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Les défis de l’obsession réunificatrice

Un appel solennel à l’histoire et à la proximité culturelle.

L’intervention de Xi Jinping entourée d’une solennité et d’une gravité remarquables, en présence de tout le Bureau Politique et d’une forte représentation des militaires, le Général Xu Qilang n°11 du BP ayant été placé parmi les 8 officiels du premier rang, eut lieu après plusieurs rappels historiques d’autres intervenants faisant tous l’apologie de la réunification, condition de la paix dans le Détroit.

Les différents orateurs firent non seulement état de la proximité culturelle et historique entre les compatriotes des deux rives, mais également des catastrophes inévitables provoquées par une rupture identitaire indépendantiste.

Quant à l’adresse de Xi Jinping elle-même qui dura un peu plus de 30 mn d’une cérémonie qui se prolongea largement au-delà d’une heure, elle a d’abord replacé l’histoire de la séparation d’avec le Continent dans le contexte des guerres de l’opium et de la défaite contre l’empire nippon en 1895 qui occupa l’Île jusqu’en 1945.

Reconnaissant au passage la « contribution des compatriotes taïwanais à la victoire contre le Japon », le Président qui depuis 2012 a souvent mentionné des souffrances de la Chine dépecée au XVIIIe siècle par les « huit puissances » n’a pas manqué d’attribuer la responsabilité de l’actuelle fracture dans le Détroit à des ingérences étrangères.

La suite du discours adopta un ton plus conciliant que celui de la clôture de la 13e session de l’ANP en mars dernier où Xi Jinping avait menacé de « sanglantes batailles contre les ennemis de la Chine pour protéger son intégrité territoriale ».

S’inspirant des ouvertures offertes par le schéma des « deux systèmes » il a promis de respecter la propriété privée, la liberté de culte et les droits légitimes des personnes, il a insisté sur 5 points : 1 ) La réunification est une tendance historique ; 2) Elle se fera par le truchement du schéma « Un pays, deux systèmes ; 3) Sans ingérence extérieure ; 4) A la suite d’une consultation électorale des Taïwanais et des Continentaux ; 5.- Elle garantira le mode de vie des taïwanais

Pour autant sur le fond, le n°1 chinois n’a pas cédé un pouce des convictions chinoises selon lesquelles la réunification était la tendance historique naturelle des deux rives du Détroit et l’indépendance un « cul-de-sac ».

Une affaire intérieure éventuellement réglée par la force.

Fidèle à la stratégie alternant, d’une part, la séduction par le rappel des proximités culturelles et historiques à quoi s’ajoute l’avantage des affaires apportées par les opportunités chinoises et, d’autre part, les constantes menaces militaires plus ou moins directes, l’Île étant placée à portée d’une forte concentration de missiles balistiques déployés sur la côte sud-est de la Chine, Xi Jinping a reconnu que la stratégie de Pékin harcelant l’actuel exécutif taïwanais avait minimisé le risque d’indépendance de l’Île. Sans surprise, il a aussi renouvelé les menaces militaires que Pékin profère depuis 1949 et fustigé, sans les nommer les ingérences américaines.

Pour lui, la question taïwanaise était une affaire intérieure chinoise et les interférences étrangères intolérables. Ajoutant que la Chine proposait un vaste champ des possibles dans le cadre d’une réunification pacifique il précisa qu’il ne laissera aucune marge de manœuvre aux séparatistes. En cas de déclaration d’indépendance Pékin se donnerait tous les moyens pour riposter. C’est pourquoi il était impossible de promettre de renoncer à la force.

L’injonction de l’urgence et le déni démocratique.

Mais s’il est vrai que le ton était plus conciliant qu’en mars dernier, et qu’au fond le discours n’a rien apporté de nouveau sur la manière dont Pékin considère l’Île et le futur des relations dans le Détroit, la vérité oblige à dire que le discours s’inscrit dans un contexte de plus en plus tendu.

Depuis l’avènement de Xi Jinping s’est en effet ajouté le sentiment d’une impatience nouvelle articulée à l’obligation de réaliser la réunification pour parfaire le « rêve de la renaissance de la Nation chinoise ». La hâte chinoise inscrite dans un délai d’une génération (2049), crée une angoisse d’autant plus perceptible dans l’Île que la grande majorité des Taïwanais ne voyant aucune issue viable, ni dans l’indépendance porteuse de guerre, ni dans la réunification sous l’égide du Parti Communiste, s’accroche à l’espoir, improbable et non-sens stratégique, d’un statuquo sans limite de temps.

