Your browser does not support JavaScript!

Repérer l'essentiel de l'information • Chercher le sens de l'événement • Comprendre l'évolution de la Chine

›› Politique intérieure

Le piège autoritaire de Xi Jinping

A la mi-janvier Yuen Yuen Ang, professeur d’économie politique à l’Université privée Johns Hopkins de Baltimore, auteur de « How China escaped the poverty trap - Comment la Chine a échappé au piège de la pauvreté » (Cornell University Press, 2016) et « China’s Gilded age – Les années folles de la Chine » (Cambridge University Press, 2020) publiait un article dans « The China Project » dont l’idée maîtresse mettait en garde contre l’excès de contrôle politique sur l’économie.

Pour elle, la première leçon des trois années qui viennent de s’écouler est que la rigidité de la direction pyramidale du pays n’est pas une solution viable pour la modernisation du pays.

Appliqués de manière trop radicale, les contrôle et les mises aux normes sont de nature à briser l’élan d’entreprise et commercial des Chinois. Le risque est aussi que la précipitation politique de vouloir à toutes forces sortir de ce qu’elle appelle « The gilded age » de la Chine, pourrait, par retour de flamme, embourber la modernisation dans un piège normatif.

Le concept de «  gilded age » ne renvoie pas à celui « d’âge d’or ». C’est un faux-ami. « Gilded age  » fait plutôt référence à l’époque débridée ou folle qui, aux États-Unis avait, de 1870 à 1900, sous la surface d’une industrialisation rapide et d’une forte croissance, engendré d’importantes effets sociaux indésirables. Selon elle, la Chine en est là.

En croissance rapide depuis quarante ans, ayant réalisé une spectaculaire modernisation visible dans l’aménagement du territoire, la conquête spatiale, le renforcement de ses capacités militaires et la réduction de la plus grande pauvreté, créant ainsi une puissante classe moyenne, la deuxième économie mondiale recèle encore d’importantes vulnérabilités, dysfonctionnements et tensions internes assimilables au « gilded age » de l’Amérique à la fin du XIXe siècle.

Mais vouloir en précipiter la sortie à marche forcée à la manière de Xi Jinping à rebours du pragmatisme de Deng Xiaoping, est une entreprise risquée.

Dans son livre expliquant comment la Chine a échappé au piège de la pauvreté, Ang montre comment, depuis Deng Xiaoping, le Parti a rejeté le déterminisme historique et la causalité linéaire dogmatique de la pensée communiste. Tirant profit des interdépendances des marchés, il a exploité le talent des chinois à s’adapter aux réalités, à entreprendre et à commercer.

Par plusieurs centaines d’entretiens avec des bureaucrates et des entrepreneurs chinois, elle a reconstitué le processus complexe ayant tiré la Chine du « marigot communiste » pour la transformer en moins de quarante ans en un « mastodonte de l’économie mondiale  ».

Elle montre que la mutation de la Chine ne fut pas le résultat d’un contrôle autoritaire centralisé, mais l’effet de ce qu’elle appelle une « improvisation dirigée  » - où les directives descendantes de Pékin croisaient et accompagnaient la souplesse des acteurs locaux.

Le deuxième enseignement tiré de cette radiographie du miracle chinois est l’exigence du réalisme qui impose d’utiliser les atouts existants – dans ce cas, l’esprit d’entreprendre et le sens du commerce des Chinois -, y compris en bravant les normes idéologiques maoïstes.

C’est ce qu’a fait Deng Xiaoping, alors qu’au contraire, s’éloignant du pragmatisme du « Petit Timonier » Xi Jinping articule sa stratégie au « rêve » déconnecté des réalités, qui plus est accroché à l’idéologie maoïste et à la gouvernance autocrate laissant peu de place à la nuance, à la respiration politique et aux initiatives locales.

Le pragmatisme de Deng.

Avec Deng Xiaoping « animateur et guide, plutôt que dictateur » dit-elle, le Parti définissait des objectifs nationaux tout en imaginant des incitations à l’usage de la « base », tandis que les acteurs locaux et le secteur privé improvisaient des solutions adaptées au terrain.

Dans la pratique, une grande variété de « modèles chinois  » locaux ont émergé, offrant des innovations de bas en haut, souvent d’une manière qui étonnèrent les autorités centrales. L’essor de l’économie numérique descendue jusqu’aux pratiques de vente en ligne chez les petits paysans qui, auparavant, dépendaient des circuits locaux et des intermédiaires en est un exemple spectaculaire.

