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Le Yuan, l’étalon Or et le pétrole. Décryptage d’un mythe

Depuis la mi-octobre un article issu des milieux des traders indiens, repris par la chaîne CNBC reprend les informations selon lesquelles la banque centrale chinoise tente de réduire le rôle du Dollar américain en persuadant ses fournisseurs de pétrole [1] d’accepter un paiement de leurs livraisons en monnaie chinoise. Observant la manœuvre depuis les États-Unis, l’Institut d’analyse de la sécurité globale (IAGS) qui focalise sur les questions d’énergie, estime « que l’initiative n’a pas encore le potentiel de changer la donne », mais « qu’elle est un indice que la domination du Dollar a commencé à décliner. »

Pour l’heure les experts estiment qu’il y a cependant loin de la coupe aux lèvres. La stratégie se heurte à plus de 40 ans de pratiques articulées à des prix du marché fixés en $ dont il faut rappeler qu’au contraire du Yuan chinois, il est librement convertible, déterminant le prix à partir de standards de qualité à l’origine de 60% des prix des pétroles mondiaux. Les 2/3 des contrats d’achat et de ventes de pétrole brut sont alignés sur ces pratiques financières articulées à la souplesse et à la liquidité des transactions en $.

A la difficulté de bousculer des pratiques de fixation des prix vieilles de 40 années à partir de références de qualité du brut reconnues qui seraient à remplacer par un nouveau standard, s’ajoute la conscience que le contrôle strict exercé par l’État chinois sur le cours du Yuan porte le risque pour un contractant utilisant la monnaie chinoise de se placer directement sous l’influence de Pékin, tandis que les marchés seront réticents à laisser le prix du pétrole à la merci d’un pouvoir politique à ce point impliqué dans l’industrie pétrolière par le truchement de ses groupes publics.

Le mirage de l’étalon Or à la rescousse du Yuan.

Simultanément d’autres informations font état de ce qui serait une nouvelle manœuvre de Pékin capable en théorie de réduire à néant les critiques accusant le pouvoir politique chinois de contrôler le Yuan et, partant, le marché du brut. En riposte aux réticences générées par la non convertibilité du Yuan, ce dernier serait, selon la Nikei Asian Review, garanti par les réserves d’Or de la Chine estimées à 4000 tonnes et même rendu convertible en Or à Shanghai et Hong Kong.

Le but serait de contourner les piliers des « contrats à terme » dominant le marché que sont le New York Mercantile Exchange (NYMEX) et le Intercontinental Exchange (ICE) qui fixent les prix de référence. A cet effet Pékin a récemment créé le « Shanghai International Energy Exchange (INE) » à l’intention de courtiers étrangers émettant des contrats pétroliers libellés en Yuan dont les premiers devraient être mis sur le marché cette année.

L’introduction de la convertibilité du Yuan en Or augmentera considérablement l’attractivité de la manœuvre chinoise explique la Nikei Asian Review. Elle séduira tous les exportateurs qui, par exemple en Russie et en Iran, souhaitent contourner les sanctions américaines.

Enfin, pour les adeptes de cette théorie spéculant sur la longue pensée stratégique de la Chine, rivale des États-Unis, la crédibilité de la rumeur est confortée par le fait que depuis le milieu des années 2000, Pékin a accéléré ses achats d’Or sur les marchés internationaux [2].

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Mais par un long article du 16 octobre le site Zéro Hedge démonte méthodiquement ce qui en l’absence d’une confirmation du gouvernement chinois, semble une intoxication.

La rumeur tente de compenser l’inconvénient d’un Yuan non librement convertible en spéculant sur la crédibilité internationale de l’Or et en rendant publique une décision que le gouvernement chinois n’a pas prise, d’autant que, légalement, l’Or en Chine n’est pas librement exportable et qu’il est pour l’heure très improbable que la Banque de Chine garantisse un change fixe entre la monnaie chinoise et l’Or. Enfin, la garantie Or des paiements du pétrole en Yuan ne compensera pas le fait que ce sont les Chinois qui fixeront les prix du Brut en fonction de nouveaux standards à définir et surtout des intérêts de leurs groupes pétroliers nationaux.

En revanche, ajoute Zero Hedge, la manœuvre chinoise repose sur une réalité qui n’a rien à voir avec l’Or. Les producteurs désireux de vendre leur pétrole à la Chine en échange de paiements en Yuan sont de plus en plus nombreux, créant ainsi un mouvement participant de l’affaiblissement global du Dollar.

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Cette analyse est aussi l’occasion de faire le point sur l’internationalisation du Yuan, dont la propagation massive sur les marchés financiers est aujourd’hui facilitée par l’abondance des prêts chinois venant en priorité des banques d’État (China Development Bank et Exim Bank) et de la banque d’investissements d’infrastructure dont la fréquence s’est encore accélérée après le lancement des projets des routes de la soie.

Selon une étude de la Brookings d’octobre 2017, ces dernières années, le montant annuel des prêts consentis par ces trois institutions à des pays en développement était de 40 Mds de $ par an. Au passage, l’abondance des prêts par la Chine à des pays peu solvables pose la question de la santé financière de la manœuvre et des conséquences sur les comptes des banques chinoises elles-mêmes.

Note(s) :

[1Depuis mai 2015, l’Arabie Saoudite ( 3 millions de tonnes / mois) a glissé au 3e rang des fournisseurs de la Chine derrière la Russie (3,9 millions de tonnes/mois ) et l’Angola (3,3 millions de tonnes/mois – 11,9% - ). A eux trois ils fournissent en moyenne 25% des importations annuelles de pétrole brut de la Chine dont les chiffres explosent. Les autres fournisseurs de la Chine sont Oman (9,6%), l’Irak (9,1%), l’Iran (8%), le Brésil (5,2%), le Koweit (4,1%), le Venezuela (3,9%), les Emirats (3,3%), la Colombie (1,9%), le Congo (1,8%).

Multipliés par 30 en à peine plus de 10 ans, les importations de pétrole sont passées de 12 millions de tonnes en 2006 à 400 millions de tonnes en 2017 (projection à partir des chiffres des 6 premiers mois de l’année). A noter que l’augmentation rapide des importations est aussi due à la décision de Pékin de se constituer des réserves stratégiques dont l’ampleur est tenue secrète.

[2L’examen des chiffres sur les réserves d’or de la Chine montre (estimations) 2200 tonnes détenues par les particuliers, 7000 tonnes représentant les réserves minières du pays, 4000 tonnes correspondant aux réserves officielles de la Banque de Chine (contre 400 tonnes en 1994). Depuis 10 ans, on note une accélération des achats d’or sur le marché mondial par la Chine. Si la quantité était négligeable en 2006, elle dépassera 8000 tonnes en 2017, tendant à prouver que les réserves déclarées de la Banque de Chine sont largement sous-estimées.


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