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›› Chronique

« Piège de la dette. » La Zambie et le Sri Lanka, deux étapes des « Nouvelles routes de la soie » en cessation de paiement

ANNEXE.
Le « piège de la dette » Une mise en perspective de la RAND.

En janvier 2020, un rapport détaillé de la RAND Corporation, intitulé « Démystifier l’initiative “la Ceinture et la Route“, clarifier ses principales caractéristiques, ses objectifs et ses impacts » mettait en perspective les critiques sous un angle moins négatif.

Après le lancement en 2013 au Kazakhstan de la vaste stratégie des « Nouvelles routes de la soie » par le Président Xi Jinping, la Direction chinoise a tardé à prendre en compte les alertes pointant du doigt les dangers du « piège de la dette » générés par les prêts consentis au taux moyen de 4% sur des périodes de dix à dix-huit ans par les banques chinoises (essentiellement Exim Bank et China Development Bank avec la participation croissante des autres banques publiques, dont la Banque de Chine, la Banque de l’Industrie et du Commerce et la Banque de Construction).

Au total la somme prêtée par la Chine atteint environ 950 Mds de $ pour financer près de 14 000 projets dans 147 pays différents, mis en œuvre à 50% par des entreprises publiques. La proportion des contrats alloués aux entreprises publiques monte à 70% si on la mesure en coûts réels (source gouvernement chinois mars 2022).

Après avoir passé en revue les principaux reproches adressés aux « Nouvelles routes de la soie » par nombre d’observateurs – accès privilégié aux marchés et aux ressources des pays cibles ; utilisation de la main d’œuvre chinoise importée ; “piège de la dette“ ; projets non rentables ; faible prise en compte du “développement durable“ ; intentions politiques cachées – les auteurs rappellent que la plupart des critiques pourraient concerner n’importe quel projet de développement et soulignent que Pékin s’est efforcé de corriger les principaux points d’achoppement.

En conclusion, sans nier les dysfonctionnements ni l’impression donnée d’une prise de contrôle des pays en développement ou du Tiers-Monde et de leurs ressources par le biais de financements, le rapport réfutait l’idée d’une intention initiale cachée et insistait sur les efforts chinois pour corriger la mauvaise réputation laissée par les empiètements chinois.

Parmi les plus évidentes corrections de trajectoire on note la réduction de la main d’œuvre chinoise importée à seulement 20% du total. Pékin a également cherché à répondre à l’accusation d’avoir attiré ses partenaires dans un « piège » financier en développant un système de viabilité de la dette calqué sur l’approche de la Banque mondiale en matière de prêt et d’assurances.

Commentaire de QC.

L’étude de la RAND a l’avantage de mettre en perspective les stratégies chinoises d’influence par le moyen des dettes en focalisant aussi sur l’apport des groupes publics aux économies en développement asphyxiées par la faible circulation des capitaux et le cloisonnement géographique.

Il est incontestable que les projets d’infrastructure de transport ouvrent des zones entières, tandis que les investissements produisent des emplois. Plus encore, depuis 2017, Pékin a sérieusement corrigé sa stratégie, se réclamant des conseils du FMI pour rectifier l’image d’un engagement uniquement articulé à l’importation de ressources minières brutes, dont la part dans les achats chinois approche toujours 60%.

Depuis 2013, Pékin a multiplié les actions humanitaires médicales. En Afrique par exemple, l’image de puissance généreuse et désintéressée est affinée au fil des sommets Chine - Afrique organisés tous les trois ans depuis 2000, dont le dernier a eu lieu au Sénégal. Lire : L’Afrique, la Chine et l’Europe.

En 2018, une étude de Harvard mise en ligne par le Département d’État reconnaissait l’invasion des produits chinois, les bénéfices engrangés par les groupes de constructions employant une majorité de chinois, le non-respect du droit du travail dans certaines régions minières comme la Zambie, en même temps que l’accumulation des prêts dangereux pour l’équilibre budgétaire de pays insolvables.

Mais s’appliquant à considérer l’autre face du problème, le travail mettait en lumière les bienfaits de l’aide chinoise réputée sans conditions politiques d’obédience à la démocratie ou aux droits humains et dont Wang Yi le MAE a répété lors de son passage au Kenya en 2015, qu’elle « se garderait absolument de suivre le même chemin que les anciennes puissances coloniales, ne sacrifierait pas l’environnement et se focaliserait sur les intérêts de long terme de la Chine et de l’Afrique. »

Joignant le geste à la parole Pékin s’est engagé dans des projets de formation professionnelle et d’aide à la création d’entreprise. En même temps, les engagements chinois pour les projets d’infrastructure des «  nouvelles routes de la soie » ont été notablement réduits.

