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Le KMT et l’embardée démocratique des quatre référendums. Ou le détournement de la démocratie directe

C’est peu dire que la démocratie taïwanaise célébrée par les Occidentaux comme une expression vibrante de la voix du peuple que, sur le Continent, le Parti a « normalisé » à sa main, vient de subir un cuisant revers.

Le 18 décembre, quatre référendums réputés « d’initiative citoyenne », étaient organisés pour valider quatre projets de développement de l’Île controversés.

Ils portaient : 1) Sur la reprise de la construction et la mise en service des réacteurs 7 & 8 de la centrale nucléaire de Longmen 龍門發電廠, dont la construction arrêtée plusieurs fois sous la pression des anti-nucléaires avait été tout de même achevée à 64% en 2006, mais mise en attente sine die en 2015 par le Président KMT Ma Ying Jeou après le tsunami de Fukushima.

2) Sur l’interdiction d’importer de la viande porcine américaine dopée à la ractopamine doublant le rythme de croissance. Autorisée au Canada, au Japon et aux États-Unis, la substance est, par précaution sanitaire, interdite dans plus de cent-soixante pays dont l’Union Européenne, la Chine et la Russie. L’actuel pouvoir à Taipei, pour qui l’alliance avec Washington est cruciale dans les tensions avec Pékin a, sur ce sujet, accompli une spectaculaire volte-face.

3) Sur l’organisation prônée par le KMT de votes d’initiative citoyenne le même jour que les élections régulières. A ce sujet le vieux Parti nationaliste défend non sans raison l’idée que le cumul des consultations pourrait réduire l’abstention.

4) Sur la construction du terminal de gaz naturel liquéfié à Taoyuan projet porté par le DPP qui y voit une alternative au nucléaire, mais critiqué par les écologistes qui, sur le sujet de la protection de la barrière des récifs d’algues au nord-ouest de l’Île, rejoignent le KMT dans une opposition à front renversé.

En réalité, les initiatives citoyennes dont celle du calendrier référendaire et de la ractopamine étaient directement portées par le KMT, tandis qu’il soutenait aussi les deux autres, étaient surtout une manœuvre politique du KMT destinée à gêner le pouvoir de Tsai Ing-wen.

Elle a doublement échoué. Non seulement les votes ont rejeté les quatre propositions, mais, de surcroît, avec un taux d’abstention moyen de 58,9%, aucun des scrutins n’a atteint le quorum requis de 25% des inscrits pour que le référendum soit valide.

Fausse manœuvre.

Au soir du scrutin, reconnaissant à la fois sa fausse manœuvre et sa défaite, Eric Chu le Président du KMT a présenté ses excuses aux membres de son Parti. En vérité, sa déconvenue s’est nourrie d’une confusion entre, d’une part, la liberté de l’élan individuel, pilier de l’initiative citoyenne et, d’autre part, la pression politique des partis quels qu’ils soient, dont l’épine dorsale propose une émulation collective articulée non à la liberté individuelle, mais à la discipline politique des appareils.

La réflexion qui spécule sur le caractère néfaste de l’intrusion des partis transformés en masse de manœuvre électorale idéologique, percutant le concept d’initiative citoyenne, renvoie à la méfiance de la philosophe française Simone Weil à l’égard des partis politiques.

Dans un article de 1950 intitulé « Note pour la suppression générale des partis politiques », elle avait exprimé sa défiance à leur tendance à l’embrigadement collectif sans nuances. Pour elle qui ne mâchait pas ses mots, les appareils qui réclament l’obédience sans faille à leur ligne, portent en eux les germes du totalitarisme.

Le propos paraît choquant dans un monde où le pluralisme partisan est présenté comme un des remparts contre le totalitarisme.

Mais, dans le cas présent, c’est bien la rigidité de la discipline partisane obligée, articulée à la systématique opposition sans nuance du KMT à Tsai Ing-wen qui, sur fond de contestation de la politique d’une seule Chine, fut à l’origine des référendums et de leur échec. Dans ce contexte, le sens implicite des scrutins ne visait pas à interroger les électeurs sur les sujets précis des référendums, mais à rallier les oppositions aux politiques de Tsai Ing-wen.

Ajoutons que la difficulté des choix qui supposaient une expertise multiple en océanographie, en énergie nucléaire et en science alimentaire pourrait avoir poussé à l’abstention ceux qui auraient souhaité échapper aux logiques partisanes des votes automatiques.

Du coup, le vieux parti nationaliste héritier de la guerre civile chinoise prônant une obédience sans faille à la politique d’une seule Chine, véritable origine de cette embardée, ne paraît plus en phase avec les avancées d’une citoyenneté participative.

Plébiscité par l’opinion de l’Île, creuset des élans individuels et portant l’idéal improbable d’électeurs tous bien informés, ce mode de fonctionnement politique a certes le grand défaut de disperser les bataillons des majorités électorales. Mais force est de reconnaître qu’il est beaucoup plus sceptique et rétif à l’embrigadement politique.

Le Parti de Tsai Ing-wen qui n’échappe pas à la logique partisane devrait s’en souvenir, même si, aujourd’hui, porté par son succès, il triomphe avec Tsai Ing-wen. Mais elle aussi, a logiquement réinterprété les résultats du vote comme une réfutation globale de ses opposants et un blanc-seing pour sa politique étrangère profil haut défiant Pékin.

Le soir des scrutins, ayant en tête le cœur de la controverse avec le Parti Communiste chinois qui entend réduire la relation dans le Détroit à une affaire de politique intérieure, la Présidente a en effet tweeté un message sans aucun rapport avec les sujets des référendum - « Aujour’hui, le peuple taïwanais a exprimé son soutien pour l’engagement du pays aux côtés de la communauté internationale ».


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