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La frégate Vendémiaire, dans le port de Hong-Kong en 2018. La surveillance de notre espace maritime du Pacifique et partant de la liberté de navigation remise en cause par la Chine exigerait plus de moyens.
Actuellement la flotte française du Pacifique se compose de 3 patrouilleurs et de deux frégates dont la capacité de combat additionnée est très faible (missiles Exocet hors d’âge + missiles anti-aériens Matra portatifs + canons de 20 mm + mitrailleuses de 12,7). La comparaison avec la 7e flotte de l’US Navy basée à Yokosuka au Japon (1 PA + 50 navires à forte capacité de combat) ou avec la marine chinoise dessine les limites de l’influence française dès lors que, comme la Chine, on la juge à l’aune de ses moyens. Lire : La marine chinoise lance deux destroyers géants.
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Le mois d’avril 2019 fut marqué par un incident déconcertant entre les marines chinoise et française riche en enseignements sur la réalité des rapports de force dans le Pacifique occidental.
Après avoir accusé le Vendémiaire d’avoir, le 6 avril, empiété sur les eaux territoriales chinoises, alors qu’en réalité il naviguait dans les eaux internationales au centre du Détroit de Taïwan, la marine chinoise a annulé l’invitation de la frégate à la revue navale de Qingdao organisée le 23 avril pour le 70e anniversaire de la marine chinoise.
Pour comprendre brutalité de la réaction d’autant plus étrange qu’elle s’appuyait sur la fausse allégation d’une violation de la souveraineté maritime chinoise, il faut revenir au contexte de la situation dans le pacifique occidental et aux crispations sino-américaines en cours dans le détroit de Taïwan, pointe émergée d’une rivalité devenue globale depuis que la guerre commerciale s’est dilatée en une puissante discorde stratégique.
Il faut aussi garder en mémoire l’ancestral principe de centralité qui continue d’inspirer les rapports de la Chine au reste du Monde où l’élément essentiel reste, quoi qu’en dise la propagande, le rapport de puissance.
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Depuis son avènement à la tête de la Chine, le 1er octobre 1949, le Parti communiste a érigé à hauteur d’un absolu politique impératif la mission de réunifier au Continent l’Île de Taïwan d’où Tchang Kai-chek, réfugié après sa défaite, a d’abord nourri le dessin insupportable pour Pékin d’une souveraineté concurrente qui, jusqu’en 1971, occupait à l’ONU le siège de la Chine.
Ce qui n’était qu’un branle-bas politique et militaire entre deux partis autocrates pour le contrôle de la Chine, s’est, 15 ans après la mort de Tchang Kai-chek (Jiang Jieshi), transformé à Pékin en une angoisse existentielle quand le Parti Nationaliste a, sous l’impulsion de Jiang Jinguo, le propre fils du Patriarche, transformé l’Île en une démocratie, la première et aujourd’hui encore la seule, du Monde chinois.
Enfin, dernière étape d’un cheminement politique ayant conduit l’Île de la dictature et de la loi martiale, supprimée en 1987, vers un système où la voix du peuple est prise en considération, en 2000 arrivait au pouvoir Chen Shui-bian, brillant avocat et premier président porté par une pensée politique séparatiste, réélu en 2004.
Les secousses de la rupture démocratique.

Les partisans de Han Kuo-yu (KMT) célèbrent sa victoire à la mairie de Kaohsiung en novembre 2018, après 20 ans de domination du parti indépendantiste. Le surgissement à ses portes de l’attention accordée au peuple constitue un défi pour l’autocratisme du parti communiste.
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S’il est vrai qu’en Chine le surgissement à ses portes d’un système politique exactement opposé à la dictature du parti unique provoqua une sévère alarme qui le poussa à tirer à titre d’avertissement des salves de missiles balistiques inertes dans les parages de l’Île (juillet 1995 – mars 1996), la rupture ne fut pas sans profonds bouleversements et sérieuses remises en question dans l’Île.
A Taïwan, l’indépendance de la justice et l’expression libre provoquèrent un séisme dans les rapports entre la société et le pouvoir, au point que le président indépendantiste Chen Shui-bian lui-même fut, au terme de son 2e mandat, condamné en 2009 à la réclusion criminelle à perpétuité pour corruption, avant d’être libéré en janvier 2015 pour raisons de santé .
