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›› Société

Contrôle des religions et grabuge autour d’une mosquée

Une affirmation religieuse identitaire.

Devenus minoritaires dans la province autonome du Ningxia pourtant créée à leur intention en 1928, très lointains descendants des marchands arabes, les Hui qui ne représentent plus que 36% de la population de la province - moins de 15% à Yinchuan, la capitale -, aux côtés d’une majorité de Han largement urbanisés, vivent pour la plupart en zone rurale.

Au cours des 20 dernières années, les études comme celles de David Stoup, expert américain des communautés musulmanes chinoises, montrent que les Huin ont accentué leurs pratiques religieuses pour compenser le prévalences des Han. La ferveur s’est développée en même temps que la croissance économique attisée par la politique de développement de l’Ouest lancée en 2000 par Pékin 西部大开发 - xi bu da kaifa - [1].

Aujourd’hui, plus prospères, les Hui, soucieux de marquer leur différence, ont cultivé leur attachement culturel à l’Islam. Mais, ajoute Stoup, s’il est vrai que des écoles coraniques ont été ouvertes, tandis que le nombre de pratiquants et de prières collectives a augmenté, les Hui se voient toujours eux-mêmes à la fois comme de bons patriotes et des religieux fidèles et exemplaires.

En les poussant à bout sans respecter leurs pratiques et leurs croyances, le pouvoir prend le risque d’en radicaliser une partie.

*

Le 9 août dernier, lors de la prière du vendredi à Weizhou 韦州镇 petite ville à 140 km au sud de la capitale provinciale Yinchuan, peuplée de moins de 30 000 habitants, dont 90% de Hui, une foule de fidèles s’est rassemblée pour prier afin, disent les témoins, de « protéger leur mosquée », dernière cible de la province engagée dans une campagne destinée à mettre un coup d’arrêt à « l’arabisation » et à « l’islamisation » rampante du Ningxia, dont la trace remonte au VIIIe siècle, à l’époque des Tang.

Trônant au milieu du village, la construction blanche hors de proportion avec le reste du voisinage semi-rural, couverte de dômes et de minarets avec des croissants d’or à leur sommet, est à la fois source d’inquiétude pour le Parti et la fierté des fidèles qui l’ont occupée pour la protéger de la démolition.

Essai de compromis.

Sur ordre de la province, la mairie a reculé et promis de ne pas détruire l’édifice, tout en exigeant qu’on efface les traces « d’arabisation » que sont les dômes dont 8 sur 9 devaient être remplacés par des toits traditionnels en pagode. « Impossible », disent les croyants, « sans les dômes à bulbe, la mosquée n’aurait plus rien à voir avec l’Islam. »

Depuis la situation est bloquée.

Examiné du point de vue chinois, soucieux de contrôler les religions sommées par le Parti d’accepter de se « siniser » et même de proposer elles-mêmes des initiatives pour mieux s’intégrer à l’environnement culturel chinois alors que la région est confrontée aux risques d’une possible contagion islamiste, le signal envoyé par l’ostentation architecturale de la mosquée est préoccupant.

Il l’est d’autant plus que, prenant un recul topographique et historique, les cadres du Parti constatent que « l’arabisation rampante » est clairement inscrite dans le paysage local.

Tongxin, exemple de « sinisation religieuse. »

La mosquée de Weizhou qui, comme certaines églises de l’Est et du Centre construites sans mesure, jure de manière ostentatoire dans le modeste environnement rural, est en effet située à moins de 80 km de la mosquée, de Tongxin, célèbre symbole d’une architecture religieuse intégrée à la culture chinoise. Située dans le même district que celle de Weizhou, la Grande Mosquée de Tongxin 同心 清真 大 寺, la plus ancienne et la plus vaste du Ningxia date de la dynastie Ming.

Avec son extérieur chinois et l’intérieur décoré d’arabesques musulmanes, elle est pour les cadres du Parti une synthèse idéale des cultures chinoise et musulmane [2].

*

En chine, l’architecture des mosquées adaptée ou non au style chinois varie selon les régions. Avec celle de Tongxin, les mosquées au style chinois les plus connues sont, entre autres, celles de Nujie (Xicheng – Pékin), Huaisheng (Canton), Jinan (Shandong), Xi’an (Shaanxi), Linxia (Gansu), Qiaomen (Hangzhou), Qufu (Shandong), Songjiang (Shanghai), Yuehu (Ningbo).

Il existe aussi des églises chrétiennes en style chinois, comme celle très spectaculaire de Dali au Yunnan, l’église du Salut à Wuhan dont la façade en briques rouges est un hybride chinois et occidental, la cathédrale Saint-Joseph à Guiyang à l’esthétique contestable, ou encore Notre Dame des 7 afflictions à Dangergou dans le Shaanxi, 100 km à l’Est de Xi’an.

Note(s) :

[1Lire : Chinese orientation to Islam in Hui Muslim heartland.

« Pékin, naturellement inquiet de l’influence du Wahabbisme, a entrepris de transformer l’apparence extérieure de certaines mosquées pour leur conférer un style architectural sinisé. Pour les nouvelles mosquées, la décision a été prise de rejeter les projets comportant des dômes. » (...) « Parallèlement à la répression des Ouïghour au Xinjiang, le Parti s’efforce de préserver l’arrière-plan sinisé de la pratique de l’Islam notamment au Ningxia. »

Selon un reportage de la journaliste Nectar Gan qui a également documenté en 2017 la répression contre les Chrétiens pour le South China Moning Post « la vaste campagne de sinisation religieuse s’accélère depuis un an. Dans toute la province du Ningxia les décors de style musulman et les panneaux en arabe sont prohibés. » (...) « Le bord des routes le long du fleuve jaune est jonché de dômes récemment retirés des bâtiments commerciaux. »

[2La vérité oblige à dire que, si parfois les mélanges sont réussis, l’hybridation du style architectural chinois avec l’art sacré musulman ou chrétien n’est pas toujours du meilleur goût.

C’est pourquoi, pour le Parti, d’autant plus inquiet des influences religieuses ostentatoires qu’elles résonnent avec ce qu’il perçoit comme un défi de sécurité de première grandeur au Xinjiang, le schéma de Tongxin avec l’intérieur décoré d’arabesques et l’extérieur semblable à un forteresse chinoise de la route de la soie, outre qu’il ménage les apparences sinisées, a en plus le mérite d’éviter les hybridations de mauvais goût.


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