›› Société

Le slogan « 四 不 青 年 », à la mode dans la jeunesse aisée urbaine, traduit un rejet des codes traditionnels de la société qui poussaient les nouvelles générations à suivre la trace des anciens : 不 恋 爱 ne pas tomber amoureux ; 不 结婚 ne pas se marier ; 不 买房 ne pas acheter d’appartement ; 不 生 孩 ne pas faire d’enfants.
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A l’été 2021, J.P. Yacine avait documenté l’humeur d’une jeunesse désabusée lassée des tensions d’une société glorifiant la compétition et la performance au point d’être peu réceptive aux incitations du pouvoir encourageant les couples à faire plus d’enfants. Lire : Le très faible enthousiasme pour la « politique des trois enfants ».
En réaction au positivisme tous azimuts, la tendance à l’inertie était symbolisée par le mouvement « Tang Ping 躺平 - faire la planche » – qui refusait de « s’agenouiller » 不想跪着 et se disait incapable de se lever 不能站着, préférant rester couché 只好躺. »
Cet état d’esprit désabusé n’a pas disparu.
Sur les réseaux sociaux fleurit depuis quelques semaines un nouveau slogan de pessimisme et d’inertie d’une jeunesse à la fois désenchantée et inquiète. « 四不青年, si bu qingnian - Les quatre “Indésirés “ de la jeunesse » - réfute les « relations amoureuses, 不 恋爱 ; le mariage 不结婚 ;l’achat d’un appartement 不买房 et les enfants 不生孩. »
L’épidémie de découragement frappe d’abord les jeunes urbains instruits. Pris dans une spirale compétitive implacable, ils ont généralement le sentiment d’un cul-de-sac social et économique, persuadés qu’ils n’auront jamais la capacité financière de s’acheter un appartement et de fonder une famille.
En prenant de l’altitude, la propension à la défiance sans illusions pourrait signaler un conflit de générations, entre les plus anciens, partisans de l’affirmation d’efficacité normative du régime et les jeunes.
Ces derniers, pris dans l’étau d’un système éducatif ultra-sélectif, subissent une pression socio-économique symbolisée par la flambée des prix de l’immobilier. En même temps, ils observent de manière critique, confinant à une remise en cause politique, la survivance des pratiques de corruption et le durcissement autocrate du régime.
Du nihilisme social à la contestation politique.

Vu sur les réseaux sociaux. L’expression « 割 韭菜 ge jiu cai : tailler la ciboulette » est une formule de dérision dépréciative fustigeant les investissements compulsifs des « boursicoteurs », parfois les délits d’initiés et, par extension le caractère machinal des habitudes sociales, la vanité des vedettes médiatiques et des postures publicitaires confortant le pouvoir des puissants. Sur ce « post », la formule est associée à une violente critique du système « 生 而 被 割 生 生 不 息 né pour vivre sans repos et être déchiqueté vivant. »
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Vite effacées par la censure, les professions de foi politiques ne sont pas nouvelles. En 2018, déjà on pouvait lire sur le net un rappel des analyses classiques sur l’émergence des exigences libérales dans les classes moyennes éduquées, au milieu des efforts du pouvoir pour les tenir sous le boisseau.
« Une fois que la classe moyenne sera devenue l’épine dorsale de la société - 中产阶级成为社会中坚后 -, elle exigera inévitablement des droits politiques - 必然要求政治权利 – C’est pourquoi- 所以 -, pour préserver l’autoritarisme - 为了维护专制政权 -, il faut - 必须 – à épisodes réguliers, continuer - 定期 – de couper la ciboulette 割韭菜 -, pour entretenir - 维系- la haine - 仇恨 - entre les classes moyennes 并中产 et les pauvres 与贫困阶层.
Au passage, l’expression populaire « - 割韭菜 ge juicai - couper la ciboulette » est une formule de dérision ciblant les habitudes compulsives des investisseurs en bourse et, par extension, de la société normée confortant un système politique peu disposé à lutter efficacement contre la corruption endémique.
Dans la foulée, toujours réprimées par la censure, les propositions des internautes suggéraient de traiter à la fois les symptômes et la maladie en instituant des « mécanismes de gouvernance durables aux vertus universelles. »
Plus prosaïquement l’appareil qui surveille les réseaux sociaux comme l’huile sur le feu, constate avec inquiétude que le mouvement « 四不青年, si bu qingnian - Les quatre “Indésirés “ de la jeunesse », se traduit concrètement dans la société par le recul de la tradition du mariage, la chute de la natalité, et l’augmentation du nombre de divorces, que J.P. Yacine avait aussi déjà évoqué : Modernité et familles élargies. Emancipation des femmes et divorce/
« Les études sociales montrent que l’âge du 1er mariage recule. Chez les 20 – 24 ans, les célibataires qui n’étaient que 62,5% en 1990 sont aujourd’hui plus de 85%. (...)
« Quant au divorce il touche plus de 20% des couples (près de 30% en zone urbaine), contre seulement 13% en 1997. La raison de cette floraison de séparations pour la plupart à la suite de l’adultère du mari, sont d’abord l’introduction dans les années 80 puis en 2003, des lois sur le divorce par consentement mutuel et la disparition presque totale de l’opprobre social autrefois attaché au divorce. »
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Récemment sur le net, on pouvait lire cette réticence à la procréation. Conséquence du recul des dynamiques familiales, des crises économiques et de la montée de l’incertitude qui ne frappent pas que la Chine, elle décourageait les jeunes à avoir des enfants :
« Dès lors que la naissance d’un enfant ne fera que perpétuer vos difficultés, vos angoisses et votre pauvreté - ne pas procréer pourrait être une bonne action ».