›› Taiwan

Le 8 mars, lors d’une conférence de presse en marge de la réunion annuelle de l’ANP, Qin Gang ancien ambassadeur à Washington, récemment rentré des États-Unis et nouveau MAE, se référant au texte de la Constitution stipulant la souveraineté du Continent sur l’Île et rappelant qu’il s’agit d’une question strictement intérieure, a mis en garde Washington contre un risque d’escalade « Toute erreur dans la gestion de la question taïwanaise remettra en cause les fondements de notre relation avec les États-Unis. ».
Faisant le lien avec la guerre en Ukraine il a interrogé « Le peuple chinois a le droit de demander pourquoi les États-Unis parlent-ils de respecter la souveraineté et l’intégrité territoriale sur la question de l’Ukraine, mais ne respectent-ils pas la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Chine sur la question de Taiwan ? » et « Pourquoi alors que [les États-Unis] continuent de parler de maintenir la paix et la stabilité régionales, ils formulent secrètement un soi-disant plan pour détruire Taiwan ?
Enfin, au passage, il a adouci le ton en s’adressant aux Taïwanais, soulignant que la plus grande menace (pour la paix) provenait des « forces indépendantistes ».
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Le 8 mars, lors d’une conférence de presse en marge de la réunion de l’ANP commencée le 4 mars, le nouveau ministre des Affaires étrangères chinois, ancien ambassadeur aux États-Unis Qin Gang 秦刚 répétant en substance les alertes de Xi Jinping du 7 mars, a mis en garde les États-Unis sur les risques d’un conflit dans le Détroit s’ils continuaient à abuser de leur puissance hégémonique pour « s’ingérer dans les affaires intérieures d’autres pays, favoriser la subversion par infiltration et mener délibérément des guerres portant préjudice à la communauté internationale ».
Dans ce contexte d’extrême tension, il faut revenir sur les propositions de 14 sinologues et professeurs d’université (pdf) du groupe spécial de réflexion sur les relations sino-américaines de l’ONG pan-asiatique « Asia Society. ».
Tirant les leçons des derniers tirs de missiles dans le Détroit en riposte à la visite dans l’Île de Nancy Pelosi, le 2 août 2022 (lire : La 4e crise de Taïwan. Quels risques d’escalade ?), la note rappelle en préambule qu’aucun des trois gouvernements concernés ne veut la guerre, mais elle précise aussitôt que tous doivent éviter d’adopter des attitudes poussant à l’escalade qui pourraient forcer la partie adverse à déclencher un conflit.
Après avoir rappelé les invariants des tensions dans le Détroit dont la résolution est improbable à court terme (cf. l’Annexe) la note rappelle que dans le contexte où la Chine devenue à la fois plus agressive et prête à modifier le statuquo, ayant en même temps notablement augmenté ses capacités militaires dont celle de tenir à distance les porte-avions américains, le défi politique minimum consiste à empêcher les tensions de déraper vers un conflit militaire ouvert destructeur ayant dit la note « le potentiel d’une escalade vers un affrontement nucléaire. »
A cet effet, les auteurs définissent un principe stratégique de sauvegarde consistant pour toutes les parties à préserver un équilibre efficace entre, d’une part, la dissuasion interdisant une initiative intempestive et, d’autre part, l’assurance que si elles s’imposent une retenue, elles n’en seront pas les victimes.
« Dissuasion » et « Assurance », les clés anti-escalade se brouillent.

