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Le G.20 de New-Delhi d’où Xi Jinping était absent, qui faisait suite à l’éclatante réussite chinoise du sommet des BRICS de Johannesburg, a clairement rebasculé la focale de la géopolitique mondiale vers l’Inde. Courtisé par l’Occident en sévère rivalité avec la Chine, New-Delhi est un point d’entrée et un relais vers les pays du Sud-Global devenu l’enjeu d’une compétition stratégique planétaire.
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Alors que les spéculations sur les raisons de l’absence de Xi Jinping à New-Delhi [1], continuent d’occuper le cercle des experts sinologues, la réunion du G.20 de New-Delhi des 9 et 10 septembre à laquelle le nº1 chinois s’est fait représenter par le premier ministre Li Qiang, fut un exercice de haute acrobatie diplomatique dont la substance était moins vaine que ne l’affirment certaines critiques.
Il est exact que le ton du sommet était entièrement calibré pour servir la réputation d’habileté de Narendra Modi articulée à l’ambiguïté de son positionnement stratégique.
On y retrouve : l’attention portée par l’Inde au « Sud-global » ; la spectaculaire admission de l’Union Africaine comme membre permanent compense l’absence du terme Sud-Global dans la déclaration ;
Sa proximité historique avec Moscou, l’autonomie par rapport à l’Occident et aux États-Unis et, en même temps, la solidarité indienne avec les alliés de Washington dans le Pacifique Occidental face à l’élargissement de l’empreinte chinoise.
Quand nombre de commentateurs avaient relevé la disparité des positions et des agendas, le simple fait que le groupe ait réussi à publier un communiqué commun le 9 septembre, a été présenté par Modi comme un succès : « Grâce au travail acharné de nos équipes et à la coopération de vous tous, un consensus a été atteint sur une déclaration du sommet du G20 de New Delhi ».
Le commentaire du « sherpa » de Modi, Amitabh Kant, 67 ans, chercheur et diplomate à la retraite, exprimait clairement les intentions initiales du très nationaliste et très populaire Premier ministre indien, parfois critiqué en Inde même pour son arrière-plan hindouiste traversé par des réminiscences sectaires antimusulmanes :
« La déclaration adoptée à 100% souligne la grande capacité de l’Inde à rassembler tous les pays en développement, tous les marchés émergents, la Chine, la Russie, tout le monde autour de la même table et à parvenir à un consensus ».
Pour faire bonne mesure et insister sans ambiguïté sur le mérite de Narendra Modi qui, pour sa part, évoquait « un moment historique », Kant a ajouté que la déclaration commune portait « une puissante empreinte indienne liée à son histoire. »
Comme le souligne le vieux quotidien économique japonais Nikkei Asia, la formulation du communiqué est « plus souple » que celle du précèdent G.20 à Bali. Il y manque par exemple la mention selon laquelle « la plupart des membres condamnent fermement la guerre en Ukraine et déplorent dans des termes les plus forts l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine ».
Au-delà de la scénographie, une réelle substance stratégique.

Le 9 septembre, Modi, Joe Biden et Mohamed Ben Salan évoquaient le projet de connexion de l’Inde avec le Moyen Orient et l’Europe, par voies maritimes et terrestres.
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Pourtant, au-delà de l’habileté équilibriste d’auto-promotion de Narendra Modi qui, deux semaines après le sommet des BRICS, cherchait sans doute à détourner les feux de la scène mondiale trop concentrés sur la Chine de Xi Jinping [2], on constatera que plusieurs paragraphes du texte de la déclaration n’ont pas éludé l’essentiel, faisant écho à la fois à la guerre en Ukraine et aux tensions dans le détroit de Taïwan.
Même si la condamnation de Moscou n’est pas aussi directement explicite que celle de Bali, il n’en reste pas moins que plusieurs pays qui s’étaient abstenus de condamner l’agression russe en mars 2022 à l’ONU (lire : Conflit ukrainien. L’ambiguïté chinoise) dont la Chine et l’Afrique du sud, ont signé la déclaration préparée par les équipes de Modi.
« Tous les États doivent s’abstenir de la menace ou du recours à la force pour rechercher une acquisition territoriale contre l’intégrité territoriale et la souveraineté ou l’indépendance politique d’un autre État » et, directe critique de Vladimir Poutine, sur ce point très isolé, en dépit de la longue proximité sino-russe : « L’utilisation ou la menace d’utilisation d’armes nucléaires est inadmissible ».