En même temps, la parole libérée du peuple obligea le Guomindang (KMT), le vieux parti nationaliste de Tchang Kai-chek toujours favorable à la réunification, à une contrition morale publique pour sa longue dictature et le massacre des dissidents (entre 10 000 et 30 000 morts), le 28 février 1947 [1].
Dernière incidence portant au rouge la fureur du régime chinois, en 2016, le suffrage universel a, pour le 2e fois en moins de 20 ans porté à la présidence la mouvance séparatiste, qui plus est incarnée par Tsai Ing-wen (62 ans), une femme avocate et célibataire.
C’est peu dire que le régime chinois d’essence patriarcale, qui fait de la réunification une exigence historique nationaliste impérieuse, est mis sous tension par ces évolutions.
Ignorant la rupture politique survenue en 1988, accélérée depuis plus de 20 ans par Lee Teng-hui (86 ans) premier président taïwanais de souche issu du KMT, devenu depuis le plus féroce partisan de l’indépendance et une figure emblématique de l’Île, Pékin prône toujours la réunification par ses discours mêlant la célébration de la complémentarité économique à la menace de son arsenal de missiles balistiques déployés face à l’Île pour dissuader toute velléité séparatistes.
Le « rêve chinois » ferment des inquiétudes.

Depuis l’avènement de Xi Jinping en 2012, la réunification est, plus que jamais, devenue une exigence patriotique partie du rêve chinois. L’introduction de l’échéance de 2049 ajoute aux tensions dans le Détroit où la marine américaine transite de plus en plus souvent pour contester les menaces chinoises et répondre aux défi systémique global porté par « les caractéristiques chinoises » qui réfutent l’ordre international dominé par l’Occident.
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Depuis l’avènement au pouvoir de Xi Jinping en 2012, dont le projet politique nationaliste s’articule à la date limite d’accomplissement du « rêve chinois » en 2049, 100e anniversaire du Parti au pouvoir, les tensions dans le Détroit ont changé de nature. Visant l’achèvement de la « renaissance chinoise » en une Nation puissante et développée dont il est impossible d’exclure la réunification, le projet, désormais articulé à un délai précis, à fait surgir en Chine, un sentiment d’urgence.
A Taïwan il est à la fois à l’origine d’une angoisse plus lourde pour la majorité des électeurs dont 70% s’opposent à la réunification et, chez les séparatistes radicaux très minoritaires, mais très actifs, le ferment d’une crispation identitaire exacerbée.
En riposte à ces évolutions plaçant l’Île sous une menace majeure, Tsai aujourd’hui contestée au sein de son parti par William Lai 60 ans, ancien premier ministre et ancien maire de Tainan battu en 2017, se garde de provoquer directement Pékin par une déclaration d’indépendance. Répétant qu’elle ne cherche que le statuquo, elle tente d’échapper au face-à-face dans lequel le Parti cherche à l’enfermer.
Elle le fait en soulevant les deux tabous que sont en Chine, d’abord le symbole démocratique véhiculé par l’Île dont Tsai répète qu’elle est la pointe avancée et menacée de l’idée de gouvernance libérale dans le monde ; ensuite, la menace des missiles balistiques chinois que tous les démocrates de la planète considèrent comme un anachronisme au XXIe siècle [2].
Alors que les nouvelles affirmations de puissance chinoise à rebours des discours de Pékin sur son « développement pacifique » ont, partout en Occident, mais pas seulement, allumé de sévères contrefeux, la stratégie a commencé à fonctionner.
Note(s) :
[1] A Taïwan, l’événement est resté dans les mémoires sous le terme « massacre 228 » pour 28e jour du 2e mois du calendrier grégorien (二二八屠殺事件 - 2 2 8 tusha shijian)
[2] Avec la destination de Hong-Kong, les ventes de Taïwan au Continent comptent pour 41% des exportations totales de l’Île. Un déséquilibre que Tsai Ing-wen tente de corriger par sa « nouvelle politique sudiste – 新南政策 – xinnanzhence - ». Cible principale de cette stratégie que la Présidente avait annoncée lors de son discours d’investiture en mai 2016, l’ASEAN est au demeurant un objectif prioritaire de l’Île depuis Lee Teng Hui. (voir la note de contexte).