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Les nouvelles eaux mal balisées de la question de Taïwan

Le conflit stratégique entre Washington et Pékin s’est récemment dilaté en une profonde remise en cause morale de la politique d’assimilation des Ouïghour. En cause non seulement la stratégie de submersion démographique par l’immigration Han, mais surtout la tentative de sinisation des Musulmans réticents ou/et accusés de subversion, regroupés dans des camps de rééducation.

L’offensive de Washington s’est récemment exacerbée par l’accusation du Département d’État qui, par la bouche de Mike Pompeo, qualifia sans ambages de « génocide culturel » ce que Pékin appelle « un planning familial » limitant le nombre d’enfants par femme ouïghour.

Alors que le duel stratégique sino-américain s’est enflammé jusqu’à l’exaspération, vu de Pékin, la présidence de D. Trump aura été marquée par un rapprochement politique inédit de Washington avec Taïwan. Touchant aux limites mêmes des « Trois Communiqués - 三个联合公报 » (voir la note en fin d’article) excluant que, dans le cadre de la « reconnaissance d’une seule Chine », Taipei et Washington puissent avoir des relations officielles, la proximité de plus en plus étroite entre l’Amérique et l’Île a, aux yeux de Pékin, franchi une limite.

Pékin réagit au franchissement d’une « ligne rouge » par Washington.

Après plusieurs voyages non officiels de Tsai Ing-wen aux États-Unis, dont, en 2018, les escales très remarquées à Los Angeles et à la NASA, à Houston, où la présidente avait été presque accueillie comme un chef d’État (lire : « Quand Pékin harcèle Taïwan, Washington lui ouvre les bras. ».), le programme très fourni tranchant avec l’habituelle discrétion des escales des présidents taïwanais, Mike Pompeo avait salué l’investiture de Tsai pour son deuxième mandat en des termes d’où étaient absents toute ambiguïté diplomatique.

Critique directe de Pékin, la déclaration du chef de la diplomatie américaine rappelait que Washington avait « toujours considéré l’Île comme un partenaire fiable ». Elle soulignait aussi, appuyant sur le contraste politique avec le Continent, qu’elle était « une démocratie vibrante et une inspiration pour la région et le monde ».

Le rapprochement politique entre Washington et Taipei a franchi une étape dans la transgression des « Trois Communiqués » quand, le 10 août dernier, Tsai Ing-wen avait reçu à la Présidence à Taipei le ministre américain de la santé en exercice Alex Azar. A cette date, il était le responsable américain du niveau le plus élevé ayant officiellement visité l’Île depuis quarante ans.

Fin décembre dernier, Pékin réagissait aux transgressions de l’équipe Trump en portant la Commission Militaire Centrale (CMC) en première ligne.

Après un amendement de la loi sur l’organisation de la défense, en préparation depuis plusieurs mois, la CMC, plus haute structure militaire du pays, toujours en charge de coordonner les opérations sur les nouveaux théâtres créés en 2016 (lire Vaste réorganisation des forces armées.) est aussi désormais responsable, selon son Article 47, de piloter la mobilisation générale civile et militaire en cas de menace contre l’intégrité du territoire et contre « les intérêts du développement. ».

C’est la toute première fois que la notion de « développement » est inscrite dans la liste des intérêts vitaux à protéger par les forces armées. Le 28 décembre un article du Global Times, liait directement la question à Taïwan et aux stratégies d’influence américaines ayant transgressé l’esprit et la règle des « Trois communiqués ».

« Aussi longtemps que l’île sera manipulée par l’Occident et que la question de Taïwan restera en suspens, les tensions dans le Détroit seront un obstacle au développement du pays. Par conséquent, résoudre la question de Taïwan devient une exigence essentielle, liée à la sauvegarde des intérêts nationaux. »

Au passage, la mise point plaçant l’Île au cœur des questions de développement, assimilant les tensions dans le Détroit à un « obstacle » au progrès de la Chine, était une réponse aux mises en gardes prudentes qui, en interne, exhortèrent au printemps 2019, le Parti à ne pas tomber dans le piège des surenchères martiales de Washington.

Durcissement chinois et débats internes.

Le plus connu des récentes personnalités critiques contre toute précipitation guerrière dans le Détroit est le Général Qiao Liang 乔良. Avec son collègue Wang Xiangsui, lui aussi colonel de l’armée de l’air, il est l’auteur de « La guerre sans limites » (Français, Poche 2006), qui précisément explorait les alternatives à l’affrontement armé et l’extension des conflits hors de la sphère directement militaire.

En mai dernier, tout en exprimant sa confiance dans la future puissance de la Chine, Qiao avait exhorté le pouvoir à ne pas « danser au rythme des Américains - « 我们不应该跟着美国的节奏跳舞 ». Le message invitait le Régime à éviter de se détourner de son objectif de « Renaissance nationale fuxing 复兴 » par l’obsession de souveraineté dont la question taïwanaise est le symbole emblématique.

« La Renaissance de la Chine », écrivait-il, « ne doit pas être stoppée (断) par un conflit militaire 中国的复兴虽未必会被此一战打断 ». Rendu public en décembre, l’amendement de la politique de défense liant le développement du pays à la question de Taïwan est une réponse directe de la mouvance impatiente qui, en Chine, brûle d’en découdre dans le Détroit.

