›› Politique intérieure

La photo prise le 18 décembre sur le campus de l’Université Fudan à Shanghai montre une bannière appelant l’Université à adhérer à la philosophie politique du président Xi Jinping. La version révisée de la charte de l’Université stipule que sa gouvernance n’est plus de la responsabilité des élèves et des professeurs, mais du « Comité du Parti communiste chinois », sous la directions du « Secrétaire général ». Photo : AFP / Hector Retamal
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Le mercredi 18 décembre dernier des étudiants de l’Université Fudan de Shanghai ont protesté contre la mise aux normes de la pensée et l’ambiance de surveillance suspicieuse à laquelle sont soumis les professeurs et les élèves.
Bien que de faible envergure, l’événement qui a brièvement agité les réseaux sociaux avant d’être censuré, a touché un nerf sensible de la machine politique du régime inquiet d’une contagion sur le Continent des troubles à Hong Kong.
Comme dans la Région Administrative Spéciale [1], la protestation - cette fois feutrée -, mais bien réelle, s’alimente d’un événement déclencheur survenu en surplomb des perspectives anxiogènes d’un avenir politique fermé. Dans le cas de Fudan, l’arrière-plan est une mise aux normes académique ayant pris la forme d’un harcèlement des professeurs par des élèves transformés en espions délateurs.
Plus largement, l’événement s’inscrit dans le cadre plus vaste des intentions du Parti de contrôler sans faiblir le système éducatif du pays, en même temps que l’ensemble de sa vie politique et sociale. Récemment, la volonté de contrôle du pouvoir s’est pour la première fois étendue à la « mise aux normes » politique des textes religieux.
La « Liberté de pensée » sacrifiée.

Le 18 décembre sur le campus de Fudan les étudiants protestaient contre la suppression des termes « Liberté de pensée » de la charte de l’Université, remplacés par l’injonction à se conformer « aux principes du Marxisme et du socialisme, sous la direction du Parti communiste ».
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A Fudan, un des établissements chinois d’enseignement supérieur les plus ouverts à l’exigence d’études académiques respectueuses de l’indépendance de la pensée, structurée et enrichie par l’échange d’idées contradictoires, l’élément déclencheur fut la décision politique imposée par le pouvoir de modifier la charte de l’Université.
Le projet a certes conservé les termes « indépendance académique ». En revanche, il a supprimé « liberté de pensée 思想自由 », remplacée par l’exigence de « loyauté au Parti - 党的忠诚 – et par l’impératif « d’armer les esprits des professeurs et des élèves autour de la pensée de Xi Jinping d’une nouvelle ère et des caractéristiques chinoises » 习近平 新时代 中国 特色 社会主义 思想. »
Enfin, la modification de la charte éclaire la volonté de l’appareil de contrôler politiquement le système éducatif. Alors que la version originale stipulait que la gouvernance à Fudan était de la responsabilité des « enseignants et des étudiants » pour une « gestion démocratique » de l’Université, la version révisée confie cette charge au « Comité du Parti communiste chinois » et à son « Secrétaire général ».
Troisième épisode de mise aux normes avec celle imposée à l’Université de Nankin et à l’Université Normale du Shaanxi, la modification de la charte de Fudan a suscité des réactions hors du campus et brièvement enflammé les réseaux sociaux. Les critiques accusaient l’Université de tourner le dos aux principes mêmes de liberté qui fondent un système éducatif performant.
Réunis dans une cafétéria de Fudan, les étudiants ont entonné l’hymne officiel de l’Université qui, contrairement à la charte modifiée, fait toujours explicitement référence à la liberté de pensée.
En même temps, plusieurs professeurs publièrent en ligne des messages critiquant la décision de réviser la charte. Leurs messages qui s’indignaient que la Direction de l’Université n’ait consulté personne, ont rapidement été supprimés par la censure.
Recrutement d’élèves « délateurs ».

