›› Editorial

Tsai Ing-wen, lors de son interview par CNN diffusée le 21 février. 64 ans, avocate de formation, issue de la mouvance indépendantiste, elle fut la première femme à accéder à la présidence de l’Île en mai 2016, suite à une victoire sans appel contre le KMT mis en difficulté par la contestation politique interne du « mouvement des tournesols », rejetant l’accord-cadre avec la Chine du président Ma Ying-jeou (Lire : Taïwan : Craquements politiques dans l’accord cadre. Les stratégies chinoises en question.). En moins de trois ans, sa popularité s’est effondrée. Alors qu’elle est candidate à sa réélection en 2020, les sondages la placent très loin derrière son concurrent direct Eric Chu qu’elle avait largement battu en 2016 (lire aussi : Tsai Ing-wen, à l’ombre du Dragon) (Photo CNN)
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Usant de l’arme des médias internationaux contre les pressions de Pékin, Tsai Ing Wen a, dans une longue interview accordée à CNN publiée le 21 février, renouvelé l’appel et la mise en garde au monde démocratique formulés lors de son discours de nouvel an, en réponse à celui de Xi Jinping où le n°1 chinois mêlait les menaces à la séduction. Lire : Les défis de l’obsession réunificatrice.
L’épine dorsale de son message était simple. Taïwan n’est pas seulement une petite île à moins de 100 nautiques du continent chinois. Elle est le symbole de la résistance portant les valeurs universelles du droit international, de la liberté d’expression, d’élections libres et de la séparation des pouvoirs. Si la communauté internationale des pays libres laissait la Chine s’emparer de Taïwan par la force, ce serait un immense recul de la démocratie dans le monde. « L’enjeu n’est pas seulement Taïwan. Il est celui de toute la région et même celui du monde entier ».
La teneur de l’interview reprenait les conclusions d’un rapport de l’université d’Oxford (document PDF), déjà cité par QC daté de juin 2017 dont nous reprenons ici in-extenso l’un des paragraphes de l’introduction, exactement au cœur des tensions actuelles.
Taïwan un enjeu démocratique global.

A son dernier passage aux États-Unis, Tsai a été accueillie à Houston (photo) et à Los Angeles. Les deux escales aux États-Unis renforcèrent le sentiment que les relations de l’Île avec Washington étaient à leur meilleur niveau depuis longtemps. A cette occasion le porte-parole du Waijiaobu avait solennellement rappelé que Pékin « s’opposait résolument à ce que les pays ayant des liens diplomatiques avec Chine, y compris les États-Unis, développent des relations officielles avec Taïwan ». A l’étape de Los Angeles, Tsai avait évoqué l’importance des libertés, de la démocratie et de l’indépendance. Contredisant la perception de la Chine que l’Île n’est qu’une partie d’elle-même – la Présidente a martelé que personne ne pourra effacer l’existence de Taïwan. « Je voyage et le monde entier peut voir Taïwan et notre engagement pour la démocratie - » et, paraphrasant le discours d’investiture de R. Reagan, du 20 janvier 1981 : « Tout peut être négocié, sauf notre liberté et notre avenir ». (Photo Sam Yeh/AFP/Getty Images)
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Remarquablement synthétique, l’introduction du rapport d’Oxford énonçait quelques vérités premières habituellement occultées par le voile des ambiguïtés diplomatiques et par le souci de ne pas froisser Pékin.
Notre commentaire évoquait aussi la fragilité des systèmes démocratiques dont la capacité d’agir est handicapée par la profusion des débats et les avalanches débridées des commentaires sur les réseaux sociaux.
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En substance les rédacteurs soulignaient que l’avenir de Taïwan est à la fois brillant et précaire. Le fait que Taïwan soit autorisée à poursuivre ou non sa voie vers le progrès jusqu’à obtenir une totale reconnaissance diplomatique en tant que pays, dépend, en grande partie, de facteurs imprévisibles, notamment ses relations avec les États-Unis d’Amérique et les tensions avec la Chine continentale, son voisin dans le Détroit.
Si on considère que l’avenir de Taïwan est un indicateur fiable de l’avenir du monde, l’évolution de la situation dans le Détroit indiquera l’ouverture des sociétés à l’influence internationale de la démocratie libérale ou si, au contraire, elles succomberont à des tendances ataviques et autoritaires plus sombres.
C’est là l’une des questions les plus importantes de l’époque actuelle et Taïwan sera l’un des théâtres stratégiques où se déroulera cette bataille.
Culturellement, linguistiquement et économiquement Taïwan est de plus en plus soumise à l’hégémonie autoritaire croissante de la Chine continentale, tout en étant soutenue par les États-Unis d’Amérique, dont elle a adopté l’idéologie politique et qui l’aide financièrement et par des livraisons d’armes.
L’étude ajoutait aussi qu’entre Taïwan et le Continent existaient de flagrants contrastes dans les systèmes politiques, la vie quotidienne et les médias « visibles par tous les observateurs. ». Citant le rapport de Freedom House 2017, elle signalait - puissante irritation pour Pékin que, dans ces domaines, le score obtenu par la Chine était plus faible que celui de l’Iran, tandis que Taïwan avait dépassé les États-Unis.
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Le questionnement sur l’avenir de Taïwan confrontée à l’apparente sérénité chinoise renvoie aussi aux fragilités des systèmes démocratiques en crise dont la capacité de cohésion et de projection à long terme est aujourd’hui mise à mal par la prévalence des individualismes et la pression constante des opinions publiques aujourd’hui agitées par l’effervescence sans limites des médias et des réseaux sociaux où, sans cesse, se brouille la frontière entre manipulation et information.