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Le 5 septembre dernier, « un cygne noir » qui dans l’imaginaire chinois très superstitieux annonce une catastrophe, s’est posé sur la place Tian An Men, suscitant la curiosité des touristes présents. Est-ce un présage ? a twitté un des témoins. En janvier, dans un discours au Bureau Politique, Xi Jinping lui-même avait incité ses compatriotes à se préparer à l’apparition de « Cygnes noirs ». Au cours de la matinée, l’animal a été évacué de la place et transporté vers Shunyi au nord de Pékin.
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Les informations souvent incomplètes fleurissent sur l’économie chinoise ; elles sont aussi contradictoires.
Il est exact que, venant de la source officielle du BNS ou du pouvoir, elles n’hésitent plus à sonner l’alarme, en prenant cependant la précaution d’attribuer en partie les risques aux désordres de l’économie mondiale.
En mars dernier, Guo Shuqing ayant la double casquette de secrétaire du Parti de la banque centrale et de président de la Commission de régulation des assurances et des banques, s’est dit « très préoccupé » par les risques posés à la fois par les « bulles » spéculatives de la finance globale et celles du marché immobilier chinois.
Depuis, la bourse de Hong Kong ne cesse de chuter. Entre la mi-février et la mi-septembre elle a, malgré quelques rebonds en avril et juin, perdu 20%. En même temps, les chiffres chinois qui soulignent le rebond des exportations et la forte reprise économique, manquent souvent les parties négatives de l’image sur l’endettement, le niveau de l’inflation et le taux chômage, notamment des jeunes.
Quant aux observateurs extérieurs, ils sont partagés entre, d’une part, un optimisme raisonné qui spécule sur la forte capacité du système chinois à encaisser les chocs et, d’autre part, l’analyse des risques systémiques articulés à l’accumulation des dettes et au déséquilibre de l’économie dont une part excessive s’appuie sur l’immobilier [1], signes avant-coureurs d’une secousse grave.
Rebond du commerce extérieur, inquiétudes et vents contraires.

Le 6 septembre, Liu He Vice-premier ministre s’exprimait à l’ouverture de la 7e exposition du numérique à Shanghai qui accueillait 300 exposants avec 75% des invités appartenant aux 500 groupes les plus riches de la planète, de secteurs aussi variés que la grande distribution, les produits chimiques ménagers, la finance, la production industrielle et internet.
Son discours qui réagissait aux inquiétudes sur la stabilité économique après les féroces attaques du pouvoir contre les grands groupes privés du numérique et les sociétés de soutien scolaire, visait à réaffirmer la confiance de l’appareil dans l’entreprise privée dont il a dit qu’elle était la clé de l’emploi, de l’adaptation structurelle et de l’innovation.
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Alors que la Chine a mieux résisté que les autres grandes économies à la crise épidémique, les signes contradictoires continuent à susciter la perplexité. En août, la valeur des exportations a augmenté de 25,6% par rapport à la même période de 2020, tandis que les importations ont bondi de 33,1%, le commerce chinois ayant pour ce seul mois atteint la valeur de 529 Mds de $.
Au bilan du premier semestre 2021, le total des échanges de la Chine avec le monde était de 2800 Mds de $, soit environ 16,4% du commerce des pays du G.20, lui-même en hausse moyenne de 5% (chiffres OCDE et Banque Mondiale).
Mais parallèlement, l’agence Fitch Ratings de Hong Kong, signalait l’apparition récente de vents contraires sur de nombreux fronts, remettant en cause les prévisions initiales de croissance à 8,4% pour 2021.
Les investissements d’infrastructure, élément essentiel du plan de relance budgétaire ont chuté depuis avril, ralentis par le dynamisme moins grand des provinces. Échaudées par la reprise en main politique et la crainte de créer de nouvelles dettes, elles n’ont pas atteint les quotas d’obligations et d’emprunts liés à l’infrastructure.
Les menaces pesant sur les perspectives sont devenues évidentes après que les efforts pour éteindre une modeste vague de cas de Covid-19 en juillet-août aient entraîné une restriction temporaire mais généralisée des transports. Surtout, le retour par endroits de la crainte épidémique et la frilosité des provinces ont coïncidé avec un repli massif du secteur immobilier.
Moteur essentiel de la croissance, la construction a ralenti en partie en raison des politiques visant à limiter l’endettement des promoteurs, à freiner les achats spéculatifs de logements et à contenir l’inflation des prix de l’immobilier (voir la note [1]). Le recadrage qui a jeté un froid, suivait directement la tempête de régulations ayant frappé le secteur des géants du numériques et celui du soutien scolaire.
Il s’est traduit par une hausse de la volatilité après que de nombreux investisseurs se soient brulés les doigts. Pris à contrepied, certains ont crié au scandale ; d’autres ont appelé à une plus grande prévisibilité dans la réglementation publique du marché des capitaux. Selon un témoin, membre d’une société chinoise cotée à New-York, resté anonyme et cité par Caixin « l’intrusion politique brutale dans le jeu économique n’était pas prévue avec une telle vigueur. »
Le 6 septembre, le vice-premier Liu He, diplômé de la Harvard Kennedy School, figure emblématique de l’économie chinoise qui en, 2018, fut en première ligne des tentatives d’apaisement de la guerre économique menée par l’administration Trump, a senti les risques et tenté un contrefeu.
Affirmant que « le soutien public à l’économie privée n’avait pas changé et ne changera pas à l’avenir », il a assuré que les entrepreneurs non étatiques au cœur des projets d’innovation chinois, joueront à l’avenir un plus grand rôle dans la stabilisation de la croissance et de l’emploi.
Les inquiétudes n’ont pas été calmées, d’autant qu’à la suite de Huarong, brutalement mis au pas et recadré par l’appareil sur sa mission initiale de défaisance des dettes toxiques dont il ne s’était acquitté qu’à la marge, préférant se répandre en investissements affairistes mâtinés de corruption [2], surgit un nouveau « cygne noir ».
Note(s) :
[1] En 2019, la valeur totale des transactions immobilères s’était élevée à 16 000 milliards de Yuan (2500 milliards de $) soit plus de 20% du PIB. En 2009 et 2019, cette part a été multipliée par 3,6.
La tendance souligne le déséquilibre de la croissance chinoise et justifie les déclarations de Xi Jinping datant déjà de 2016 « les appartements sont faits pour y habiter et non pour spéculer - 房子是用来住的, 不是用来炒的 ! » Récemment Han Zheng, n°7 du comité permanent avait renchéri en rappelant qu’il était dangereux de stimuler l’économie à court terme en utilisant le levier de l’immobilier.
[2] Hormis quelques exemples vertueux comme Huawei, la tendance générale des conglomérats chinois est de se diversifier sans mesure, au point qu’assez souvent, ils perdent le cœur de leur raison d’être.
Ainsi Evergrande, 200 000 employés +3,8 millions d’emplois indirects, créé par Hui Ka Yan, est à la tête de 45 millions de m2 de biens immobiliers dans 22 villes chinoises.
Il s’est aussi investi dans l’eau minérale, la santé, les assurances, le numérique, les panneaux solaires, l’élevage de cochons ou encore les parcs de loisirs et les centres commerciaux. Récemment il a tenté de vendre sans succès sa filiale de voitures électriques dont la production est restée au point mort.