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Mission de QuestionChine en Corée du Nord

Alors que la nouvelle du prochain voyage de Xi Jinping en Corée Nord avant la fin de la semaine vient de tomber - c’est le tout premier voyage du Président chinois au « pays du matin calme » 朝鲜 – Chaoxian – (Les Nord-coréens insistent pour cette appellation historique de leur pays), QC propose ci-après le compte-rendu d’un voyage en Corée du Nord du 1er au 15 juin derniers.

L’occasion a permis de visiter Pyongyang, Chongjin (600 km au nord sur la mer de l’Est ou du Japon), les Z.E.S de Rasong (proche des frontières russes et chinoises), Kaesong sur la frontières sud-coréenne et la Zone démilitarisée de Panmunjom.

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Rustiques, stoïques, dignes et solidaires dans l’adversité des sanctions onusiennes et des conséquences encore mal effacées des grandes famines meurtrières des années 90, ayant rarement été indépendants, envahis par les Mongols, les Chinois (Tang, Ming et Mandchou) et les Japonais (1910 -1945), puis plus ou moins sous tutelle russe (1945 - 1948) et à nouveau chinoise - commerciale et néo-confucéenne cette fois -, les Coréens sont obsédés par la volonté de se protéger de l’étranger au point qu’à l’entrée et à la sortie du pays, les douaniers contrôlent les photos sur les portables, vérifient les livres et interdisent les photos qui ne seraient pas « positives ».

« Une photo doit être un souvenir heureux et non perpétuer l’image de mauvaises choses » nous a dit une jeune femme guide de la ZES de Rasong.

Le complexe autarcique.

La volonté d’indépendance s’exprime par le vocable « Urushik » qui signifie « à notre manière » et par l’idéologie du « Juche », symbole renouant avec le fantôme du « Royaume ermite » (XVIe siècle) de la maîtrise de soi et de l’autonomie politique, économique et militaire, aujourd’hui essentiellement exprimée à l’égard de Pékin, Moscou, Washington et Tokyo.

Avec l’ADN stalinien du régime et la collectivisation à outrance, à quoi s’ajoutèrent des conditions climatiques désastreuses, l’utopie autarcique du Juche fortement « ethnicisante », ayant officiellement remplacé le Marxisme n’est certainement pas étrangère aux catastrophes économiques et aux famines d’il y a 25 ans (1995 – 1998) qui firent entre 600 000 et 1 million de morts.

Dans son remarquable livre « Corée du Nord. Un État-guérilla en mutation », Gallimard 2016, Philippe Pons souligne aussi que le style d’agriculture intensive forte consommatrice d’engrais et d’énergie de ce pays qui fut d’abord industriellement bien plus avancé que le sud, n’a pas été étranger à l’effondrement.

Paradoxalement, le cataclysme a, au moins en apparence, renforcé la cohésion autour de la dynastie des « Trois Kim ». Adorée comme une icône, devenue l’épine dorsale d’un « État-famille » solidaire et monolithique, la lignée est l’objet d’une adoration quasi religieuse dont les démonstrations ont quelque chose d’un spectacle baroque.

Les immenses statues des deux premiers Kim, leurs photos, leurs anciens lieux de vie, comme la fermette où a grandi Kim Il Song, choyée et préservée comme une relique dans un immense parc aux pelouses taillées au ciseau qu’il est interdit de piétiner, sont visités et vénérés comme la grotte de Lourdes, par des cohortes d’écoliers en uniformes, jupe ou culotte bleue, chemise blanche et foulard rouge.

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Il y a d’autres manifestations de groupe moins mystiques. En dehors des heures de pointe dans Pyongyang la foule est rare, sauf chaque après-midi entre juin et septembre où les lycéens du secondaire sont conduits par longues colonnes encadrées par leurs professeurs au stade Kim Il Sung. Là se joue chaque jour un spectacle de masse aux figures et aux couleurs changeantes au gré de grands cartons colorés, manipulés en rythme par les élèves.

Cette chorégraphie du nombre est offerte au peuple et aux visiteurs étrangers qui payent (les étrangers seulement) 100 $ la place, soit le salaire mensuel d’un travailleur de la Z.E.S de Rasong. Petite incidence, indice que chacun interprètera à sa guise, peut-être une faille de la raison dans le monolithe de la grandiloquence, les séances de masse incombent aujourd’hui aux lycéens du primaire après que les universités aient protesté contre le caractère chronophage de l’exercice au détriment des études.

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En dehors de la capitale, vitrine moderne du régime, mais où presque tous les Coréens se déplacent à pied, en vélos et dans les bus et métros (2 lignes) bondés aux heures de pointe, le pays est pauvre. Très pauvre.