Lire à ce sujet notre éditorial du 28 novembre 2020 : Les petits fermiers chinois et la révolution de la vente en ligne sur la rencontre complémentaire entre la ruralité isolée des petit fermiers et l’explosion numérique.

« Les idées devant toujours précéder l’action  », Deng s’est d’abord assuré de changer l’état d’esprit et les normes du Parti. Dans son discours historique de décembre 1978 qui lançait l’ère des « réformes et de l’ouverture » il a fait de « l’émancipation des esprits  » une priorité absolue.

Sous Mao, le fait que les particuliers n’osaient pas dire la vérité par crainte d’être sévèrement punis, créait un climat politique figé qui fut le fond de tableau désastreux du Grand Bond en avant. Mais sous Deng, le nouvel impératif était de « chercher la vérité à partir des faits - 实事求是 ». « Les politiques étaient choisies non parce qu’elles étaient alignées au dogme idéologique, mais parce qu’elles amélioraient le bien-être des Chinois.  »

La mutation ne s’est pas faite sans mal. Le système hybride de Deng combinant une direction générale insufflée du haut et le retour pragmatique des autonomies locales, rencontra à la fois le scepticisme des « faucons » antichinois en Occident et l’hostilité des conservateurs chinois adeptes de l’économie dirigée de haut en bas. Aujourd’hui, elle se heurte aussi au conservatisme idéologique de Xi Jinping.

En arrivant au pouvoir, ce dernier a revisité l’histoire du miracle chinois à rebours du pragmatisme de Deng, en attribuant les succès non pas à la souplesse politique interne, mais à l’avantage idéologique de l’autoritarisme vertical du Parti sur les systèmes occidentaux qui mêlent capitalisme et démocratie.

Nombre d’observateurs de la Chine ont considéré que les récents changements de cap de la réaction pandémique et de la mise aux normes politiques des géants du numérique par l’appareil témoigneraient d’une souplesse politique pragmatique. En réalité pour Yuen Yuen Ang, le compte n’y est pas. Décidés sous la pression des circonstances, les récents tête-à-queue politiques de Xi Jinping sont très éloignés d’un changement systémique dont la mise en œuvre prendra du temps.

Il est vrai qu’au cours des derniers mois, Xi Jinping a effectué ou annoncé une série d’ajustements qui, à première vue, pouvaient se réclamer du pragmatisme de l’obédience à la réalité des faits sur le mode - 实事求是 – de Deng Xiaoping.

Il a abruptement mis fin à presque trois années d’extrêmes blocages de la stratégie « zéro-covid » et allégé la normalisation brutale des sociétés du numérique et du secteur immobilier, tout en réaffirmant son attachement à la croissance en déclenchant un plan de relance. L’ajustement s’est également essayé à l’ancienne stratégie de modestie stratégique de Deng Xiaoping opposée à l’affrontement direct.

Après le G20 à Bali où il a cherché à apaiser sa relation avec les États-Unis, l’impression que la deuxième économie de la planète revenait au pragmatisme de l’ouverture et tournait le dos aux dogmes idéologiques a déclenché l’enthousiasme des investisseurs.

Le long chemin vers l’ouverture et une meilleure « gouvernance ».

Alors que la réinitialisation de la Chine au réalisme est certainement de bon augure pour le commerce international, la paix et la stabilité mondiales, remettre l’économie chinoise sur la voie du pragmatisme nécessitera plus qu’un simple renversement des politiques récentes.

La nécessaire et urgente priorité est de revenir à l’empirisme des réalités et à une capacité politique plus réactive favorisant une meilleure interaction entre le sommet et la base socio-économique, fondement du succès de Deng Xiaoping. Pressé par l’impératif de sauver l’appareil fragilisé par les prévarications et le flottement idéologique, Xi Jinping a fait l’inverse.

Il a certes mis sous les verrous un grand nombre de bureaucrates corrompus, mais il a aussi fermement exhorté les responsables à faire preuve de loyauté à sa personne et à adhérer sans murmure à l’idéologie du parti. Ces mesures ont abouti à l’inaction et à la paralysie bureaucratique – les Chinois critiques parlent d’une « gouvernance paresseuse » -, peuplée de responsables pusillanimes choisissant d’en faire le moins possible pour se protéger des reproches en cas d’initiatives controversées par la hiérarchie.

La vérité est que l’insistance de Xi pour que les paroles et les actes soient alignées à la norme officielle a éteint toute critique. La crainte des responsables de rapporter de mauvaises nouvelles, par exemple, pourrait avoir contribué au retard de la réponse à l’épidémie de COVID-19 à l’automne 2019 jusqu’au 23 janvier 2020.

