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Il y a 50 ans la France reconnaissait la Chine communiste. L’envers du décor

Mirages et traumatismes de la révolution culturelle

Les hommes politiques français qui visitèrent la Chine en amont de la reconnaissance, soit mandatés par De Gaulle, soit de leur propre chef n’avaient pas non plus perçu qu’après le naufrage du grand bond en avant, Mao se trouvait en graves difficultés au sein du Bureau Politique. Quand François Mitterrand rencontra Mao Zedong à Hangzhou en 1961, le Grand Timonier s’était, après les tumultes de Lushan en juillet 1959 et les critiques acerbes de Peng Dehuai, lui-même placé en exil volontaire dans la métropole du Zhejiang et se préparait à prendre une retraite momentanée qui deviendra officielle après son autocritique en juin 1961.

Mais, dans un article publié par l’Express, le 23 février 1961, le futur président de l’union de la gauche, interpréta la situation tout autrement : « Mao avait adopté depuis trois ou quatre ans un rythme de vie ménager de sa santé et avait abandonné à Liu Shaoqi, Zhou Enlai et Deng Xiaoping le direction effective des affaires. De plus en plus souvent, il se retirait dans ses résidences provinciales et, loin des soucis quotidiens du pouvoir, curieux de toute innovation, intensément attentif aux besoins de son peuple (sic), rayonnait alentour ». Et, tout de même, ce contresens factuel et historique ravageur : « Mao n’est pas un dictateur », mais un « humaniste » et « le peuple chinois n’est en aucun cas au bord de la famine ».

Surtout, indice très inquiétant de l’autisme des élites françaises, enfermées dans le harnachement idéologique qui occulte leur perspicacité, de passage à Hong Kong, Mitterrand ne voulut pas écouter le pragmatisme du Consul général Soulié et, contre l’évidence, lui expliqua que les communes populaires, (en réalité en partie responsables de la famine), étaient « une institution durable et efficace dont le cadre subsistera comme un élément de base d’une grande réforme » (Lettre du Consul Soulié à Etienne Manac’h Directeur d’Asie-Océanie, du 27 février 1961, citée par B. Krouck).

Du 18 octobre au 5 novembre 1963, c’est Edgard Faure qui visitait la Chine, mandaté par l’Élysée. Lui aussi ne tira aucune conclusion pratique du fait que toutes les conversations opérationnelles sur le rapprochement franco-chinois eurent lieu avec Zhou Enlai et Chen Yi, le ministre des Affaires étrangères, tandis qu’il dut se rendre à Shanghai pour rencontrer Mao.

Non seulement Edgard Faure ne dit mot de la situation socio-économique du pays et de la famine qui se résorbait à peine, mais lui non plus ne perçut pas la crise entre Mao et le Bureau politique qui couvait depuis le début de 1960. Il y avait pourtant là les prémisses de la révolution culturelle, nouvelle séquence de frénésie politique lancée par Mao en 1966 pour récupérer son pouvoir et éliminer Liu Shaoqi, le président de la République, forcé de faire son autocritique, expulsé du Parti en 1967 et mort en prison en 1969.

Une transe idéologique,


défi à l’imaginaire de l’ancestrale sagesse chinoise…

Lancée en 1966, deux années après la reconnaissance, la révolution culturelle fut, quelques années seulement après le cataclysme du grand bond en avant, une nouvelle secousse humaine, sociale, économique et politique, qui contredisait les appréciations de longue sagesse ancestrale qui nimbaient une partie de l’image de la Chine évoquée par De Gaulle.

Rétrospectivement, les « décisions sur la grande révolution culturelle prolétarienne » du Comité Central du 8 août 1966 font froid dans le dos. On y lit en effet qu’il s’agissait de « transformer l’homme dans ce qu’il a de plus profond », « d’abattre les sommités académiques réactionnaires de la bourgeoisie et tous les “monarchistes” bourgeois ».

Et, s’il fallait une preuve qu’il ne s’agissait pas là d’une simple lutte de factions rivales, la dernière injonction de ce programme diabolique le montre amplement. Il fallait en effet « purger la terre de toute la vermine et balayer tous les obstacles ».

Le mouvement dont on ne soulignera jamais assez le radicalisme intolérant et meurtrier en même temps que le caractère dangereusement utopique, visait, à l’ombre de la pensée de Mao devenue un culte impulsif et obsessionnel, à modifier l’essence même de l’homme chinois pour le contraindre à la solidarité collectiviste par la terreur. La force de ce mouvement impitoyable et destructeur cautionné par la geste maoïste avait aussi contaminé l’université française. Elle constitua la matrice des massacres perpétrés par les Khmers Rouges, constamment soutenus par la Chine, qui détruisirent presque de fond en comble les ressources humaines du Cambodge moins de 10 ans plus tard.

… Aux conséquences régionales dramatiques.

Ce n’est pas la moindre des ironies qu’à peine trois semaines après le lancement de la Révolution culturelle en Chine qui fut un des modèles des Khmers Rouges au Cambodge, le 1 septembre 1966, le général De Gaulle prononçait à Phnom-Penh un discours critiquant l’intervention militaire américaine au Vietnam.

Il y disait avec raison que la force armée, quelle que soit sa puissance, n’aurait aucune chance de venir à bout des insurgés vietnamien, d’autant qu’ils étaient soutenus par la Chine. Mais il spéculait aussi sur la « liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes » qui fut en réalité constamment pervertie par l’interventionnisme chinois au Vietnam et au Cambodge, avec les conséquences que nous savons pour la liberté des peuples.