Pour cette école de pensée prenant le contrepied de Qiao Liang, la solution de la question de Taïwan n’est pas une digression risquant de parasiter la renaissance de la Chine. Elle en est au contraire l’une des conditions. Quel que soit l’angle de vue, cette vision lance un défi à Washington.

C’est en tous cas ainsi qu’à Taïwan la classe politique avait interprété le sens réel de l’amendement. Dès octobre dernier, au moment où perçaient les premières rumeurs de l’ajustement, les médias de l’Île l’ont analysé comme une « excuse pour lancer à sa guise une attaque dans le Détroit. ».

Le 12 janvier, Lin Cheng-jung (林政榮), chercheur associé à l’Institut de Défense Nationale et de sécurité taïwanais 國防安全研究院, analysait que la menace militaire chinoise avait désormais basculé de l’intention répressive en cas de déclaration d’indépendance, vers un but préemptif. Par l’amendement entré en vigueur le 1er janvier 2021, « Pékin s’est donné » dit-il « les arguments légaux pour entrer en guerre à tout moment contre l’Île. »

La réflexion de Lin s’élargissait aux questions de la mer de Chine du sud et à celle des Senkaku (Diaoyutai 釣魚台), où Pékin pouvait également évoquer ses « intérêts de développement » pour lancer des actions militaires préventives.

Il nuançait cependant la menace à court terme, en rappelant qu’en dépit des récents progrès de l’APL en matière d’opérations interarmées, son efficacité au combat serait encore réduite par trois importantes lacunes et vulnérabilités : 1) Son manque d’expérience d’une guerre aéronavale ; 2) L’intégration insuffisante des systèmes d’armes et 3) « L’esprit de clocher » qui règne toujours au sein des forces entre la marine, l’armée de terre et l’armée de l’air.

Les nouvelles eaux mal balisées du Détroit de Taïwan.

Il n’empêche que l’évocation « d’une action militaire préventive » fait entrer la situation stratégique du Détroit dans l’incertitude. D’autant que le 9 janvier, le Département d’État donnait le coup de grâce à l’ambiguïté nécessaire au respect des « Trois communiqués » dont l’essentiel avait pour but de ménager la susceptibilité réunificatrice chinoise dans le Détroit.

Une déclaration signée Mike Pompeo levait en effet toutes les restrictions, « auto-imposées » désormais « nulles et non avenues », limitant les contacts avec Taïwan qui, disait le Département d’État, avait été « prises pour satisfaire le régime communiste de Pékin ». Lire : US lifts self-imposed restrictions with Taiwan

*

Tout indique que l’administration Biden qui promet un retour à la coopération avec l’Europe et ses alliés asiatiques sur la question chinoise, ne remettra pas en cause les critiques sur les droits, la condamnation du traitement des Ouïghour, la nécessaire vigilance à propos du droit de propriété intellectuelle et l’exigence de réciprocité sur les marchés, principaux thèmes développés sur un mode très agressif par le Président sortant, durant son mandat.

Mais il reste à savoir si la nouvelle équipe acceptera de revenir aux ambiguïtés des « Trois communiqués » à propos de la question de Taïwan, que Mike Pompeo a sérieusement bousculées.

Après les tumultes ayant marqué la fin de la présidence Trump, l’administration Biden est en effet elle-même placée devant l’exigence de restaurer son rôle global de défenseur des systèmes démocratiques dont la Présidente Tsai Ing-wen a fait la marque de ses mandats.

Pour Joe Biden qui a déjà décidé de remettre en cause nombre de mesures prises par D. Trump, une marche-arrière sur ce terrain très symbolique au cœur même de l’identité de l’Amérique, pourrait s’avérer plus difficile que les autres. Lors de son discours d’investiture tout entier axé sur l’unité de l’Amérique, il n’en a, en tous cas, pas soufflé mot.

« Les Trois communiqués ».

1. Dans le cadre de la reconnaissance de la Chine Maoïste par Washington, les « Trois communiqués », ont été publiés conjointement en 1972 (Nixon et Zhou Enlai), 1979 (Carter et Deng Xiaoping) et 1982, (Reagan et Deng Xiaoping).

Ils s’accordaient sur la fin des relations officielles entre Taipei et Washington, la reconnaissance, de part et d’autre du Détroit, « d’Une seule chine » et « d’Un seul gouvernement de la Chine ». En même temps, ils précisaient que l’Île et les États-Unis continueraient à entretenir des relations économiques et culturelles.

Simultanément le Taïwan Relation Act, disposition de Droit Interne votée par le Congrès en 1979, obligeait l’exécutif à ne pas rester inerte en cas d’attaque directe de la Chine contre Taïwan non provoquée par une déclaration d’indépendance.

Enfin, contrairement au souhait de la Chine qui réclamait un arrêt complet des ventes d’armes à l’Île, Washington a indiqué, lors du 3e communiqué, mais sans préciser de date qu’elles seraient graduellement réduites.

Mais selon un télégramme déclassifié en date du 10 juillet 1982, entre le Département d’État et l’Institut Américain de Taïwan, Washington souhaitait conserver les ventes d’armes comme un moyen de pression jusqu’à la signature dans le Détroit d’un traité de paix.

Aujourd’hui, quarante années plus tard, compte-tenu des ambitions de puissance de la Chine exprimées par le rêve de renaissance 中国复兴梦, où la réunification tient une place essentielle, on voit bien à quel point l’espoir du traité de paix dans le Détroit procédait d’une mauvaise perception de la réalité des ambitions chinoises par les stratèges américains.


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