Il n’était pas nécessaire qu’il en soit ainsi dit Ang. Le pouvoir aurait pu emprunter une voie différente pour lutter contre la corruption. Avant Xi, en fait, le pays progressait régulièrement vers une gouvernance plus ouverte. Certaines administrations locales avaient commencé à s’exercer à la transparence, sollicitant même les commentaires critiques du public sur leur action.

Malgré les contraintes de la censure, il existait des journaux d’investigation tels que Caixin et Southern Weekly qui mettaient régulièrement à jour des scandales qui, en retour, suscitèrent des réformes.

Plusieurs municipalités avaient même expérimenté la déclaration des avoirs et des revenus des membres de l’administration soutenue avec enthousiasme par les militants des droits. En 2012, avant l’arrivée de Xi, le gouvernement avait même envisagé d’étendre cette expérience à tous les Chinois.

Cependant, dès le début de la campagne anticorruption de Xi, ces efforts ascendants ont été étouffés et le gouvernement a resserré son contrôle sur la société civile. Il est vrai qu’à bien des égards, l’inflexible centralisation qu’il a instaurée l’a placé dans une position exceptionnelle pour défier les intérêts acquis et faire avancer des réformes difficiles.

La longue liste des occasions manquées et les risques de nécrose politique.

Xi aurait pu réduire le poids des monopoles publics et libérer l’initiative des entreprises privées, qui, en 2017, créaient plus de 90% des nouveaux emplois. Un secteur privé plus fort, moins corseté par l’appareil aurait accéléré le type de croissance à large assise qui réduit les inégalités.

Il aurait aussi pu corriger le déséquilibre budgétaire entre le gouvernement central et les pouvoirs locaux, afin que ces derniers ne soient pas obligés de louer des terres et d’emprunter de l’argent pour équilibrer leur budget. Fort de son pouvoir sans partage, il aurait également pu tempérer la tentation normalisatrice verticale des fonctionnaires.

Mais le n°1 n’a montré que peu d’intérêt pour de telles réformes structurelles. Alors qu’elles auraient également dû corriger les retards des systèmes sociaux, principaux obstacles à l’augmentation de la consommation des ménages et à un meilleur partage de la richesse nationale, leur priorité est allée à la mise à bas brutale du « capitalisme de copinage » et au renforcement des contrôles politiques, copié du totalitarisme maoïste dont le bilan est pourtant désastreux.

En prenant le contrepied du pragmatisme de Deng Xiaoping ou de Hu Yaobang à l’écoute de la base, Xi étouffe la souplesse inventive de l’esprit d’entreprise des Chinois et leur sens du commerce, principales qualités à l’origine des succès de la croissance. « C’est comme faire du vélo » dit un responsable critique, « Plus on se crispe sur les poignées, plus il est difficile de garder l’équilibre. ».

La conclusion du travail de Yuen Yuen Ang, est sans appel. Pour que le pays retrouve son dynamisme et sa capacité d’innovation, Xi Jinping doit libérer la canaux de l’interaction entre la tête du régime et la base. A cet effet, dit-elle, il est impératif que lui-même donne l’exemple.

Abandonnant les discours sur le « rêve chinois » éloignant la politique de l’expérience concrète de terrain, il doit promouvoir un état d’esprit rigoureusement accroché aux réalités et cesser de réprimer les voix qui en décrivent les effets ou les versants indésirables. Il est aussi nécessaire de donner plus d’espace à la société civile et aux médias.

La mise sous le boisseau des voix critiques produit un sentiment de sécurité et d’harmonie sociale factice. Sans un retour d’information mesurant l’effet sur la société des politiques publiques, la gouvernance fonctionne à l’aveugle et l’appareil s’expose à la multiplication des protestations identiques à celles de la fin novembre 2022. Leur répétition dans une quinzaine de villes de Chine questionnait la légitimité même de Xi Jinping qui, comme celle de l’appareil, ne repose que sur la performance.


• Commenter cet article

Modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Ce formulaire accepte les raccourcis SPIP [->url] {{gras}} {italique} <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

• À lire dans la même rubrique

L’appareil fait l’impasse du 3e plénum. Décryptage

A Hong-Kong, l’obsession de mise au pas

Pour l’appareil, « Noël » est une fête occidentale dont la célébration est à proscrire

Décès de Li Keqiang. Disparition d’un réformateur compètent et discret, marginalisé par Xi Jinping

Xi Jinping, l’APL et la trace rémanente des « Immortels » du Parti