Publiée par le New-York times la photo du professeur You Shengdong professeur d’économie à Xiamen licencié en 2018 après avoir été dénoncé par les élèves qui l’accusaient d’avoir émis un avis critique sur le « rêve chinois » de Xi Jinping.
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L’effervescence vite étouffée a surgi sur le terreau de la pire initiative ayant le potentiel de déstabiliser tout un système éducatif et de détruire la confiance dont il devrait se nourrir : l’espionnage et la dénonciation des professeurs par des élèves spécialement mandatés par le régime.
Récemment, le New-York Times citait une douzaine de cas de professeurs sanctionnés ou mis à pied après que des élèves les aient dénoncés.
You Shengdong 71 ans, professeur d’économie à l’Université Tan Kah Kee de Xiamen (du nom du riche Chinois d’Outre-mer qui l’a fondée) est aujourd’hui réfugié aux États-Unis après avoir été licencié en 2018 pour avoir exprimé son avis sur le « rêve chinois » de Xi Jinping : « Un rêve n’est pas un idéal. Il n’est qu’illusions et fantaisie ». Commentaire que le Global Times avait jugé radical et menaçant pour la paix sociale.
Le professeur You n’est pas la seule victime du harcèlement. La campagne qui rappelle les dénonciations de professeurs par leurs élèves du temps de la révolution culturelle – souvenir répulsif pour les plus anciens -, a touché des enseignants dans plusieurs endroits de Chine.
Toujours en 2018, à Qinghua le professeur Lü enseignant le Marxisme était accusé d’enseigner une « idéologie de classe » que les élèves-délateurs ont, dans une référence aux chasses aux sorcières maoïstes, qualifiée « d’œuvres de monstres et de démons - 牛鬼蛇神 niu gui she shen » littéralement « monstres, serpents et esprits », expression bien connue qui, du temps de Mao, désignait les mauvais éléments politiquement indésirables – [2]
Un autre professeur à l’Université Normale de Chongqing a été démis de ses fonctions et contraint de faire des excuses pour avoir, disent les censeurs, « discrédité » la pensée de Xi Jinping.
A Pékin, Xu Chuanqing a été licenciée de l’Université d’Architecture et de Génie civil, dénoncée par des étudiants qui l’accusaient de favoritisme pro-japonais. Quant à Zhai Juhong, qui critiquait la suppression par Xi Jinping de la limitation à deux mandats présidentiels, elle a été suspendue de l’Université de droit et d’économie du Hubei.
Des injonctions à la délation sont affichées dans les campus. A l’Université du Sichuan Mr Peng, Wei (21 ans) un des élèves promus au rang « d’agent informateur » recruté par annonce de l’Université, tient un répertoire des vues idéologiques des professeurs. En échange on lui promet bourse d’études et avancement rapide au sein du Parti.
Certains de ses collègues n’hésitent pas à élargir leur surveillance hors de l’enceinte de l’Université et contrôlent les fréquentations et les lectures des professeurs. « Il est de notre devoir de nous assurer que l’environnement éducatif est “pur“ », dit M. Peng, « et que les professeurs respectent les règles. ».
On comprend que pour certains l’ambiance devient pesante. « Tout le monde se sent menacé » dit You Shengdong de Xiamen, fustigeant une atmosphère corsetée peu propice aux études et encore moins à l’innovation.
Note(s) :
[1] Une partie des révoltes en cours dans le monde ont précisément pour motif un malaise entre les pouvoirs en place et leurs administrés. L’affaire se complique quand, comme à Hong Kong, les administrés vivent sous un régime libre alors que le pouvoir central est autocrate. Le comble de l’angoisse est atteint quand les hasards tortueux de l’histoire fixent aux démocrates une échéance à laquelle ils seront contraints d’abandonner leurs libertés pour se couler dans un système autocrate.
L’épisode calamiteux de la loi sur l’extradition a servi de catalyseur à l’inquiétude latente des Hongkongais, aggravée par les intrusions de Pékin dans l’autonomie garantie par l’arrangement « Un pays deux systèmes », alors même que ce dernier devait, en théorie, ménager une transition harmonieuse entre le système ouvert d’une séparation des pouvoirs et la fermeture politique en vigueur en Chine.
A Fudan, l’étincelle étudiante - il est vrai bien moins fulminante qu’à Hong Kong - a éclaté sur l’arrière-plan toxique de la dénonciation des professeurs par des élèves délateurs.
[2] Dans ses cours, Lü disait notamment que, considérant le temps long, la civilisation occidentale restait encore dominante et que la Chinoise avait décliné. De fil en aiguille, l’appréciation qui peut se discuter, a été assimilée à une critique directe du « socialisme aux caractéristiques chinoises » de Xi Jinping. Comme le concept est inscrit dans la constitution, les jugements de Lü furent qualifiés par certains délateurs « d’anticonstitutionnels ».