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L’improbable réconciliation sino-indienne à Wuhan

Le 27 avril, Narendra Modi était en visite informelle en Chine, accueilli par Xi Jinping à Wuhan au bord du confluent de la Han et du Yangzi.

Au sud de la plaine centrale et à 700 km à l’ouest de Shanghai, née de la fusion dans la boucle du grand fleuve des trois villes de Wuchang (rive droite du Yangzi), Hanyang (sur la rive sud de la Han) et Hankou, ancien siège des légations étrangères, aujourd’hui confondue avec Wuchang, la ville avait récemment accueilli Théresa May.

Elle compte une usine géante de fabrication de microprocesseurs (lire : L’impitoyable guerre des microprocesseurs. (Suite).), 120 universités ou instituts dont la 4e université de technologies de Chine (sciences humaines, génie civil, économie, gestion, droit, philosophie : 2400 professeurs, 4000 personnels administratifs, 37 000 étudiants dont 4000 doctorants) sur un total pour la ville de plus d’un millions d’étudiants dont une importante colonie d’étudiants en médecine Indiens.

La ville est aussi l’ancien fief de Mao où le « Grand Timonier », mis sur la touche par le bureau politique, s’était retiré avant de lancer la révolution culturelle. Comme pour signifier que le choix de la ville au riche passé politique était de bon augure pour relancer la relation sino-indienne, le vieux Indian Express – centre droit - ajoutait aussi qu’à l’été 1966, Mao avait choisi Wuhan pour accompagner sa renaissance politique en nageant 15 km dans les eaux du Fleuve Bleu.

Une riposte aux désinvoltures de la Maison Blanche

Relancer la relation en repartant du bon pied. Est-ce bien possible ? Le 1er mai, dans le journal Japonais Asia Nikkei Review, Brahma Chellaney, Professeur d’études stratégiques à New Delhi, écrivait précisément que la rencontre ne semblait pas avoir d’autre objectif que de restaurer une relation passablement abîmée.

Sur la même ligne d’analyse que les prévisions annuelles de Stratfor, il décrivait un « apaisement superficiel », et la persistance de profonds facteurs de discorde qui réapparaîtront à moyen ou long terme.

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A la racine de la rencontre souhaitée par le gouvernement indien, il y avait - démarche homothétique de celle du Japon - la nécessité urgente pour New Delhi, de rééquilibrer la relation avec Washington où la vision commerciale et autocentrée de Trump, assez peu soucieux des grandes équilibres stratégiques et des alliances, ne cessait de mettre l’Inde sous pression.

Les intimidations qui vont parfois jusqu’à des menaces de sanctions par le truchement de la nouvelle loi visant les « adversaires de l’Amérique », entrée en vigueur le 2 août 2017, ciblent non seulement l’excédent commercial de 25 Mds de $ - cheval de bataille tous azimuts de la stratégie « America First » -, mais également les relations de l’Inde avec l’Iran et la Russie, y compris ses contrats d’hydrocarbures avec Moscou, également poussé dans les bras de la Chine par l’obsession antirusse de l’administration américaine.

Dans ce contexte, les tensions exacerbées entre Téhéran et Washington dont l’Inde subit le contrecoup, compromettent aussi le projet indien de moderniser le port iranien de Chabahar où l’implication de New-Delhi à 180 km à l’ouest du point d’appui chinois de Gwadar au Pakistan sur le golfe d’Oman, est l’expression d’une rivalité avec Islamabad que Washington exige de mettre en veilleuse.

Sans compter, enfin, que les restrictions de visas imposées par la politique sécuritaire de la Maison Blanche commencent à avoir un impact sur le secteur clé des nouvelles technologies de l’information (160 Mds de revenus en 2017, avec 99 Mds à l’export, dont 60% vers les États-Unis).

Du coup, à New-Delhi se développe le sentiment que Washington considère la proximité stratégique de l’Inde comme un fait acquis, tandis que la Maison Blanche continue, en dépit de la guerre commerciale sino-américaine médiatisée en hyperboles, à traiter la Chine avec des égards, promettant à « son bon ami Xi Jinping » - comme Trump appelle souvent le président chinois - une négociation tenant à distance le pire d’une guerre commerciale.

Cette attitude à double face de l’Amérique exprimant ainsi des attentions et des ménagements à l’égard de la Chine auxquels l’Inde n’a pas eu droit même au plus fort des tensions avec Pékin sur les frontières contestées de l’Himalaya.

Ainsi s’explique la soudaine volonté de Narendra Modi, tout comme celle du Japonais Shinzo Abe, lui aussi à la recherche d’un contrepoids aux désinvoltures de Trump, de mettre fin à la spirale des détériorations des relations sino-indiennes.

Le glissement de posture de New-Delhi répond aussi à l’urgence pour la Chine de réagir à l’offensive stratégique « quadripartite » regroupant Washington, Canberra, New-Delhi et Tokyo prétendant fédérer contre Pékin 4 démocraties de la Zone Pacifique, dans un nouveau concept de théâtre qui, pour en écarter la Chine, est ostensiblement appelé la « zone Indopacifique ».

