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›› Chronique

P4 de Wuhan et accord France-Chine sur les maladies infectieuses. La France a-t-elle manqué de clairvoyance pendant plus de 15 ans ?

La coopération scientifique, vue de Chine.

En fait, la crise du COVID 19 est un bon révélateur des méthodes utilisées par la Chine pour sa montée en puissance scientifique.

Dans un premier temps on contribue activement sur la base d’échanges équilibrés, puis, une fois obtenus le savoir-faire, les connexions internationales et les technologies, le partenariat s’étiole essentiellement parce que la partie chinoise n’alimente plus la coopération.

C’est ce principe qui a très probablement a guidé le prof. YUAN Zhiming dans ses relations avec EVAg et le P4 construit avec la France. A cet égard, l’article de Xinhua expliquant à sa façon que le P4 est une réalisation de la Chine, grâce à sa montée en puissance scientifique, est significatif de la volonté du Parti de mettre sous le boisseau les apports étrangers.

*

Dans la pratique, ce P4 est une affaire très politique qui s’est réglée au plus haut niveau franco-chinois autour de 2003.

Les véritables mobiles de cet arrangement ne sont pas connus. Mais il est légitime d’imaginer que ces derniers pourraient expliquer le fait, qu’aujourd’hui, la Chine ne se considère plus redevable envers la France.

Le point de départ est l’insistance chinoise d’amplifier la coopération bilatérale France-Chine dans le domaine des Maladies Infectieuses Émergentes (MIE) après le SRAS (2002-2003).

Exprimée en réalité depuis l’accord franco-chinois de 1978 marquant la reprise des échanges après la Révolution culturelle, mais interrompus après 1989 et jusqu’au milieu des années 90, la volonté chinoise de coopérer visait concrètement la création d’un pôle bilatéral de coopération médicale à Shanghai.

En échange Pékin laissait entrevoir aux Français la double renaissance de l’université médicale franco-chinoise « Aurore » et d’un Institut Pasteur (IP), institutions fermées au début des années 50 par la Chine, alors agitée par les effervescences maoïstes du « grand bond en avant ».

La vérité est plus prosaïque et plus pressante. A l’époque du SRAS (2003), la Chine était à la traîne en matière d’épidémiologie et d’immunologie. L’épidémie a marqué les esprits et créé une urgence. Mais aucun pays occidental ne souhaitait collaborer avec Pékin pour un laboratoire de confinement P4, infrastructure essentielle pour le traitement des pathogènes appartenant à la catégorie du SRAS.

Le dossier prit un tour plus politique en 2003 lorsque YUAN Zhiming, sous l’autorité de CHEN Zhu (alors vice-président de l’Académie Chinoise des Sciences), se rendent tous deux en France pour poser les bases d’une coopération formelle.

La personnalité et l’entregent de CHEN Zhu [1], combinés aux médiations à haute valeur ajoutée de Jean-Pierre Raffarin, emportent l’adhésion des autorités françaises pour un partenariat ambitieux sur les MIE qui inclut le P4 et l’Institut Pasteur de Shanghai.

En haut lieu, on se laisse convaincre par les chinois que la France est à la pointe de la recherche et qu’elle bénéficie en Chine d’une sorte d’exclusivité historique. Bref, que notre pays a une belle carte à jouer.

Et alors que se prépare la visite en Chine du Président français, ce partenariat se transforme en accord intergouvernemental. il sera signé le 9 octobre 2004 en présence du Président J. Chirac à Pékin au milieu de 20 autres contrats commerciaux de plusieurs milliards.

Le lendemain, 10 octobre 2004, ce fut au tour de l’Institut Pasteur de Shanghai (IPS) d’être inauguré par le Président Chirac (accord relatif à la coopération entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République populaire de Chine).

Fin du premier acte, le piège est tendu. A partir de cette date, la France se trouve aspirée dans une spirale infernale dont elle n’est toujours pas sortie en 2020. Quinze ans d’errements qui réunissent les ingrédients d’un second scandale, après le premier ayant consisté à formaliser une coopération (apparemment) aussi déséquilibrée.

Le pire est en effet à venir : des millions engloutis, des technologies sensibles transférées, sans garde-fou ni pilote, ni aucune retombée pour la France. Dans les nombreuses valse-hésitations françaises qui émaillent l’acte 2 où domine la schizophrénie, le Quai d’Orsay qui déploie un zèle coupable, se retrouvera seul.

2e partie : Le Quai d’Orsay à la manœuvre d’un accord bancal.

