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La santé du Parti et la force déstabilisatrice d’internet

Distinguer « l’information constructive » de la « critique erronée. »

L’article de Qiushi qui distinguait « l’information positive créatrice d’espoir et d’énergie » et « l’énergie négative diffusée par Internet », se plaignait que la toile soit noyée sous les nouvelles de désastres, d’accidents et de scandales, diffusant à jets continus une ambiance malsaine où la confiance dans la puissance publique s’était évaporée, au point, disait l’auteur, que « les déclarations et les démentis officiels étaient tous suspectés de mauvaise foi et de machiavélisme, tandis que le moindre dysfonctionnement ou raté de l’administration était attribué à un déficience systémique du régime chinois ».

Mais Lu Yiyi spécialiste de la société civile chinoise et auteur d’un livre sur les ONG en Chine, note que l’arsenal de la censure et l’armée des internautes loués par le pouvoir à 0,5 RMB la contribution - 网络评论员 – ou 五毛党(le Parti à 50 centimes) - créé par le Parti en 2004 pour intervenir à son profit dans les forums de discussion, n’ont pas réussi à mettre sous le boisseau les attaques directes contre le pouvoir et ses agents.

Sur l’armée des internautes recrutés par le pouvoir, voir l’analyse de Brice Pedroletti dans le Monde du 6 août 2008.

Dans un article du 20 août paru dans China Real Time (Wall Street Journal), Lu cite quelques échantillons significatifs de la hargne anti gouvernementale des internautes qui continue d’inonder le net en dépit des contrefeux de la censure. La teneur très agressive des messages confirme à la fois les questionnements sur la légitimité du Parti et l’appréciation de Qiushi qui qualifie l’ambiance de « malsaine. »

Quand, après le récent scandale de la Haute Cour de Shanghai décapitée pour de sérieuses fautes de comportement et de graves accusations de corruption, le président par interim Cui Yadong expliqua dans un discours que l’esclandre public avait été « l’occasion pour les forces hostiles d’attaquer le Parti en Chine et hors de Chine », des milliers de commentaires ont été postés sur Weibo (新浪微博 – Xin Lang Weibo -), qui compte plus de 500 millions d’utilisateurs et où s’échangent chaque jour 100 millions de messages.

Dans l’avalanche des réponses on pouvait notamment lire : « Encore un impudent sans vergogne. Tous des fascistes ! », ou « c’est vous Messieurs qui êtes les pires ennemis du peuple chinois » et encore « la maladie s’appelle la paranoïa des dictateurs ». D’autres réclamaient la démission de Cui et une enquête sur ses qualifications pour tenir le poste.

Toutefois, il faut reconnaître qu’à cette situation délétère le Parti ne s’est pas contenté de répondre par la censure ou la manipulation. Afin de restaurer la confiance évanouie les ministères et les fonctionnaires ont en effet été encouragés à ouvrir des comptes sur les médias sociaux les plus en vogue pour répondre aux critiques en dévoilant leur identité et leur fonction.

En juin 2013 ils étaient plus de 70 000 organismes officiels et fonctionnaires titulaires d’un compte sur un réseau social, ce qui constitue un doublement par rapport à 2012. Certains se sont regroupés en réseaux pour s’appuyer mutuellement dans les passes d’armes publiques, tandis que leurs commentaires rassemblent un nombre non négligeable de supporters.

Mais comme l’explique Lu Yiyi, la stratégie de transparence n’est pas sans risques. Après une remarque déplacée certains des fonctionnaires qui osèrent se lancer dans le tumulte des forums de discussion ont du subir un flot de commentaires qui, certaines fois s’apparentaient à un « cyber-lynchage ». Récemment Chen Mingming le vice-gouverneur du Guizhou a provoqué une tempête en ligne quand il a encouragé « ceux qui trahissent la patrie tous le jours - qu’il traitait de “pourriture“ - à émigrer aux Etats-Unis ».

Offusqués par le commentaire, les internautes firent pression pour déclencher une enquête sur les avoirs privés de Chen et de sa famille. L’affaire s’est terminée par les excuses publiques du vice-gouverneur qui promit d’être plus prudent à l’avenir.

Résurgence du débat sur la résilience du Parti.

La réaction du Parti engagé dans ce bras de fer sur internet pose la question de la résilience du pouvoir politique à la menace de déstabilisation conséquence de la mise à jour des nombreuses turpitudes publiques par l’effervescence indiscrète, anonyme et impitoyable des réseaux sociaux. Le phénomène est nouveau. Associé à d’autres facteurs, il pourrait bien contredire les analyses de ceux qui jusqu’à présent spéculaient sur la capacité de résistance du Parti Communiste Chinois (PCC).

