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Retrouvailles des frères ennemis, symboles et arrières pensées

Cinquante six ans après la fin de la guerre civile en Chine, les secrétaires généraux du Kuomintang et du Parti Communiste chinois, successeurs de Ch’iang Kai-Shek et de Mao Zedong, tous deux héritiers de Sun Yat Sen et frères ennemis se sont retrouvés à Pékin.

S’il est vrai que cette rencontre historique était chargée de symboles, elle fut également marquée par des arrières pensées au moins aussi présentes que l’enthousiasme lyrique qui a entouré les retrouvailles.

Un voyage symbolique

Les symboles sont inscrits dans l’itinéraire même du voyage en Chine de Lien Chan, 3e successeur de Ch’iang Kai-Shek, à la tête du KMT, après Jiang Jing Guo, le fils du Généralissime et Lee Teng Hui, le Taïwanais félon, en rupture avec le Parti Nationaliste pour avoir dévoyé l’idéal de réunification et poussé trop loin la quête identitaire de Taïwan.

A Nankin, ancienne capitale de la Chine nationaliste, le souvenir de Sun Yat Sen, dont la doctrine des Trois Principes du Peuple (San Min Zhuyi) est aussi le nom de l’hymne taïwanais, renvoie à la filiation commune des deux partis. A Pékin, également chargée d’histoire, Lien Chan a pénétré dans le centre nerveux du système politique chinois moderne, si différent de celui de l’ïle, qui a longtemps considéré le Kuomintang comme sa bête noire.

Après avoir retrouvé le souvenir de sa mère étudiante à Beida, Lien Chan s’est rendu sur la tombe de ses ancêtres à Xi’an qu’il avait quittée à l’âge de 9 ans. Ancienne capitale de plusieurs dynasties, point de convergence des influences bouddhistes, extrémité orientale de la route de la Soie, Xian fut aussi le théâtre de la brève capture de Ch’iang Kai-Shek par le parti communiste chinois, le 6 décembre 1936.

Au cours de cet incident le parti nationaliste a été contraint de prêter main forte au PCC contre l’invasion japonaise. Ainsi fut créée la solidarité historique des deux héritiers de Sun Yat Sen dans la construction de la Nation chinoise moderne, dont les deux Partis se prévalent aujourd’hui pour créer une dynamique de réconciliation.

La dernière étape fut naturellement Shanghai, berceau du parti communiste chinois fondé en 1921, dans la sulfureuse métropole de l’Est, devenue aujourd’hui le brillant symbole de la Chine du XXIe siècle, où plusieurs centaines de milliers de Taiwanais ont développé des affaires qui scellent l’étroite imbrication économique entre les deux rives.

Ces repères qui renvoient tout à la fois à l’héritage de Sun Yat Sen, à la lutte de libération conjointe contre les Japonais, aux racines chinoises du KMT, ainsi qu’à la puissante dynamique des échanges commerciaux, s’inscrivent à merveille dans le projet de réunification que Pékin n’a pas perdu de vue.

Ils épousent également le vieux mythe identitaire du KMT qui n’a jamais rompu ses liens avec son histoire sur la Grande Terre. A ce titre cette rencontre historique des frères ennemis est déjà une très appréciable contribution à l’apaisement des tensions entre les deux rives. C’est d’ailleurs ainsi que la plupart des capitales dans le monde ont analysé l’événement.

Le poids des arrières pensées

Il reste que ce périple était également enveloppé de nombreuses arrières pensées, qui toutes renvoient à des réalités moins lyriques. La première concerne celle du fameux consensus de 1992 conclu à Hong Kong par lequel le PCC et le KMT, alors au pouvoir à Taipei, reconnaissaient le principe d’une seule Chine. Sauf que les Taïwanais, Lian Chen et le KMT compris, ne veulent pas entendre parler d’une réunification sous l’égide du PCC. Au demeurant, le terme de « réunification » n’a pas été prononcé une seule fois au cours du voyage.

A une question sur ce thème d’une étudiante de Beida, Lien Chan a répondu prudemment qu’il « était impossible de précipiter le cours de l’histoire ». Cette « esquive » qui semble reléguer la réunification aux calendes grecques, pourrait agacer les factions les plus dures en Chine Continentale. L’autre arrière pensée, et non des moindres, conduit à s’interroger sur la pertinence des propositions avancées dans le communiqué final, dès lors que le KMT est un parti d’opposition, considéré avec suspicion par le pouvoir à Taipei.

Il est vrai que plusieurs points de la déclaration qui avaient déjà été mises sur la table par ailleurs pourraient aboutir (promotion des relations économiques et commerciales et des « trois liens directs », voire participation de Taïwan à l’OMS, sur laquelle il n’est pas impossible que Pékin fasse des concessions). D’autres en revanche, comme celle du retour au consensus de 1992, que le parti de Chen Shui-Bian a immédiatement rejeté, ou celle d’un traité de paix accompagné de mesures de confiance entre les deux armées, sont plus problématiques.

La proposition de mesures de confiance militaires qui constitueraient à l’évidence une contribution majeure à l’apaisement de la situation dans le Détroit, ne laissera probablement pas indifférente l’alliance des verts (Union taïwanaise pour la Solidarité et Parti pour le Progrès Démocratique).

Celle-ci sera en effet tentée de mettre dans la balance le démantèlement des quelques centaines de missiles chinois qui menacent l’Île. A Taïwan les moins enclins à faire des concessions à Pékin pourraient en effet réagir sur le thème : « la démocratie est à Taïwan, les missiles sont en Chine », insistant sur le fait que le premier pas vers des mesures de confiance crédibles serait en effet de mettre fin aux menaces militaires directes.

Il reste à savoir si l’étonnante dynamique qui vient d’être créée par l’initiative de Hu Jintao, que tous n’approuvent peut-être pas en Chine, saisie au vol par Lien Chan ne finira pas par venir à bout des réticences et des rigidités sur les deux rives, entraînant à Taïwan le recul du mythe identitaire et des poussées indépendantistes et, à terme, en Chine, l’ébranlement du monolithisme politique, condition nécessaire à la réunification. Après tout le PCC ne vient-il pas de pactiser une nouvelle fois avec son frère ennemi, qui fut lui-même jusqu’en 1986 un parti totalitaire de type léniniste.


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