L’introuvable « alliance orientale » contre Washington.

La riposte chinoise au concept « indopacifique » est venue à Wuhan, quand Xi Jinping a invité N. Modi à s’engager avec lui pour le « renouveau de la civilisation orientale 共同 努力 于 东方文明复兴 Gongtong Nuli Yu Dongfang Wenming Fuxing ».

En somme et pour faire bref, au risque de caricaturer, le plus puissant pays autocratique de la planète dont le système politique vise à instaurer l’idéal confucéen du « despote éclairé » tout de même mâtiné du « légisme » brutal de Han Fei Zi, appelle la plus grande démocratie – 1,4 Mds d’habitants – à se joindre à lui dans une résistance culturelle à l’Occident démocratique.

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Au-delà des tensions de souveraineté sur l’Himalaya et au Cachemire pakistanais, ce contraste politique révélé par l’appel de Xi Jinping trace la difficulté d’une résolution des tensions sino-indiennes.

Il s’ajoute à la force des discordances culturelles entre un pays dont la modernisation n’a pas effacé le profond ésotérisme et la Chine pragmatique, irrémédiablement attachée au tangible dont l’histoire s’articule à l’organisation administrative d’un pouvoir centralisé obsédé par l’unité politique et en perpétuelle lutte contre les tensions centrifuges.

Telles sont les raisons faisant que les espoirs d’un rapprochement véritable et sincère restent minces.

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Après tout, souligne Brahma Chellaney, il s’agit déjà de la deuxième tentative sérieuse d’apaisement de la relation tentée par Modi qui a déjà rencontré Xi Jinping 14 fois en quatre ans. En septembre 2014, premier essai de conciliation, le n°1 chinois était arrivé en Inde invité à l’anniversaire de Modi, au milieu d’une sévère crispation militaire dans la région du Ladakh.

Alors que Xi Jinping entonnait l’habituel message chinois d’harmonie par le commerce, les investissements et les bénéfices mutuels, Modi s’arc-boutait sur ses positions nationalistes et rappelait sans détour que la paix aux frontières était la condition essentielle des progrès dans la relation (lire : Les crispations territoriales ternissent la visite de Xi Jinping en Inde.)

Depuis, les tensions se sont aggravées, dans un contexte général où les négociations territoriales durent depuis 1981 sans résultat tangible. L’année dernière, dans la région du Doklam l’armée indienne s’était encore une fois raidie face à l’intrusion de l’APL à la veille de réunion des BRICS à Xiamen (lire : Les BRICS à Xiamen. Contraste entre les discours et la réalité.)

5 mois auparavant, la visite du Dalai Lama au monastère de Tawang dans la zone contestée de l’Arunachal Pradesh où il avait trouvé refuge lors de sa fuite du Tibet occupé par l’APL en 1959, avait provoqué une réaction aigre de Pékin. Celle-ci avait été d’autant plus agressive que, récemment, le Dalai Lama avait laissé flotter l’idée qu’à sa mort, sa réincarnation pourrait apparaître hors Tibet, une hypothèse qui, si elle se réalisait, détruirait l’espoir de Pékin de prendre complètement le contrôle du Bouddhisme tibétain sur son sol.

Parmi les nombreux indices donnant une idée des tensions latentes, signalons encore que, cette année, Modi a fait le déplacement à Wuhan juste après un exercice de grande ampleur de l’armée de l’air indienne simulant un conflit à la fois contre la Chine et contre son allié pakistanais.

Enfin, le 24 avril, lors du sommet de l’Organisation de Coopération de Shanghai (O.C.S), trois jours avant le déplacement de Modi à Wuhan, l’Inde qui s’insurge contre les projets chinois au Cachemire pakistanais qu’elle revendique, s’est désolidarisée des autres participants en n’exprimant pas son appui aux « nouvelles routes de la soie », marque emblématique de la politique extérieure de Pékin depuis 2013.

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La rencontre de Wuhan fut certes l’expression de bonnes intentions. Articulée autour de la nécessité indienne de rééquilibrer la relation avec Washington dont la désinvolture et l’obsession des équilibres commerciaux brouillent l’alchimie des alliances (avec New-Delhi et Tokyo), elle exprima aussi le projet chinois de réduire les tensions avec l’environnement proche, alors que s’exacerbent les querelles avec les États-Unis.

En même temps a surgi, lancée par le n°1 chinois, l’improbable stratégie d’une connivence culturelle sino-indienne appuyée sur des « valeurs asiatiques » de gouvernance que New-Delhi aura du mal à cautionner.

Mais au-delà des sourires et des manifestations de sympathie réciproques, les faits sont têtus. Baignant dans des sphères culturelles et politiques opposées, périodiquement confrontés à des crispations territoriales, le mieux que puissent espérer les deux géants qui ne cessent de se mesurer et de se défier l’un l’autre, est que les tensions de leur relation ne dégénère pas en conflit.


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