Avec le recul, il est encore plus évident que Washington aurait, à cette époque, mieux fait de se désengager du Vietnam. Mais ce choix heurtait sa conception de l’après-guerre toujours articulée autour de la lutte contre l’idéologie communiste devenue un épouvantail et une obsession qui se transforma en piège. A l’inverse, la vision qui se voulait pragmatique du général De Gaulle articulée autour de l’histoire ancestrale de la Chine, de sa longue culture et de son poids démographique qui interdisait en effet qu’on enferme un aussi grand pays dans l’ostracisme, passait sous silence ou ignorait les secousses idéologiques internes qui furent les ferments de l’interventionnisme chinois en Asie du Sud-est.

C’était d’ailleurs l’essentiel des arguments de Tchang Kai-chek qui protestait contre la reconnaissance française considérée à Taïwan comme une trahison. Pour le chef de la Chine républicaine, l’idée gaullienne du retrait américain et d’une neutralisation de l’Asie du Sud-est comme préalable à une solution négociée en Indochine en accord avec la Chine communiste était un leurre, car le régime de Pékin n’avait à ses yeux d’autre but que la victoire du communisme.

Les convulsions politiques chinoises ne furent pas sans conséquences pour le Vietnam, son arrière cour sinisée devenue communiste et le Cambodge, situé sur la fracture culturelle entre l’Inde et la Chine, une fragilité que le radicalisme idéologique chinois transmis aux polpotistes qui prétendaient eux aussi purifier les hommes par l’oppression et l’épouvante, a peut-être transformée en blessure si grave et si profonde que les Cambodgiens n’ont toujours pas réussi à l’apaiser.

Le pays est en effet toujours aux mains d’anciens Khmers Rouges revisités par Hanoi dont la capacité d’adaptation aux temps modernes pour un développement apaisé et harmonieux du pays est voisine de zéro. De Gaulle ne pouvait pas anticiper ces évolutions. Non pas qu’il se soit trompé sur la nature du régime chinois.

Dans sa conférence de presse du 31 janvier 1964, après avoir souligné les traumatismes et les humiliations subies par la Chine au XIXe et au XXe siècles, il a en effet clairement évoqué le radicalisme extrême de la dictature qui provoquèrent « l’écrasement et la décimation d’innombrables valeurs humaines ».

Mais, n’ayant pas mesuré l’impact des rivalités internes chinoises sur la politique extérieure de Pékin, il restait convaincu que le retrait militaire américain du Vietnam inciterait la Chine à respecter la neutralité de ses voisins. Or Mao fit l’inverse, d’autant qu’il voyait l’aggravation des tensions en Asie du Sud-est comme un adjuvant de son action pour éliminer en interne ses adversaires au sein du Parti.

Le Vieil Empire et le poids de l’histoire.

La Chine et ses partenaires occidentaux tentent sans cesse de tourner les pages de ce passé radical et tumultueux. Mais il resurgit toujours, plus ou moins étouffé. S’il est vrai que Pékin a observé un silence officiel assourdissant lors de la mise sur pied du tribunal hybride destiné à juger les dirigeants khmers rouges qu’elle avait longtemps appuyés et hébergés, elle n’en reste pas moins hantée chez elle par le spectre de la révolution culturelle, qui fut le creuset des radicalismes.

En même temps, engagée depuis plus de 20 ans dans un mouvement irrépressible d’ouverture, elle a aussi gardé la mémoire vive des humiliations subies à l’époque où son histoire a télescopé celle des Occidentaux et du Japon et dont le Général De Gaulle lui-même, semblait considérer qu’elles constituaient le creuset du radicalisme maoïste.

Certes, le prosélytisme communiste a disparu, mais pas le désir d’influence qui confine parfois au désir d’empire. Il est toujours présent dans les mers de Chine du sud et de l’est et dans toute l’Asie du Sud-est. Le vecteur n’est plus idéologique, mais économique et commercial, articulé autour d’une puissante force de frappe financière, y compris quand il s’agit de faire pièce aux rivaux occidentaux et d’abord américains, en Europe, au Moyen Orient, en Afrique et en Amérique du sud.

A l’intérieur, le radicalisme extrême a fait place aux efforts pour plus de probité, aux attentions sociales, aux préoccupations pour l’environnement et aux progrès du Droit, mais les raidissements politiques, les réflexes répressifs ou les repliements populistes ne sont jamais bien loin quand le « rôle dirigeant du Parti » est contesté.

Quant aux Occidentaux, après avoir longtemps commis l’erreur de considérer la Chine comme une proie, puis idéalisé le maoïsme, un temps considéré comme le nouveau phare du communisme mondial, avant de miser naïvement sur la volonté de la Chine à se couler dans un ordre mondial calibré par les Américains, ils auraient tort d’oublier l’Histoire qui rappelle à quel point le Vieil Empire est d’abord intéressé par lui-même, ses intérêts, ses ambitions, ses angoisses et ses immenses défis, sources récurrentes de rivalités internes et peut-être de nouvelles secousses, mais toujours les matrices exclusives de sa politique étrangère.

Pour les discours officiels et la liste des festivités autour de l’anniversaire, voir les liens ci-après :

- Conférence de presse pour le lancement du Cinquantenaire des relations franco-chinoises (Paris, le 13 janvier 2014)
- Commémoration du 50e anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la République française et la République populaire de Chine sur le site France-Chine50.com
- Des visas pour la France en 48 heures ! sur le site Ambafrance-cn.org.


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