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›› Editorial

Chine – Europe. Symbole d’un risque de dislocation globale, l’horizon de l’accord sur les investissements s’obscurcit

Alors qu’il avait été conclu à l’arrachée en décembre 2020, quatre mois plus tard, l’accord sur les investissements Chine – Europe (AICE) dont la ratification est en question, est devenu le symbole global de la dislocation de l’ordre international. Sur la sellette pour sa politique au Xinjiang, vivement critiqué par les pays occidentaux qui lui infligent des sanctions, Pékin se cabre et riposte. Avec l’appui de la Russie et d’une longue suite de pays dépendant de ses aides et de son commerce, le régime affirme qu’il ne cèdera pas à la pression des sanctions. Au contraire, ripostant à celles qui le frappent, il répond par ses propres représailles. Les ayant jugées « inacceptables », le parlement européen, qui a rejoint la ligne antichinoise de Washington, pourrait s’apprêter à mettre provisoirement à l’arrêt le processus de ratification de l’accord, jusqu’à ce Pékin mette fin aux sanctions.


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Alors que Katherine Tai, la ministre américaine du commerce disait récemment qu’elle espérait bientôt rencontrer son homologue chinois Wang Wengtao, 56 ans, successeur de Zhong Shan, pour une revue de la 1re phase des accords conclus le 15 janvier 2020 en Europe, voilà que la ratification de l’accord sino-européen sur les investissements est en difficultés à la suite des tensions entre Bruxelles et Pékin. Lire : Les non-dits de l’étrange accord commercial sino-européen ou l’improbable émancipation stratégique de l’UE.

Au moment où à la suite des États-Unis, du Canada et de la Grande Bretagne, Bruxelles avait condamné les abus de la Chine au Xinjiang contre les Ouïghour, le 22 mars dernier, Pékin ripostait sans délais par une collection de sanctions.

Elles ciblaient nommément des universitaires, deux instituts de recherche (l’Alliance danoise pour la démocratie et l’Institut Mercator allemand), et des responsables politiques européens, membres du parlement, dont ceux de la Commission des droits de l’Homme, ainsi que des responsables nationaux, ou de l’Union, membres des structures de la Politique Étrangère et de sécurité commune (PESC) issues du traité de Lisbonne [1].

Accusés d’avoir proféré des mensonges à propos des droits de l’homme en Chine et d’avoir « grossièrement interféré dans les affaires intérieures chinoises, en violation flagrante du droit international », tous sont, avec leurs familles et les institutions qui les abritent, interdits de Chine et privés de faire du commerce avec elle. Le 23 mars, Nicolas Chapuis ambassadeur de l’UE à Pékin était convoqué au Waijiaobu.

Pékin inflexible. L’accord sur les investissements en question.

Sous forte pression des ONG qui poussent au boycott des JO d’hiver de 2020, Pékin résiste au nom de la spécificité des « caractéristiques chinoises » et du principe souveraineté.


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La véhémence de la riposte du tac au tac par des sanctions contre des personnalités est une première. Sur la trajectoire de son « rêve » de retour de puissance, d’un « centenaire » à l’autre – celui de la création du Parti cette année et celui de son accession au pouvoir en 2049, dans un peu plus d’un quart de siècle -, la vivacité de la contre-attaque confirme la pugnacité combative du régime sous Xi Jinping.

Gardant un œil sur sa légitimité interne construite autour de l’efficacité de sa gouvernance comparée aux ratés des démocraties, l’appareil scruté par l’opinion, s’applique à cultiver une image de ferme résistance en protégeant becs et ongles les « caractéristiques chinoises » contre ses détracteurs, pour la plupart occidentaux, l’UE, le Canada et le Royaume Uni, s’étant officiellement associés aux sanctions américaines dénonçant la violation des droits des Ouïghours.

Pour autant, au-delà de l’étalage d’un raidissement spectaculaire, il apparaît qu’à l’intérieur de l’appareil, certains s’inquiètent de ses conséquences sur la ratification par le parlement européen de l’accord sur les investissements du 30 décembre 2020.

