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Intelligence artificielle. Mythes et réalités

L’affaire est entendue. La musique médiatique lancinante et répétitive rabâche la vérité première que la Chine tient le haut du pavé de la recherche en Intelligence artificielle. Cette note n’a pas pour objet de nier les progrès chinois. Ni de réfuter l’ambition d’une autonomie nationale complète exprimée en 2017 par le plan 2030.

Son but est de remettre en perspective les étonnants progrès chinois depuis 2011 en examinant de plus près la structure de ce « bond en avant » où il apparaît que l’implication de l’État est massive.

Sans doute la régulation par le haut a t-elle l’avantage de définir des objectifs nationaux et de favoriser la concentration des moyens, condition des progrès rapides. Créant un effet d’entraînement elle favorise le bourgeonnement de « start-up » rivalisant d’ingéniosité pour se tailler une part du marché public que le pouvoir a spécialement créé pour elles.

C’est là que le bât blesse. Corseté par la dépendance à l’État, polarisant la technologie et l’innovation autour du contrôle de la société, le développement de l’IA chinoise, véhicule désormais le soupçon éthique de l’intrusion policière dans la sphère privée.

L’affaire du groupe Huawei accusé par la Maison Blanche d’insérer dans ses équipements d’infrastructure des logiciels d’espionnage résonne comme un bruit de fond donnant crédit aux inquiétudes. Mécaniquement celles-ci freinent le développement à l’étranger des sociétés chinoises du secteur.

Le 18 décembre Yu Yifan jeune chinois formé aux Etats-Unis au CV impressionant, possédant en plus de sa maîtrise technologique une expérience d’analyste et d’entrepreneur en Chine, faisait dans Nikkei Asian Review un point de la situation de l’IA chinoise.

Le titre de l’article – en lui-même une synthèse – « Pourquoi les acteurs chinois de l’IA ont du mal à évoluer au-delà des technologies de surveillance ? », renvoie aussi à un conflit culturel entre, d’une part l’éthique occidentale de liberté individuelle et de protection de la vie privée et, d’autre part le désir collectif de sécurité des Chinois.

Sur ce point, s’il est est vrai qu’en Chine certains – cités par l’auteur - commencent à critiquer l’obsession sécuritaire et normative du pouvoir, force est de constater que la surveillance y est généralement mieux acceptée qu’en Occident.

Une implication massive de l’État et un rendement aléatoire.

C’est un fait : entre 2016 et 2018 les entreprises chinoises ont déposé plus de brevets liés à l’IA que leurs homologues américaines. Pour la seule année 2018 : 30 000, soit 10 fois plus qu’en 2014.

« Mais, écrit Yu Yifan, aussi impressionnante que soient les avancées technologiques chinoises, il n’est pas certain que, dans un avenir proche, le pays sera, comme le clame le gouvernement, une superpuissance de l’Intelligence Artificielle.

La réalité est qu’en Chine même les progrès sont limités par une pénurie de talents, d’équipements et de réelles innovations ». (…) « A l’étranger, leur croissance est gênée par les liens étroits du secteur avec l’État, à l’origine des soupçons sur leur éthique. »

L’appréciation recoupe une étude de Douglas B. Fuller, professeur à l’Ecole d’administration publique du Zhejiang à Hangzhou, publiée en juin 2019 par Cambridge University Press. (Fuller, D. (2019). Growth, Upgrading, and Limited Catch-Up in China’s Semiconductor Industry.).

Cette fois le jugement porte sur l’industrie des semi-conducteurs au cœur du développement des nouvelles technologies et de l’IA. On y lit qu’en « dépit d’un fort soutien du gouvernement, les entreprises publiques nationales chinoises n’ont généralement pas réussi à générer un dynamisme technologique. Seules les hybrides ont permis des avancées » (…)

« En conséquence, l’industrie chinoise des semi-conducteurs semble bloquée sur une voie qui combine une expansion quantitative avec de faibles rendements financiers et une amélioration qualitative limitée. Cette trajectoire offre peu de perspectives d’atteindre l’objectif à long terme de la Chine qui est de propulser la fabrication nationale de semi-conducteurs au sommet de la technologie et de l’innovation. » (Voir la Note de contexte qui analyse les changements en cours dans le secteur.)

Revenant à l’Intelligence Artificielle, Jeffrey Ding créateur de la « Chinese AI newsletter » dit la même chose : « La croissance spectaculaire de l’IA chinoise, uniquement mesurée par le nombre de brevets déposés masque le fait qu’en termes de rechercher fondamentale, elle est toujours dépassée par les États-Unis ». (…). « Le point clé est de savoir si l’écosystème chinois de l’IA est capable de produire des avancées significatives de la recherche ».

Pour l’instant cette aptitude n’est pas avérée. La quantité n’a pas produit le niveau d’innovation attendu.

Au début 2019, une enquête de Lux Research, basée à Boston révélait que parmi les 2100 chercheurs les plus souvent cités dans les études, seuls 158 étaient Chinois (7,5%), et parmi eux, seulement 37 (23%) étaient issus du secteur privé.

Yu Yifan cite Vilas Dhar, chercheur à l’Université de New-York consultant pour l’impact social des hautes technologies, diplômé de droit de l’Université de New-York et licencié de la Harvard Kennedy School ; Il évoque les conséquences commerciales de la connivence avec l’État chinois : « En Chine, les entreprises privées d’IA bénéficient du soutien stratégique du gouvernement ».

Mais il ajoute en substance que leur connexion avec le pouvoir politique instille des doutes non seulement sur leur indépendance, mais également sur leur éthique.

L’appui prodigué au secteur par le pouvoir central n’est pas un vain mot.

Dès 2017, 140 Mds de $ ont été dégagés pour la période courant jusqu’en 2030. En même temps le Ministère des sciences et des technologies s’est appuyé sur Baidu, Alibaba, Tencent et iFlytek (reconnaissance vocale) pour lancer la R&D en IA. Peu de détails ont été dévoilés. Mais pratiquement l’État a créé les débouchés des « start-up » et des grands groupes en se posant lui-même comme leur principal client.

Parallèlement, le ministère a financé l’ouverture d’une cinquantaine de classes de lycées et autant de cours universitaires. Le but affiché est de rattraper d’ici 2020 les pays les plus en pointe et de devenir dès 2030 un des champions internationaux du secteur.

A cet effet, le Parti a recours aux vieilles recettes de mobilisation de l’administration. La notation et la promotion des fonctionnaires n’ayant aucune formation en informatique et encore moins en IA, dépendent désormais de leurs résultats dans la promotion de l’IA dans leur juridiction.

Plus encore, les ténors chinois du secteur ont bénéficié du transfert massif par l’État de données destinées à la mise au point des algorithmes. A cet effet le gouvernement a ouvert les vannes des bases de données sur sa population.


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