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Zuckerberg et la censure du net. Les illusions de Facebook en Chine

Le 23 septembre à Seatle, Zuckerberg a échangé quelques mots en chinois avec le Président Xi Jinping. Il ne lui en n’a pas fallu plus pour considérer que l’événement était « une étape significative ».

Le 23 septembre dernier à Seatle, à l’occasion de la brève rencontre organisée entre le président Xi Jinping et les PDG chinois et américains des grandes sociétés des nouvelles technologies de l’information utilisant internet, Mark Zuckerberg, le PDG de Facebook dont l’accès est bloqué en Chine, fut le seul patron américain à s’entretenir en Chinois avec le Secrétaire Général du Parti. Ce n’était certes pas la première fois que Zuckerberg s’exprimait publiquement dans un mandarin approximatif et hésitant, nouvellement appris.

L’année dernière, il avait déjà adressé quelques mots aux étudiants de Qinghua qu’il avait séduits, probablement plus par ce que représentait son image que par ses talents linguistiques. Il n’empêche que, cette fois, l’échange avec le n°1 chinois lui a laissé une forte impression au point que, sans excès de modestie, il a, sur sa page Facebook, qualifié l’instant « d’étape significative » (« meaningful milestsone »).

Peut-être le très génial, très jeune, très riche et un brin narcissique PDG du 2e site le plus visité du monde espère t-il pénétrer le marché chinois du réseau social, qui manque encore à son projet d’établir une connectivité planétaire libre et sans entraves des « amis » sans frontières que représentent les 1,5 milliards d’utilisateurs mensuels de Facebook. Il suffit pourtant d’ouvrir les yeux pour se rendre compte qu’en Chine, son affaire n’est pas mûre.

Certes les PDG des sociétés high-tech de l’information, d’internet et fabricants de microprocesseurs (à l’exception de Google et Twitter) avaient fait l’effort d’entourer le président pour une photo de famille qui fut beaucoup utilisée en Chine. Mais les échanges réels avec Xi Jinping furent brefs et les PDG américains se sont éclipsés sans commentaires après une très brève allocution du n°1 chinois au cours de laquelle il a précisé qu’Internet pourrait se développer encore en Chine, mais en accord avec les « réalités du pays ». Traduisez « strictement contrôlé par la censure. »

Surtout la photo de l’échange entre Xi Jinping et le PDG de Facebook constitue un intéressant raccourci de la réalité. En embuscade de l’entretien se trouvait en effet, goguenard, Lu Wei, le maître de la censure du net en Chine. (à lire : Main basse politique sur l’information et Internet pour protéger le Parti)

Une vaste entreprise de contrôle du net

La province de Shenzhen qui fut la première à expérimenter la censure du net en 2006, avait inventé les deux mascottes qui apparaissaient sur les écrans des internautes pour leur rappeler qu’ils étaient surveillés.

Sans état d’âme et avec une remarquable détermination, le régime poursuit son projet de contrôle d’Internet pour y juguler non seulement les débordements éthiques fréquents dans les sociétés occidentales sous couvert d’anonymat, mais également toute contestation politique et sociale sensible.

Début 2015, de nouvelles règles avaient obligé les entreprises de télécoms et les fournisseurs d’équipements informatiques à donner à la police du net, au prétexte de lutte contre les fraudes, des facilités d’accès, entre autres, aux données confidentielles des banques. En mai, un projet de loi sur la « cybersécurité » envisageait, au nom de la lutte contre le terrorisme, d’obliger les équipementiers à révéler leurs systèmes de codage. Le projet était accompagné d’un commentaire du ministère de la sécurité publique imprimant à la censure le sceau impérieux de la sécurité nationale : « Alors que le pays s’engage dans l’âge d’Internet, la sécurité du net est devenue un enjeu de sécurité nationale, lié à la stabilité de la société, facteur important du développement économique et de la vie quotidienne des citoyens ».

