›› Lectures et opinions

Nombre de commentateurs s’étonnent de la brutalité dogmatique de Xi Jinping alors même que son père Xi Zhongxun avait été « purgé » par Mao et le Parti. Certains intellectuels chinois émigrés comme Cai Xia, son ancienne collègue à l’École Centrale du parti, y voient une manifestation aboutie du syndrome de Stockholm. Louis Montalte explore cette hypothèse en suggérant que Xi Jinping ayant rénové un Parti gravement affaibli se trouve aujourd’hui enfermé par les dogmes qu’il a lui-même ravivés.
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Ce qui suit est une réflexion de Louis Montalte sur le pouvoir politique chinois et plus encore sur les théories qui tentent de le caractériser en utilisant les codes traditionnels de l’analyse des rapports entre l’exécutif et le peuple.
Pour simplifier, dans les sociétés occidentales « libres », les codes d’analyse sont associés au processus de « démocratisation » dont Tocqueville pensait, tout en exprimant de sérieux doutes, qu’idéalement, il devrait être capable de faire coexister « égalité », « liberté » et « efficacité politique » en tenant à distance par les contrepouvoirs, la dictature d’un homme et “d’une organisation anonyme“.
Les « doutes » de Tocqueville évoquaient les risques que le confort, la routine et l’individualisme éloignent les citoyens de leurs responsabilités civiques par les effets de « la langueur démocratique ».
Dans une préface à la « démocratie en Amérique » (Vol I), André Jardin citait Raymond Aron. Sur ce sujet l’auteur de « Paix et guerre entre les Nations » avait écrit un « Essai sur les libertés », issu des conférences données à Berkeley en 1963, dans lequel il notait que le monde moderne était plus conforme aux intuitions de Tocqueville qu’aux prophéties de Marx.
Les démocraties vacillent par manque d’enthousiasme civique, tandis que, chose inouïe, un régime autocrate comme la Chine, qui prône la prévalence absolue du « Parti » s’affuble de l’épithète de « gouvernement démocratique ». Or, dit Raymond Aron dans « Essais sur les libertés », « dès lors que la liberté politique ne s’y trouve pas, parler d’un régime autocrate comme d’une “démocratie“ c’est dire une absurdité suivant le sens naturel des mots. »
« Ce qui a fait adopter les expressions fausses ou tout au moins obscures, c’est : 1°) Le désir de faire illusion à la foule, le mot de “gouvernement démocratique“ ayant toujours un certain succès auprès d’elle » ;
« 2°) “L’embarras“ où l’on se trouvait pour exprimer par un mot une idée aussi compliquée que celle-ci : un gouvernement absolu, où le peuple ne prend aucune part aux affaires, mais où les classes au-dessus de lui ne jouissent d’aucun privilège, mais où les lois sont faites pour favoriser autant que possible son bien-être ».
Parlant de la Chine de Xi Jinping, on pourrait y rajouter que « l’embarras » évoqué par Raymond Aron est tenu à distance par une totale opacité politique et l’illusion entretenue qu’un homme seul pourrait subjuguer l’idéologie et l’appareil qui l’ont porté au pouvoir.
La rédaction.
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Xi Jinping est-il un dictateur ? Stricto sensu, oui ; il est à la tête d’une dictature ; on peut donc bien parler de dictateur… Mais gardons quand même bien en tête qu’il s’agit de la dictature du Parti.
On a tendance, implicitement, à penser que les dictateurs se servent habilement de situations difficiles, comme, par exemple des guerres, des problèmes économiques ou sociaux, pour s’emparer du Pouvoir et que, par la suite, ces situations difficiles l’exigeant, ils concentrent peu à peu tous les pouvoirs entre leurs mains. C’est une hypothèse. Mais il y en a une autre. Celle selon laquelle le véritable pouvoir appartient à l’appareil.
Par la puissance rémanente de son idéologie et de ses réflexes de contrôle, c’est en réalité la machine politique qui façonne et contrôle le Dictateur et non l’inverse.
Certes, Xi Jinping a été nommé à la tête du Parti alors que ce dernier était en pleine déliquescence corrompue. La décomposition du Parti dont en 2011, le sociologue Zhang Musheng disait « qu’il était à vendre », associée à l’idée généreusement partagée par une bonne partie des chinois qu’en dehors du Parti, il n’y aurait pas de salut, a conduit l’appareil à nommer Xi à sa tête à l’automne 2012, puis à approuver une vaste « campagne de purification éthique » sous la férule de son nouveau « Grand Timonier . ».
Parallèlement, l’ambition du nouveau n°1 s’est vite précisée autour de son projet personnel visant à consolider son image de « guide du peuple » au centre de l’appareil. En ligne de mire les exégètes discernent son espoir d’être élevé en 2027 au statut historique de « Président 主席 » au même niveau que Mao, dont le prestige est incomparablement supérieur à celui de « Secrétaire 秘书 »
Au sein de l’appareil, le travail de préparation à cette élévation symbolique a été confié à Li Shulei, n°8 de l’appareil, actuel président de la Commission de la propagande, avec l’aide de Wang Huning, membre du Comité permanent depuis 2017. C’est précisément lors du 19e congrès d’octobre 2017 que fut adoptée « La Pensée de Xi Jinping pour l’ère nouvelle du socialisme aux caractéristiques chinoises ».
Dans la continuité historique de « Mao le rédempteur » et de « Deng l’artisan des réformes et de la prospérité », seuls dirigeants dont le nom est associé à une pensée inscrite dans la constitution, la motion plaçait l’actuel n°1 à une hauteur doctrinale impossible à contester.