*

En réalité, force est de reconnaître que malgré les efforts de Pékin pour rectifier son image, il y a encore loin de la coupe aux lèvres. La Zambie notamment où l’action chinoise dans les mines a été émaillée de très sévères discordes ayant plusieurs fois provoqué des émeutes avec échange de coups de feu et des victimes parmi les populations locales, est un des pires exemples des difficultés des groupes chinois à s’extraire de leur stratégie d’extraction pour des bénéfices à court terme.

Par ailleurs, il n’est pas tout à fait exact d’affirmer que l’action chinoise est débarrassée d’arrière-pensée politique. L’ambition de concurrencer l’influence des anciennes puissances coloniales et l’exigence de « bonne gouvernance » est au contraire partie intégrante du discours de Pékin, qui résonne de manière positive dans les pays où prévalent les tendances autocrates.

Enfin l’intention stratégique de Pékin est inscrite dans la montée en puissance des points d’appui militaires à l’Ouest de Djibouti et en Guinée équatoriale sur la façade atlantique de l’Afrique. Sur ce terrain, la rivalité s’exprime aussi par les visites concurrentes des haut-responsables américains. En novembre 2021, le sommet Chine – Afrique a suivi de peu la tournée d’Antony Blinken au Kenya, au Nigeria et au Sénégal.

La rivalité sino-américaine se dilate en Afrique.

A la mi-décembre 2022, lors du sommet organisé à Washington avec 49 pays africains et l’Union Africaine, alors que le commerce Chine – Afrique est quatre fois celui de l’Amérique (254 contre 64 Mds de $) et que les prêts consentis en 2021 par les banques publiques chinoises depuis 2000 ont atteint dix fois la valeur des prêts américains (79 contre 7,2 Mds de $, avec cependant une brutale décrue depuis le pic de 2016 à 28,4 Mds de $ pour seulement 1,9 Mds de $ en 2020), Joe Biden s’est payé le luxe d’un rare discours où se mêlait la contrition et l’espoir.

Abordant d’abord ce qu’il a appelé, « Le péché originel de la relation de l’Amérique avec l’Afrique. Notre peuple est au cœur du lien profond qui unit à jamais l’Afrique et les États-Unis » (…) « Nous nous souvenons que les hommes, les femmes et les enfants volés ont été amenés sur nos côtes enchaînés, soumis à une cruauté inimaginable  », il a ensuite honoré les descendants et la communauté de la diaspora africaine aux États-Unis.

Trois semaines plus tard, le 26 janvier la secrétaire d’État au trésor Janet Yellen était en Afrique du sud où elle visitait une usine d’assemblage du groupe Ford qu’elle citait en exemple de la coopération entre Washington et l’Afrique. L’étape marquait la fin d’un périple qui l’a également conduite au Sénégal et en Zambie.

Elle aussi a élevé son discours à hauteur de l’espérance du potentiel économique de l’Afrique, voilant à peine la rivalité stratégique sino-américaine, dans un contexte où les intrusions sauvages du « groupe Wagner » prisés par certains pays du Sahel pour son efficacité contre les « djihadistes  » ajoute encore à la complexité des rivalités d’influence.

« La stratégie des États-Unis envers l’Afrique est centrée sur la simple reconnaissance que l’Afrique façonnera l’avenir de l’économie mondiale  » (…) « Nous savons qu’une Afrique prospère est dans l’intérêt des États-Unis. Une Afrique prospère signifie un grand marché pour nos biens et services. »

Le 23 janvier 2023, à Lusaka, Yellen a évoqué la question des dettes de la Zambie et appelé la Chine à un moratoire alors que le pays avait, en 2020 manqué les échéances du paiement des intérêts de 42,5 millions d’un prêt de 3 Mds de $ ayant précipité la faillite l’un des plus puissants producteurs de cuivre du pays.

Alors que les prêts chinois estimés à 6 Mds de $ soit 35% de la dette du pays à plus de 17 Mds de $ et que la Banque chinoise de développement avait déjà accepté de différer une première fois le paiement des intérêts du prêt jusqu’en avril 2021 – ce qui en réalité ne fait que reporter les tensions de quelques mois – Yellen s’est attirée une réplique acerbe du Waijiaobu, exprimée par l’Ambassadeur de Chine à Lusaka.

La répartie replaçait le sujet à hauteur de la rivalité globale sino-américaine. « La meilleure contribution que les États-Unis pourraient faire pour alléger la question de la dette serait de se préoccuper de ses propres déficits pour éviter un défaut de paiement intérieur dont les répercussions auraient des effets sur l’économie globale ».


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