Enfin, malgré la position de certains arguant que le G .20 ne devrait pas être autre chose qu’un forum de coopération économique, le texte pointe du doigt les impacts négatifs du conflit en Ukraine qu’il s’agisse des souffrances humaines, des équilibres alimentaires - allusion directe aux tensions sur les céréales -, de la sécurité énergétique, des chaines d’approvisionnement, de la stabilité macro-financière, de la croissance, de l’inflation et de la pérennité des efforts pour le climat, notamment dans les pays les moins développés.
S’il est exact que le développement et l’inclusion des pays du « Sud Global » ont clairement été au cœur du sommet, il y eut aussi le souci de contrer l’influence des banques et des groupes de construction chinois le long des nouvelles routes de la soie.
Ainsi, le projet « India-Middle East-Europe Economic Corridor » articulé des infrastructures ferroviaires et portuaires, porté par l’Inde, les États-Unis, l’Arabie saoudite, les Émirats, la France, l’Allemagne, l’Italie et l’UE visera à faciliter les flux de sources d’énergie et le commerce des pays du Golfe vers l’Inde et l’Europe.
Selon le texte de l’accord de principe signé le 9 septembre, les partenaires du projet entendent :
« Relier les deux continents à des pôles commerciaux et faciliter le développement et l’exportation d’énergie propre ; Poser des câbles sous-marins ; Raccorder les réseaux énergétiques et les lignes de télécommunication pour étendre un accès fiable à l’électricité ; Permettre l’innovation dans les technologies avancées d’énergie propre ; et Connecter les communautés à un Internet sécurisé et stable. »
« Concrètement il s’agit de stimuler le commerce et l’industrie manufacturière existants, de renforcer la sécurité alimentaire et les chaînes d’approvisionnement et de stimuler la création d’emplois de qualité. A cet effet, débloquer de nouveaux investissements de la part de partenaires, y compris du secteur privé. »
Une autre initiative rivale de la force de frappe financière chinoise dont l’ampleur de 1500 milliards de $ touche 150 pays de la planète, a convenu d’étendre la capacité de prêt des banques multilatérales de développement (BMD).
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Pour sa part Li Qiang a, en l’absence de Xi Jinping, poussé un agenda chinois d’apaisement des tensions avec les pays occidentaux.
En marge du sommet, il a notamment rencontré le président américain, qui s’est félicité d’un échange cordial et sans esprit de confrontation à propos du « Sud Global », la présidente de la Commission européenne, Ursula Von Der Leyen à qui il a fait valoir que « La prévention des risques n’excluait pas la coopération, et que l’interdépendance ne devait pas être assimilée à l’insécurité », et l’Italienne Georgia Meloni.
Se plaçant dans l’héritage de Silvio Berlusconi, elle a compensé la récente annonce de Rome de quitter les « Nouvelles routes de la soie » en promettant de revitaliser l’accord bilatéral de coopération économique signé avec Pékin en 2004.
Le thème de l’apaisement avec la Chine était aussi à l’honneur lors de la rencontre en marge du sommet entre le Japonais Fumio Kishida et le Coréen Yoon Suk Yeol qui tous deux ont promis de s’efforcer de relancer les « réunions trilatérales » incluant la Chine.
Note(s) :
[1] Elles vont des soudaines tensions militaires sino-indiennes surgies à la frontière de l’Himalaya après la publication par Pékin de ses revendications territoriales (routinières, dit le Parti) à propos de l’Arunachal-Pradesh et de l’Aksaï-Chin, contre lesquelles New-Delhi avait officiellement protesté le 29 août, aux hypothèses de tensions internes à l’appareil politique chinois ayant dominé la réunion annuelle de Beidaihe 北戴河, début août.
Au passage on évoque aussi les inquiétudes sur la situation socio-économique affaiblie par la crise de l’immobilier, le chômage des jeunes et le ralentissement de la production industrielle à la source du freinage systémique de la croissance.
Une autre mouvance d’analystes comme Amanda Hsiao experte de la Chine à « International Crisis Group » expliquent que le boycott du G. 20 pourrait être une « tactique de Xi pour se faire désirer » ; d’autres, moins crédibles, avancent que l’absence de Xi exprimerait une solidarité avec Vladimir Poutine, objet d’un mandat d’arrêt de la CPI.
[2] Le but est atteint notamment parce que l’habileté est aussi parvenu a convaincre le MAE russe Lavrov à signer une déclaration critique de Vladimir Poutine, marquant ainsi une évolution de New-Delhi qui, le 2 mars 2022 à l’ONU, faisait avec la Chine partie des 35 pays s’étant abstenu de condamner l’agression russe contre l’Ukraine. D’où les éloges du Président Sud-Africain qui lui aussi s’était abstenu en mars 2022.