L’accord de 2004 porte en lui les tares d’un texte qui ressemble plus à un contrat commercial sans annexe financière qu’à un partenariat. Il est en effet à sens unique, la France s’engageant à fournir des biens et services quasiment sans contreparties chinoises.

Aucun budget, aucune mention d’un quelconque payeur, aucune échéance ne figurent dans l’arrangement. En revanche, mais c’est la moindre des choses, le texte prend soin de préciser que les partenaires s’engagent à respecter les traités internationaux sur les armes bactériologiques.

L’accord assorti d’une autorisation d’exportation de matériel sensible par la France, obtenue en un temps record définit aussi l’organisation de la gouvernance de la coopération.

Très vite, en France des forces contraires s’opposent à la mise en œuvre de l’accord.

Le 30 avril 2020, un article du Point opposait « les chercheurs chevronnés » favorables à l’accord et les organes de sécurité du pays, réticents. Pas si simple. Bien documenté et présentant des faits exacts l’article qui suggère une rivalité entre les « sécuritaires » et les scientifiques ne décrit cependant qu’une partie de l’image.

Les témoignages « d’un ancien de l’Ambassade à Pékin » (cité par l’article et des promoteurs du projet, notamment le professeur C. Bréchot, ancien directeur de Pasteur dont le réseau international est financé par le Quai) sont évidemment orientés, tandis que « L’ancien de l’Ambassade à Pékin » s’exonère d’évoquer les analyses erronées sur les velléités chinoises de coopérer, et, surtout, les millions dépensés par le Quai.

Pour être précis, l’affrontement franco-français se situe en réalité entre, d’un côté les tenants de la sécurité et de la souveraineté économique et, de l’autre, le Quai d’Orsay attaché à maintenir de bonnes relations avec la Chine.

Pourtant très concernés par le dossier, nombre d’acteurs publics français, en particulier les ministères de la santé, de la recherche ou de l’industrie, sont volontairement restés à l’écart du projet pendant plus de 15 ans. Parfois ils ont renforcé le camp des détracteurs. C’est le cas des Universités, de l’Institut Pasteur, de l’INSERM et du CNRS. C’est-à-dire les forces vives de la recherche française qui auraient du exécuter le volet scientifique de l’accord de 2004.

Or, même l’Institut Pasteur (IP), Fondation privée et en première ligne dans l’accord de 2004, est resté pendant 15 ans à l’écart de l’IPS en n’y installant aucun chercheur, en n’y lançant aucun projet. L’IP comptait visiblement sur les ressources du Quai qui ne sont pas venues. Quant à l’INSERM dirigé par le Professeur Christian Bréchot de 2001 à 2007, il est lui aussi resté volontairement absent. Une réalité qui contredit les « regrets » qu’il exprime rapportés par Le Point du 30 avril (p.41).

Sans surprise, les agents de ces ministères ont agi de même, malgré les subventions qu’on leur offrait pour « former » des chercheurs chinois ou développer « des projets conjoints » en lien avec l’accord de 2004. Quant aux « scientifiques chevronnés » de la partie française évoqués par Le Point, certains ont certes donné de la voix, mais leurs réticences n’ont pas été entendues.

D’autres ont, en revanche alimenté la conviction de notre Ambassade d’aller de l’avant. Il n’est pas difficile d’imaginer les raisons pour lesquelles, dans ce contexte, de prudence des scientifiques français, le projet du P4 a pris du retard. En France, la proximité des présidentielles de 2007 accentuait encore l’attentisme et l’absence de décision.

Note(s) :

[1CHEN Zhu a fait ses études au Jiangxi et à Shanghai avant de terminer sa formation de Professeur des universités-praticien hospitalier (PUPH) en France. On l’a dit proche de JIANG Zemin (maire de Shanghai puis n°1 du Parti et Président de la République).

Francophone, cette personnalité politique et scientifique est unanimement reconnue pour ses qualités humaines et ses travaux (il est membre de plusieurs académies étrangères). Il fut l’un des rares ministres n’ayant pas adhéré au Parti Communiste, resté au contraire membre du Parti démocratique paysan et ouvrier de Chine.

Ministre de la santé (2007-2013), il a aussi été Vice-président du Comité permanent de l’Assemblée populaire nationale. CHEN Zhu a tout au long de la période un précieux canal de communication entre la France et la Chine.

Lire l’article sur le travail de Chen Zhu en Chine, comme ministre de la santé : Santé publique : Chen Zhu dénonce les blocages.


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