoque déjà son lot de dommages collatéraux.

Alors que le monde occidental semble prendre la mesure des effets pervers économiques, culturels et écologiques du « tout commerce » et de la « mondialisation heureuse », poussant à la consommation et assez souvent au gaspillage, épine dorsale du retour de puissance à la chinoise, les blessures apparaissent en Chine et aux États-Unis.

Déjà analysées par QC pour ce qui concerne la situation chinoise (lire : L’armistice Chine - Etats-Unis ne rassure pas les acteurs.), leurs morsures se font également sentir aux États-Unis.

Une récente enquête de la Chambre de Commerce américaine signale que 40% des PME n’ayant pas la surface financière des grands groupes vont réduire leurs investissements et ont l’intention de quitter la Chine, effrayées par les conséquences de la guerre tarifaire.

(Note : Les dernière salves tirées par la Maison Blanche augmentent de 10 à 15% les taxes mises en œuvre a/c du 1er septembre sur 300 Mds d’exportations chinoises ; le 1er octobre, celles concerneront 250 Mds de produits chinois dont les droits à l’importation passeront de 25 à 30%).

*

Le 24 août Reuters faisait le point des dommages subis par les États-Unis dans cette guerre au couteau, au moment où Pékin – dont la marge de manœuvre réduite par la moindre quantité de ses importations américaines est, sur ce terrain, forcément moins grande que celles de Washington -, augmentait de 10% les droits de douanes existant sur 75 Mds de produits américains entrant en Chine.

Globalement le surcoût des importations chinoises qui frappe aussi les produits américains de hautes technologies fabriqués par les groupes américains délocalisés en Chine, a, selon un rapport de JPMorgan Chase, augmenté les dépenses annuelles des ménages américains de 600 Mds de $ qui pourraient atteindre 1000 $ après les derniers droits de douane infligés par D. Trump.

Clairement les secteurs les plus touchés sont l’agriculture et les hautes technologies, ordinateurs et téléphones portables.

La Maison Blanche dont la base électorale est en partie appuyée sur les fermiers du Middle-West a compris la menace sur l’agriculture. Après l’effondrement des importations de soja par la Chine, premier client – au plus bas niveau depuis 2002 et en baisse de 95% depuis 2015 -, elle a octroyé 28 Mds de $ de subventions, dont 8,6 Mds ont déjà été alloués.

Les hautes technologies sont également durement touchées. Selon l’Association des consommateurs, la guerre des taxes coûte 1,3 Mds de $ par mois et les dernières hausses augmenteront le prix des ordinateurs portables de 120 $ et celui des jeux vidéo de 56 $. Apple qui produit en Chine, est parmi les plus impactés. A Wall Street le groupe à la pomme a perdu 100 Mds de capitalisation, tandis que le prix de son iPhone pourrait grimper de 14%.

Les prix de ses derniers modèles d’écouteurs sans fil (AirPod) « d’enceintes intelligentes » HopePod ou de sa montre connectée Apple Watch, produits phares de la marque ayant permis de compenser le tassement de ses ventes en Chine, augmenteront eux aussi de 14% en septembre.

La bourse de New-York encaisse le coup. Mais moins sévèrement que ne le disent les commentateurs, essentiellement parce que l’économie américaine se porte bien, notamment grâce à la force de la consommation à +4,3% qui compense la faiblesse de la production industrielle, au plus bas depuis près de 10 ans.

Craignant une envolée des prix aux États-Unis, les investisseurs restent en effet frileux. En 10 jours, plus de 1000 Mds de capitalisation se sont réfugiés ailleurs. Le 26 août, cependant après une déclaration optimiste de Trump au G7 de Biarritz sur la reprise des négociations, les indices étaient repartis à la hausse.

Enfin, l’indice Composite du NYSE qui était à la hausse depuis le 30 octobre 2016, jusqu’au 22 janvier 2018, période pendant laquelle il a gagné +37% , est, depuis cette date, secoué par d’incessantes variations, effets directs des chauds et froids de la guerre commerciale.

Quant aux prévisions de croissance de l’économie américaine pour le 2e trimestre elles sont de +2,1 % , au-dessus des précédentes prévisions, alors qu’en mai dernier l’OCDE qui appelait Washington et Pékin à dialoguer, avait une nouvelle fois abaissé sa prévision 2019 pour la croissance mondiale à 3,2%.

Ces escarmouches éclatent alors que les hautes-technologies échappent aux échanges normalisés du libre commerce et deviennent de plus en plus des éléments de sécurité nationale. L’affaire Huawei qui exacerbe la rivalité sur la 5G en est un des exemples les plus emblématiques. En avril 2015 et en août 2017, Jean-Paul Yacine et François Danjou avaient déjà fait le point sur l’âpreté de ces batailles.

Lire :
- Compétitions, libre marché, transferts de technologies et sécurité nationale. La psychose sino-américaine des microprocesseurs.
- L’impitoyable guerre des microprocesseurs. (Suite)

Dans ces secteurs, les affrontements impitoyables qui n’étaient pas que commerciaux, étaient déjà les prémisses de la rivalité stratégique globale sino-américaine qui s’exacerbe sous nos yeux.

*

Il faut se rendre à l’évidence, dans le vaste antagonisme sino-américain débordant largement les tensions économiques, on voit bien que l’entêtement commercial de la Maison Blanche exprimé brutalement, sans nuance, ni élégance, répond à la raideur opiniâtre de Pékin sur les questions géostratégiques de la Mer de Chine du Sud, de Hong Kong et de Taïwan.

Ce choc de cultures politiques résonne aujourd’hui d’une intensité nouvelle à la faveur des ambitions chinoises de retour de puissance sur le mode radicalement dissonant des « caractéristiques chinoises », tournant le dos au dogme occidental des valeurs démocratiques.

Il reste qu’au moment où TESLA défie la stratégie de TRUMP en Chine en empruntant 2 Mds de $ aux banques chinoises, l’audace d’un ingénieur-entrepreneur dont la tête est déjà dans l’espace, interroge clairement la pertinence de la stratégie du repliement.

Basée sur la confiance entre un entrepreneur emblématique et les finances chinoises, elle rappelle en tous cas que l’obstination parfois présentée comme la vertu des caractères bien trempés peut aussi conduire au cul-de-sac.

*

Allons plus loin. Sans sous-estimer les risques d’un tel projet d’ailleurs partagés par les finances chinoises, ni oublier le vaste choc stratégique sino-américain, quoi de plus valorisant pour la culture occidentale aux prises avec les contestations chinoises, que cette aventure des voitures électriques en Chine déjà objet d’un engouement d’une part importante de la classe moyenne.

Alors que l’énergie et sa production pour une grande part encore très carbonée en Chine, sont un des grands soucis de Pékin, quelle preuve plus enthousiasmante de l’esprit d’entreprise occidental que l’arrivée dans le « Vieil Empire » de ce groupe occidental champion des voitures électriques, des panneaux solaires et en pointe dans les études sur le stockage des énergies propres.

Encore le groupe américain devra t-il rester attentif au secret de ses recherches et de ses technologies.


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