Le malaise est d’autant plus grand que l’Europe est récemment devenue le premier partenaire commercial de la Chine, avec près de 600 milliards d’€ - 700 milliards de $ -. Dans ce contexte, l’appareil qui s’applique à séparer les affaires de la politique, espère toujours une entrée en vigueur rapide de l’accord.

Mais à Bruxelles, l’humeur n’est pour l’instant pas aux concessions.

« La partie chinoise a terriblement sous-estimé les conséquences de ses sanctions », dit l’Allemand Reinhard Buetikofer des Verts, lors d’une conférence de presse, ajoutant qu’il ne voyait pas comment la ratification pourrait voir lieu avant deux ans. Bernd Lange, son collègue social-démocrate au parlement européen, estime que la ratification est au « congélateur » et qu’elle y restera longtemps.

Le 4 mai, la commission niait que la ratification avait été suspendue, mais reconnaissait que le contexte politique était devenu un obstacle. Pour le Letton Valdis Dombrovski, commissaire européen au commerce « l’actuelle ambiance des sanctions européennes et des ripostes chinoises n’était pas favorable à une ratification. »

Selon la député allemande Hannah Neumann, vice-présidente de la Commission des droits de l’Homme et membre de la Commission sécurité défense, la suspension du processus qui serait mis en veilleuse jusqu’à ce que Pékin lève ses sanctions, pourrait devenir effective si le parlement la votait à la fin du mois de mai.

Simultanément, confirmant que la politique et les affaires ne pouvaient être séparées, un communiqué de la Commission rappelait que l’accord sur les investissements ne devait pas être considéré de manière isolée mais bien dans le contexte de l’actuelle dynamique néfaste de la relation Chine – Europe. » (…).

(…) « Dans ce contexte », poursuit le communiqué, « les sanctions de représailles chinoises visant des membres du Parlement européen et toute une commission parlementaire sont inacceptables. Les perspectives de ratification dépendront de l’évolution de la situation. »

Lors de la visioconférence du 28 avril entre Li Keqiang et Angela Merkel, il apparaissait clairement à Berlin que l’optimisme autour de la relation s’était évaporé. A Pékin aussi, un officiel souhaitant rester anonyme, la jugeait en voie de crispation. En cause, les sanctions et leurs ripostes, mais pas seulement.

Depuis l’accord du 30 décembre dernier, la Commission et l’Allemagne ont adopté des lois compliquant sévèrement les investissements chinois. En Italie, on est passé d’un soutien enthousiaste aux Nouvelles Routes de la soie de Xi Jinping au blocage pur et simple des investissements envisagés par les entreprises chinoises.

En France, l’Ambassadeur de Chine s’est d’abord répandu en menaces contre une délégation conduite par l’ancien ministre de la défense et sénateur Alain Richard projetant de se rendre à Taïwan à l’été ; puis en insultes contre un chercheur qui relevait l’impudence très peu diplomatique de ses déclarations publiques.

La crispation Chine – Europe pourrait encore s’aggraver si, en Allemagne, les Verts, actuellement en tête dans les sondages parvenaient à se hisser au gouvernement du pays après les élections au Bundestag du 28 septembre prochain.

Note(s) :

[1Parmi les dix personnalités nommément ciblées, pour avoir « sévèrement porté atteinte à la souveraineté et aux intérêts de la Chine et avoir malicieusement diffusé mensonges et désinformation » se trouvent cinq députés européens.

Les Allemands Reinhard Butikofer de l’alliance des verts, Michael Gahler de la CDU, le Français Raphaël Glucksmann, apparenté socialiste, le Bulgare de la minorité turque Ilhan Kyuchyuk vice-président du Parti de l’Alliance des libéraux et des démocrates pour l’Europe et Miriam Lexmann, slovaque, chrétienne démocrate.

A leurs côtés, trois parlementaires nationaux, le Danois Sjoerd Wiemer Sjoerdsma, le Belge Samuel Cogolati, le Lituanien Dovile Sakaliene. Enfin, notons que l’anthropologue allemand Adrian Zenz qui travaille sur les minorités Ouïghour et tibétaines figurant sur la liste des sanctionnés a soulevé une polémique en assimilant la stérilisation des femmes Ouïghour à un génocide.


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