Au nord, les routes sont en latérite – comme plus de 80% du réseau du pays -, le téléphone vers l’étranger est aléatoire, l’internet est un « intranet » complètement coupé de l’extérieur, la mémoire de la guerre et l’image de l’armée (1 million d’actifs, 9,5 millions de réservistes avec un service militaire à 10 ans consacré aux tâches de développement) sont partout présents sur les affiches et les slogans, exaltant les héros militaires devenus ceux du « développement ».

Il faut y ajouter un budget défense estimé à 25% du budget public (ce qui en France donnerait 500 Mds d’€ soit 17 fois notre actuel budget). L’effort qui se fait au détriment des populations, est bien sûr destiné en grande partie au développement de l’arsenal nucléaire et balistique, objet des controverses stratégiques et cible des sanctions. Pour autant, nul ne sait si Kim Jong-un est fermement aux commandes ou s’il est une marionnette du parti ou de l’armée.

Une école dont les hypothèses sont à mon avis crédibles, lui attribue la décision de se débarrasser ouvertement et à grands renforts médiatiques de son oncle par alliance Jang Song Thaek, pointe avancée de l’influence chinoise, exécuté en décembre 2013 et celle d’éliminer son demi-frère Kim Jong-nam par empoisonnement au neurotoxique à l’aéroport de Kuala Lumpur en février 2017, deux épisodes ayant jalonné l’affirmation sans partage du Jeune Kim à la tête politique du système.

Du collectif égalitariste au sens des responsabilités.

Justement « la tête » s’applique aujourd’hui à résoudre les contradictions entre contrôle politique forcené et innovation, entre l’utopie égalitariste centralisée à l’extrême et l’exigence de responsabilité des nouvelles entités collectives locales.

Pour autant, même si à 32 Mds de $, le PIB place le pays à la 98e rang mondial, les résultats des réformes se font attendre alors qu’à notre passage les Z.E.S de Rasong et Kaesong objets de nombre d’hyperboles positives, étaient à l’arrêt.

Dans un contexte où seulement 17% des terres sont cultivables (20 000 km2 – soit la Picardie), où la mécanisation agricole est inexistante où l’industrie ne se développe que lentement (textiles, automobiles – camions, bus, voitures particulières, trolleys, trains - produits alimentaires, verres et vitrages, bâtiment, pêche, extraction minière – charbon, calcaire, tungstène, fer, zinc, magnésite, cuivre, sel du nord-est -), où les infrastructures routières ferroviaires et télécoms sont délabrées ou inexistantes, tout indique – autant que les statistiques publiques soient fiables - que l’économie stagne.

Les sanctions produisent leurs effets néfastes. Selon le site 38 North, il est en effet exagéré de dire, comme un récent rapport de l’ONU, que les fraudes et le contournement des sanctions les rendent inefficaces.

Alors que les exportations baissent et que la production de céréales est tombée de 5,2 millions de tonnes en 2017 à 5 millions de tonnes en 2018, beaucoup d’industries, notamment le secteur de la construction souffrent d’un manque de pièces détachées.

Quant à la situation alimentaire, elle est difficile à apprécier en l’absence de statistiques fiables, mais même si elle n’est pas catastrophique, il est impossible de nier que la chute des récoltes de céréales de 200 000 tonnes (moins 4% en un an) est un indice préoccupant.

Retour à la vie ?

Au milieu de ce qu’on peut considérer comme le développement d’une classe moyenne plus riche et plus éduquée, la question se pose de la réalité du soutien populaire au régime d’essence semi-théocratique d’adoration de la famille Kim. L’adulation hystérique est-telle réelle ou feinte ? Pour l’instant le sujet est à la fois tabou et mystérieux.

Ce qui est au contraire attesté c’est l’apparition d’une classe de nouveaux riches et de familles plus aisées, visibles à Pyongyang et dans certains centres comme Chongjin et les Z.E.S de Rasong au Nord-est et Kaesong au sud, dont les performances sont cependant très éloignées des attentes. A notre passage dans ces zones, l’activité n’était pas à la hauteur de ce que nous attendions.

La naissance d’une classe de nantis - tout est relatif - est attisée par des initiatives commerciales ou de production plus ou moins licites et l’émergence des marché libres (Le Russe Andrei Lankov les estime à 400 dans tout le pays avec 600 000 vendeurs, acteurs d’une « révolution silencieuse » dont les revenus sont 80 fois ceux des fonctionnaires du régime), tandis que le système de production toujours collectif, mais « responsable » a basculé vers un schéma où chacun reçoit non pas selon ses besoins, mais selon son travail.

La réforme date de Kim Jong-il. Elle est poursuivie par Kim Jong-un qui comprend que les moteurs du développement sont l’initiative et la responsabilité.

Mais il y a loin de la coupe aux lèvres alors que le poids des contrôles et le carcan collectif pilier de la propagande toujours articulée à l’image du « paradis socialiste » distributeur et protecteur continuent à entraver l’esprit d’entreprise et la capacité des individus ou des petites entités à prendre des risques.


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