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La difficile équation de Ma Ying Jeou

Mais ce n’est pas tout. Aux nouvelles pressions chinoises qui s’ajoutent à celles exactement contraires exercées par le DPP, viennent se superposer les effets de la crise économique qui poussent presque mécaniquement à l’approfondissement des liens avec la Chine. Au premier trimestre 2009, l’économie taïwanaise s’est contractée de 10,2% par rapport aux chiffres de 2008. Une chute record, due à l’effondrement des exportations en baisse de plus 36%. Dans ce contexte, les hommes d’affaires taïwanais réclament l’accélération du calendrier des accords commerciaux, que l’opposition condamne sévèrement, tandis que Pékin adopte un ton vaguement paternaliste : « Nous sommes préoccupés par la situation économique de l’Ile et par les difficultés de nos compatriotes taïwanais. Nous sommes prêts à tout faire pour les aider ».

Enfin, pour compliquer encore l’équation de Ma Ying Jeou, à mesure que 2009 s’avance, monte la menace commerciale de la nouvelle articulation économique de l’ASEAN qui doit prendre effet le 1er janvier 2010, et dont Taïwan pourrait être exclue si un accord n’était pas signé. Le 5 novembre 2002, un accord de libre échange entre l’ASEAN et la Chine avait été conclu à Phnom Penh. Au 1er janvier 2010, les droits de douane sur le commerce des biens seront réduits ou éliminés entre la Chine et les 6 pays fondateurs de l’ASEAN, et au 1er janvier 2015, entre la Chine, le Cambodge, le Laos, Myanmar et le Vietnam (CLMV, dans le jargon des diplomates). Si l’Ile restait à l’écart de cette nouvelle architecture commerciale entre la Chine et l’Asie du Sud-Est, les exportations taïwanaises, qui sont le plus puissant moteur de son économie (70% du PNB), seraient les seules taxées en Chine et dans les pays de l’ASEAN, dans un marché en voie d’ouverture rapide.

Or à Taïwan, l’idée d’une intégration économique complète avec la Chine sent le soufre. On se méfie en effet de l’invasion de la main d’œuvre et des produits chinois qui créerait une dépendance dangereuse de l’Ile envers la Grande Terre. La crainte, qui renvoie aux périodes sombres où l’Ile subissait les tentatives d’annexion par la Chine, se double d’une phobie politique. Elle circule non seulement dans les rangs de l’opposition, mais également dans ceux du parti de Ma Ying Jeou. Début 2009, la présidente du Mainland Affairs Council (MAC) Lai Shin Yuan expliquait qu’à Taïwan il existait encore de profondes divergences sur l’accord cadre économique, et qu’il faudrait des délais pour parvenir à un consensus. L’urgence et la détermination de Ma, qui veut avancer vite pour intégrer l’Ile dans le vaste ensemble économique de l’ASEAN par le truchement de l’accord cadre, ont conduit le MAC à évoluer sensiblement en faveur d’une signature rapide.

Mais le malaise reste entier. Le 16 mai, l’ancien président de la République Lee Teng Hui, dont la théorie des « deux Etats, de chaque côté du Détroit » (1996), avait soulevé la fureur de la Chine, a également rajouté son grain de sel : « l’accord cadre économique est l’erreur la plus grave commise par Ma Ying Jeou ». Les critiques de Lee Teng Hui sont dans la ligne de son engagement politique radical en faveur de l’indépendance. Elles sont reprises par quelques universitaires qui soulignent que la dépendance à l’égard de la Chine - déjà très forte - limitera la marge de manœuvre de Taïwan et détruira son économie. Hu Chung Hsin, expert taïwanais des questions juridiques et commerciales explique que, selon les règles de l’OMC, l’accord cadre exigera que, dans un délai de 10 ans, Taïwan ouvre complètement ses frontières aux produits chinois, dont l’afflux portera un coup mortel à l’agriculture et à l’industrie de l’Ile. Ma Ying Jeou et son équipe balayent ces critiques en répétant que les accords donneront un coup de fouet à l’économie et ouvriront encore plus le marché de la Grande Terre, déjà devenue la première destination des exportations de l’Ile.

En même temps, le président perçoit bien que sa politique chinoise vient d’entrer dans une zone de turbulences. Même l’invitation du ministre de la santé taïwanais comme observateur à l’Assemblée Générale de l’OMS - sous le nom de Chinese Taipei -, pourtant appuyée par une majorité de Taïwanais, et considérée comme une preuve de la nouvelle souplesse chinoise, après 38 ans et 12 tentatives infructueuses, a donné lieu à des critiques. On reproche en effet à Ma d’avoir accepté le statut dégradé « d’observateur », pour les 5 jours de l’Assemblée Générale, au lieu de celui de membre à part entière et définitif de l’OMS. Les critiques adressées à Ma sont reprises dans un livre récent publié aux Etats-Unis par les Presses Universitaires de Harvard sur les relations entre la Chine, Taïwan, et les Etats-Unis (United-States and Taïwan relations and the crisis with China).

L’ouvrage est d’abord une sévère remise en cause de la politique taïwanaise de Washington, qui, sous l’égide de Kissinger et Brzezinski, fut essentiellement articulée autour des « non dits » et de « l’ambiguïté stratégique », avec pour résultat la perpétuation des méfiances entre Tapei et Washington. Au point que l’essentiel, qui était le renforcement de la démocratie dans l’Ile, fut constamment renvoyé à l’arrière plan, au profit du « mythe de la normalisation des relations avec Pékin ». Touchant à l’actualité, l’étude reproche non sans raisons à Ma Ying Jeou de promouvoir les liens avec la Chine, non pas au nom du peuple taïwanais, mais par le truchement ambigu et souvent opaque des relations entre le KMT et le Parti Communiste Chinois. La conclusion de l’ouvrage exhorte Washington et Taipei à sortir des ambigüités et à réaffirmer leur alliance. Elle demande aux Etats-Unis de s’engager plus clairement aux côtés de l’Ile pour éviter qu’elle ne soit submergée.

Du coup le président taïwanais a cru nécessaire de rappeler, lors d’une conférence de presse, le 21 mai, que des mesures de confiance militaires et un traité de paix (6e point des propositions de Hu Jintao, le 31 décembre 2008) « ne pourraient être négociées avec la Chine qu’après le démantèlement des missiles pointés sur l’Ile... Nous ne négocierons pas un traité de paix sous la menace d’une attaque de missiles ».


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