Dans son livre « Authoritarian resilience », publié en 2003, Andrew J. Nathan, expliquait que la capacité d’adaptation du PCC s’était renforcée et reposait sur l’institutionnalisation du processus de succession, la sélection des cadres au mérite, le recul du népotisme et une meilleure interaction du pouvoir avec la société civile. Force est de constater que cette appréciation n’est plus tout à fait vraie.

S’il est exact que la succession du 18e Congrès n’a pas donné lieu à des luttes ouvertes, l’affaire Bo Xilai a en revanche mis à jour les considérables talons d’Achille du système politique que sont la corruption, l’abus de pouvoir et les trafics d’influence. En même temps, en novembre 2012 et en mars 2013, les rivalités de clans ont percé la surface du consensus au travers de la promotion à la vice-présidence de Li Yuanchao, pourtant écarté du Comité Permanent et du maintien de Zhou Xiaochuan à la tête de la Banque Centrale en dépit du blocage du Comité Central qui rejeta sa candidature.

Enfin dans son essai A.J. Nathan oublie de mentionner que l’un des facteurs de stabilité politique du régime chinois et de la fluidité des transitions après 1989 fut la puissance symbolique de la caution de Deng Xioaping qui avait lui-même adoubé ses successeurs jusqu’à y compris celle posthume de Hu Jintao. Cette aura, véritable contrepoison aux querelles politiques trop exacerbées a cessé en 2007, quand 10 ans après la mort du « Petit Timonier », Jiang Zemin a in-extremis imposé Xi Jinping à la place de Li Keqiang comme vice-président et futur n°1 du Parti.

Quant à la qualité des élites issues de la méritocratie, elle n’est plus ce qu’elle était. Les sociologues chinois font en effet remarquer que l’ascenseur social est grippé. Un article de Guo Yuhua professeur de sociologie à Qinghua, paru en janvier 2012 dans le magazine Caixin résumait l’essentiel des ressentiments d’une partie de la classe moyenne, d’autant plus dangereux que le Parti a toujours considéré ce segment de la population comme sa base politique la plus fiable.

Selon Guo, la désillusion prenait racine dans le décalage entre les discours publics sur la « naissance d’une nation puissante » et la faiblesse des progrès individuels dans une société de moins en moins ouverte, où disait-elle « ce ne sont toujours pas la connaissance et les diplômes qui ouvrent les portes, mais les réseaux, les appuis et le statut de la famille ».


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Par Philippe Neyroud Le 25/08/2013 à 17h53

La santé du Parti et la force déstabilisatrice d’internet.

De retour de 4 annees au Vietnam, votre article, une fois encore tres convaincant de documentation et d’analyse, m’inspire ce commentaire.

Lors d’une reunion au sommet des gouvernements chinois et vietnamien en debut 2013, il en est ressorti, par voie de presse, qu’un accord avait ete signe pour que le Vietnam puisse profiter de la large expertise de la Chine dans la « maitrise » des blogs, Medias sociaux et autres Internet. Une belle unite dogmatique qui faisait contrepoids alors aux nouvelles peu rejouissantes du conflit larve quant a la souverainete des iles Spratley et Paracelse, alimente par la haine historique que se vouent ces 2 voisins.

Depuis lors, le nombre de bloggeurs et internautes harceles, blesses voire morts, emprisonnes et condamnes au pays de l’Oncle Ho a suivi une courbe aussi impressionante que celle de l’inflation ou du nombre de repressions abritraires liees a des droits fondamentaux : a fin juin 2013 les chiffres 2012 avaient deja ete depasses, s’inquietait alors Human Rights Watch.

L’analyse peut encore s’enrichir de l’effet d’annonce datant de la semaine derniere : le Vietnam s’apprete a promulguer une loi interdisant l’usage de messages prives comme publics sur des plateformes sociales et des applications gratuites, sous pretexte du tort commercial que ceci apporte aux oprateurs majeurs du pays, tous controles par l’Etat ou son bras cousin, l’Armee.

La similitude entre les politiques chinoise et vietnamienne, si elles emanent d’une vision reactionnaire anxieuse de la preservation du dogme, des avantages des prebendes et du controle d’une pensee unique, n’en sont pas moins remarquables a plus d’un titre : leur proximite geographique (meme si les 2 voisins s’affrontent perpetuellement sur d’autres terrains), leur proximite dogmatique (meme si la revolution maoiste et la revolution viet cong trouvent leur source ailleurs), montrent au monde que subsistent encore, dans 2 pays consideres comme attractifs pour les occidentaux autant sur le point de vue economique que culturel, un obscurantisme auquel pourraient bien applaudir des nations pourtant bannies, elles, pour leurs relents de stalinisme despotique comme la Coree du Nord ou la Bielorrusie.

J’y vois un certain paradoxe de l’Occident, et l’avertissement pour l’heure sans frais d’un Extreme-Orient et de pres d’1.5 milliard d’humains, pour faire un contrepoids de taille a ce que nous, et j’en fais partie, considerons comme un acquis majeur de ce debut de 21e : la revolution Internet.

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