Une autre caractéristique alarmante des discours de Pékin sur la situation dans le Détroit également exprimée ce 2 janvier par Xi Jinping, est l’absence totale de référence au système politique de l’Île et aux souhaits des Taïwanais, sans cesse définis comme des « compatriotes », mais dont la volonté et la liberté de choix sont passées par pertes et profits, étouffées par l’idée d’une « obligation historique supérieure » de réunification s’imposant à tous et dont le Parti Communiste chinois serait le seul instrument légitime.

Tsai riposte et en appelle à la communauté internationale.

A Taipei, l’exemple de la trajectoire politique suivie par Hong-Kong que Pékin présente comme le modèle de réunification ne rassure pas l’opinion. Elle ne veut pas du schéma des « deux systèmes » soit parce qu’elle refuse la règle du Parti Communiste chinois, soit parce qu’elle est animée d’un sentiment de rupture identitaire par rapport au Continent. C’est ce que Tsai Ing-wen a fait savoir dans son discours réponse à Xi Jinping, le 2 janvier dernier.

Après avoir répété que, contrairement au Guomindang, elle et son parti n’avaient jamais accepté le « consensus de 1992 » reconnaissant l’appartenance de Taïwan à la Chine, elle a sans détour signifié à Xi Jinping que la « majorité des Taïwanais rejetait fermement le schéma des deux systèmes », soulignant que ce refus était aussi un « consensus taïwanais ».

Après quoi, elle a longuement souligné la nature démocratique du régime de l’Île, condamné les manœuvres d’intrusion oblique de Pékin dans le jeu politique taïwanais, dénoncé les harcèlements dont son exécutif était l’objet, y compris par des pressions sur des compagnies aériennes ne désignant pas l’Île selon les règles définis par le Parti communiste et rejeté les menaces militaires.

Rappelant qu’elle était prête à engager des négociations pacifiques, elle a réitéré que celles-ci devaient être conduites dans le respect et la reconnaissance mutuels, entre pouvoirs politiques établis et non par le truchement d’initiatives individuelles non reconnues par Taipei.

La remarque de Tsai faisait référence aux tendances de la Chine à contourner le pouvoir élu dans l’Île pour négocier directement avec le Guomindang (KMT – 國民黨), héritier de Tchang Kaï-chek qui reconnaît le « consensus de 1992 » avec cependant la réserve que, dans l’esprit du vieux parti nationaliste héritier de Sun Yat-sen, « une seule Chine » ne suppose pas qu’elle soit communiste, nuance que Pékin fait mine d’oublier.

Les résistances taïwanaises.

Aux injonctions chinoises stipulant « l’obligation » de réunification, Tsai a riposté en exhortant Pékin à respecter « 4 obligations 四個必須 : Pékin doit reconnaître : 1) Que la République de Chine existe 北京必须认识到“中华民国 ; 2) Que 23 millions de Taïwanais ont choisi de vivre librement en démocratie 必须尊重台湾 2300 万人民的自由选择和民主制度 ; 3) Que les différends entre les deux rives doivent se résoudre pacifiquement 通过和平讨论解决两岸分歧 ; 4) Que le dialogue dans le Détroit doit se conduire par le truchement de canaux autorisés. 通过授权机构与台北进行政府对话。 »

La suite fut une dénonciation sans équivoque des menées de Pékin contre l’Île et un rappel à l’ordre du KMT tenté par des négociations séparées. Elle était assortie d’une recommandation à institutionnaliser les garde-fous contre les risques de subversion chinoise par les affaires et par la séduction.

Tsai a enfin réitéré son appel au-secours adressé à la communauté internationale : « L’attitude chinoise consistant à engager des consultations avec des partis politiques et non avec le gouvernement démocratiquement élu de Taïwan participe d’une campagne de Pékin pour nier et saper le processus démocratique et diviser la société taïwanaise (…). Si la communauté internationale ne venait pas en aide à Taïwan, l’Île deviendra une nouvelle victime des pressions chinoises. ».

Il est difficile de prévoir la suite, à l’heure où Washington dit vouloir se désengager tandis que Pékin affirme sans complexe sa puissance, tandis qu’à Taïwan on s’inquiète d’un éventuel lâchage américain.

Tout au plus peut-on dire que les cartes sont lourdes. A Taïwan une déclaration d’indépendance n’est pas à l’ordre du jour, y compris dans l’entourage de Tsai. Quant à Pékin on peut se demander si exprimer à ce point l’urgence solennelle de réunification, assortie de menaces militaires contre un petit pays démocratique est la plus habile des manœuvres en pleine guerre d’influence globale avec Washington. A moins qu’il ne s’agisse de redorer, par l’affichage martial, le blason du n°1 du Parti quelque peu terni à l’intérieur.


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