La photo montre l’élan de la foule taïwanaise en faveur de Tsai Ing-wen lors de la campagne électorale de 2019-2020.
En 2020, la répression contre les démocrates dans la R.A.S de Hong Kong aujourd’hui placée sous le contrôle de la « Loi sur la sécurité nationale » avec à sa tête le gouverneur Lee issu de la police, avait favorisé la réélection de Tsai Ing-wen, pourtant en difficultés dans les sondages. Aujourd’hui, le message de l’opinion de l’Île et des élites taïwanaises quelles qu’elles soient portant le projet d’un pays souverain en rupture avec le Continent n’est plus en mesure de « rassurer » Pékin que l’Île démocratique depuis 1988 – défi idéologique au Parti communiste chinois -, restera politiquement attachée au Continent. Lire : Investiture du gouverneur Lee à Hong Kong. La fin d’un cycle.
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Éviter la guerre dans le Détroit exige en effet d’abord que toutes les parties soient dissuadées : « 1) Que Taïwan soit dissuadée de déclarer son indépendance formelle ; 2) Que les États-Unis soient dissuadés de reconnaître Taïwan comme un État indépendant ou de restaurer l’alliance historique entre l’Île et Washington ; 3) Que la République de Chine soit dissuadée d’utiliser la force contre Taiwan pour la contraindre au rattachement. »
Le deuxième volet du schéma est l’assurance donnée à chacune des parties. Non seulement toutes les parties doivent être menacées de préjudice – condition de la dissuasion - si elles franchissaient les lignes rouges rappelées ci-dessus, mais elles doivent également être assurées que leur retenue n’entraînera pas des pertes catastrophiques ou ne portera pas atteinte à leurs intérêts.
Dans le jeu triangulaire Chine-Taïwan-États-Unis, le couple « dissuasion – assurance » a réussi à maintenir la paix dans le détroit de Taiwan pendant plus de 40 ans. Aujourd’hui, la montée des tensions et l’évolution des rapports de forces ont fragilisé l’équilibre.
Depuis 2017, le volet « dissuasion » de l’équilibre triangulaire n’a cessé de s’affaiblir de toutes parts.
La partie taïwanaise et son opinion publique ne diffusent plus clairement le sentiment que, même si elle n’était pas agressée, l’Île ne déclarerait pas l’indépendance. Le premier facteur de cette évolution est l’éloignement de l’opinion publique taïwanaise détaillé dans l’Annexe.
Selon un sondage de l’Université Nationale du 13 janvier 2023, alors qu’entre 1994 et 2022, le pourcentage des sondés favorables à la réunification est tombé de 4,4% à 1,2%, les réponses en faveur du statuquo additionnées à celles du « statuquo en attendant l’indépendance » sont passées de 46,5% à 54,1%. Parallèlement, malgré les menaces militaires de Pékin, les opinions favorables à une « déclaration d’indépendance dès que possible » sont passées de 3,1% à 5,6%.
Mais le plus significatif d’une fracture avec le Continent est (cf. l’Annexe) que 83% des 18 – 29 ans se sentent plus Taïwanais que Chinois, quand la moyenne des tranches plus âgées exprimant un attachement plus Taïwanais que Chinois est voisine de 60%.
Les surenchères de la démocratie taïwanaise et l’agressivité de Pékin

Il y a un an, en réponse à Pékin qui traitait le KMT de « séparatiste », Eric Chu son président avait répliqué : « Nous sommes le parti de la République de Chine – 我們 是 中華民國 派 ». Disant cela il ramenait les tensions à hauteur des rivalités de l’histoire entre Tchang Kai-chek et Mao sur fond d’unité de la Chine.
En même temps, la vérité est que pour s’ajuster à l’opinion, la ligne politique du KMT qui privilégiait la réunification a évolué pour elle aussi promouvoir la souveraineté de l’Île. Enfin s’il est vrai que le parti n’a pas abandonné le projet de « réunification », il rappelle sa ligne politique selon laquelle il rejette tout rattachement avec une Chine gouvernée par le Parti Communiste. Ce qui reporte le projet de rattachement du KMT aux calendes grecques.
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Le jeu politique interne à l’Île, marqué par la rivalité entre le KMT et le DPP, troublé par l’émergence de la troisième force des « Indépendants », (lire notre article : Le DPP secoué par les élections locales. Retour des Chiang. La nébuleuse des « Indépendants », troisième force potentielle), est lui-même, par l’effet des surenchères électorales, un facteur de bouleversement du paysage politique de l’Île.
S’il est vrai que Tsai Ing-wen n’a pris aucune initiative susceptible de provoquer une riposte militaire, elle n’a pas non plus assuré Pékin qu’elle ne ferait pas évoluer le statut de l’Île vers l’indépendance de droit. Même si officiellement son Parti a abandonné l’idée de déclarer une indépendance formelle, Tsai affirme aujourd’hui que l’Île est un pays souverain et que tout changement dans ce statut devrait être approuvé par une consultation électorale des Taïwanais.
Pour sa part le Guomindang (KMT), pris dans sa compétition électorale avec le DPP et compte tenu de l’état de l’opinion, maintient lui aussi que la République de Chine est une entité souveraine et indépendante.
Cette position, forcée par la compétition électorale avec le parti de Tsai Ing-wen qui privilégie le maintien du statuquo d’autonomie aussi longtemps que possible, constitue une évolution par rapport à la pensée traditionnelle du vieux parti nationaliste qui privilégiait ouvertement un éventuel rattachement au Continent.
La partie chinoise a certes mis efficacement en œuvre une très crédible dissuasion par le développement d’une panoplie de missiles de plus en plus précis et de menaces mises en œuvre de manière tonitruante. S’il est exact qu’elle a tenu à distance le risque de rupture officielle de l’Île, il n’en est pas moins vrai qu’elle a manqué de lui offrir l’assurance qu’à terme elle renoncerait à une opération de vive force, même si l’Île se gardait de franchir le Rubicon de la déclaration d’indépendance.
Les effets de cette impasse sont catastrophiques.
Au lieu d’assurer les Taïwanais que leur retenue tenant sous le boisseau leur pulsion indépendantiste ne nuirait pas à leurs intérêts, le Parti communiste au pouvoir a non seulement considérablement augmenté les pressions militaires sur l’Île, avertissant au passage qu’il passerait à l’attaque s’il ne parvenait pas au rattachement par des moyens pacifiques, mais il a de surcroît fixé la date limite de l’intégration de l’Île au centième anniversaire de son magistère en Chine, en 2049 que Xi Jinping assimile à l’achèvement du « rêve chinois de renaissance 中国 复兴 梦 ».