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Le très faible enthousiasme pour la « politique des trois enfants »

Comme un contrefeux interne au mouvement d’expansion global de la Chine qui, depuis Xi Jinping diffuse une vaste énergie de retour de puissance, se développe actuellement parmi la jeunesse chinoise, un mouvement d’idées contraires que les plus critiques appellent 混消 hunxiao, vocable complexe dont la traduction flotte entre « Involution », « repliement », « régression » ou même « chaos ». (混 - hun = brouiller, perturber ; 消 – xiao = abolir, effacer).

L’état d’esprit accompagne la récente décision de l’appareil d’autoriser trois enfants par couple. Prise après celle de 2015 qui mettait fin à 36 ans d’une très sévère limitation des naissances à un seul enfant dont QC a maintes fois analysé les abus et les effets pervers (lire : Les égarements du « 计划生 育 ». Quand le planning familial devient fou), l’autorisation des « trois enfants » a été rendue publique le 31 mai.

Elle n’abandonne pas le contrôle des naissances, mais elle ambitionne de corriger la régression démographique (lire : Premières alertes de la crise démographique annoncée) qui fait peser une menace grave sur les caisses de retraites déjà très déficitaires et, plus largement, sur l’équilibre des comptes publics ébranlé par l’explosion des dépenses sociales liées au troisième âge.

Pour relancer la natalité le pouvoir fait feu de tous bois. Il a d’abord commencé à reprendre le contrôle des écoles privées pour en réduire les coûts.

Depuis janvier 2021, les autorités s’efforcent de différer les divorces, identifiés comme une des causes de la chute de la natalité (lire : Modernité et familles élargies. Emancipation des femmes et divorce). D’abord les tribunaux ont reçu l’ordre d’imposer à tous les couples en instance de séparation une période de conciliation obligatoire de trente jours. Ensuite, on les a obligés à repousser le plus possible les rendez-vous des jugements de divorce.

Mais tous les démographes et sociologues le savent – surtout si, comme l’a fait l’appareil, on s’y prend avec une extrême brutalité -, il est plus facile de réduire les naissances que de les relancer.

Lassitude et inertie.

Alors que le Président exhorte les Chinois à faire un troisième enfant et à retrousser les manches avec courage « 加油干- jia you gan - », il se heurte à l’inertie alanguie et régressive d’une partie de la population qui dit préférer vivre sans effort. Exprimée de manière triviale, la nouvelle mode pourrait renvoyer à notre expression « se la couler douce ». L’expression qui gagne en popularité sur les réseaux sociaux, traduite mot à mot est « rester à plat ou faire la planche - 躺平 - »

L’arrière-plan de cette réaction qui écorne l’image d’une population chinoise industrieuse alignée derrière le parti, se nourrit de l’évolution peu favorable des conditions socio-économiques de la classe moyenne urbaine.

Les inégalités que l’appareil tente de garder sous le boisseau, s’accroissent ; le coût de la vie et surtout des logements dont les prix sont enflammés par la spéculation immobilière, augmentent ; l’ascension traditionnelle par l’étude et même le « guanxi » devient plus aléatoire, parfois hors de portée. Du coup certains jeunes prennent le contrepied du volontarisme social de leur parents et choisissent d’en faire le moins possible.

QC avait déjà documenté ce décrochage nourri par la lassitude d’avoir à toujours se dépasser pour rester à la hauteur des attentes des parents. Poussé à ses limites il touche au nihilisme popularisé par la culture « Sang 丧 - qui signifie « funérailles » » : La culture « Sang 丧 », entre dérision, cynisme et rébellion

Embrassant à la fois un esprit individualiste protestataire et la tentation du relâchement physique et moral, la chorale « Sang 丧 » de Shanghai qui s’est baptisée « Chœur de musique de chambre de l’arc en ciel de Shanghai - 上海彩虹室内合唱团 » chante dans une de ses pièces préférées « 感覺 我的 身體 被 挖 空 – j’ai l’impression que mon corps a été vidé de sa substance ».

L’idée de perte d’énergie véhiculée par la chanson préfigurait la quête de tranquillité « à plat » de 躺平 aujourd’hui revendiquée sur les réseaux sociaux.

Un troisième enfant ? Surtout pas.

L’état d’esprit d’abandon percute l’injonction de faire un troisième enfant. Lui aussi est en partie motivé par la perspective de l’augmentation des dépenses du couple occasionnée par une nouvelle bouche à nourrir.

Il y a certes les raidissements féministes de certaines qui ne favorisent pas le ralliement à la « politique de trois enfants » - « 躺平 也不生三孩 别当我们是猪 » Tang ping, ye bu sheng san hai. Bie dang wo shi zhu », une exclamation qui gagne en clarté ce qu’elle perd en élégance « (Je veux) "me la couler douce“ et ne pas faire un troisième enfant. Ne me prenez pas pour une truie ».

Mais la grande majorité des réticences reste bien le souci d’un équilibre socio-économique difficile à préserver alors que monte un individualisme (cf. plus haut) rejetant le poids des vieilles traditions familiales exigeant à la fois la cohésion familiale et le succès à tout prix.

« Si les besoins de base sont satisfaits et que tout le monde vit de manière plus détendue, ne serait-ce pas formidable ? », dit une internaute de 47 ans.

Ce n’est pas tout.

A côté de cette quête individuelle rejetant le poids d’un troisième enfant, s’expriment aussi sur les réseaux sociaux des critiques bien concrètes. Non seulement la vie dans les villes chinoises est chère, mais le faible niveau de congé parental et le manque de soins de santé abordables font que même un deuxième enfant semble trop cher pour de nombreux couples.

On accuse aussi le gouvernement de ne pas en faire assez pour aider les mères de famille, fustigeant par exemple l’absence d’un réseau efficace de crèches. En arrière-plan surnage, comme chez nous, le souci des femmes d’avoir à choisir entre leur famille et leur travail.

Peu importe, la machine politique se mettra en branle pour promouvoir un troisième enfant. Elle l’a déjà fait pour le deuxième enfant en 2015, par des campagnes d’affichage, d’ailleurs pour l’instant sans résultat probant.


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