Fin juin, l’ANP votait une nouvelle loi dite « de sécurité nationale » aux objectifs très larges, englobant non seulement la défense, la police et l’armée, mais également l’environnement, internet et les technologies de l’information, les finances, la culture, l’idéologie et les questions religieuses, à quoi s’ajoutaient des dispositions ciblant directement les protestataires de Hong Kong et les indépendantistes de Taïwan.

Le nouveau texte donne au pouvoir une vaste marge de manœuvre pour juguler les dissidences et les critiques internes et externes, au prétexte que rien ne doit menacer la modernisation et le « rêve chinois » - comprendre ses projets de réformes socio-économiques et légales « aux caractéristiques chinoises », le redressement éthique de la société et du Parti, ses ambitions de ramener Taïwan dans le giron national et sa montée en puissance stratégique dans la zone asiatique -.

Nouveauté de taille, il stipule que des policiers contrôleurs seront incorporés au siège des sites internet et chez les fournisseurs d’accès. Tencent, Sina corp, Alibaba, Baidu sont, depuis quelques années déjà, dans le collimateur et ont été rappelés à l’ordre pour n’avoir pas réagi assez vite aux injonctions des censeurs de supprimer la pornographie, les « scams », les rumeurs et, plus largement, les messages à contenu politique sensible.

Durcissement depuis 2009.

A partir de 2009, le contrôle d’internet s’est considérablement alourdi et rigidifié. Depuis 2015, il est encadré par des lois et des règlements de plus en plus restrictifs qui donnent au gouvernement une capacité illimitée de réprimer les dissidences et les contestations.

En réalité, la censure du net n’est pas nouvelle. Mais, elle avait commencé en 2006 sur un mode subtil non dénué d’humour dans la province de Shenzhen qui fut le creuset des réformes économiques, par l’introduction de deux personnages de bande dessinée dont les figurines apparaissaient sur les écrans pour rappeler aux internautes qu’ils étaient surveillés : Jing Jing 警警 et Cha Cha 察察, d’après les 2 phonèmes du mot police « 警察. Jingcha ». Jusqu’à la fin 2009, le contrôle du net était resté sur ce mode minimum et l’utilisation d’internet était assez peu gênée.

Après le choc des révoltes dirigées contre les Han au Tibet en 2008 et au Xinjiang en 2009, la surveillance s’est durcie pour en arriver aujourd’hui à un blocage policier à ce point rigide, que nombre de sociétés étrangères commencent à réfléchir à déporter leur siège hors de Chine. En juin 2015, une enquête de la chambre de commerce européenne révélait qu’à peine 55% des groupes européens avaient l’intention de continuer à se développer en Chine, contre 86%, il y a deux ans.

Même si pour l’heure les départs sont assez rares, à peine 28% des sondés se sont dits optimistes sur leur capacité à faire des profits dans le futur et plus de 50% des 451 sociétés interrogées ont signalé faire l’objet de discriminations, dont une partie ont pour objet la captation de technologies high-tech. Les nouvelles dispositions légales qui envisagent de supprimer les dispositifs assurant la protection et le secret des données ne contribueront pas à entretenir la confiance.

*

La Chine n’est pas le seul pays qui met internet sur la sellette. Avec le surgissement de la menace terroriste globale véhiculée par la mouvance islamiste radicale qui utilise la puissance de la toile et des réseaux sociaux pour embrigader de jeunes frustrés écervelés vers une aventure mortifère, la question du contrôle et même de la censure se pose aujourd’hui dans nombre de pays démocratiques. Ces nouvelles menaces auxquelles la communauté internationale et l’ONU tardent à apporter une réponse coordonnée constituent en revanche une puissante caution aux entreprises chinoises de surveillance du net, d’autant plus qu’au Xinjiang, le pays est lui-même aux prises avec des risques terroristes posés par les ramifications de l’Etat islamique.

La ténacité apparemment très résolue du régime chinois pour censurer internet se nourrit aussi, à contrario, des ratés des systèmes démocratiques dont la capacité de vision et d’action à long terme est brouillée par le poids de l’immédiat, les joutes électorales à court terme et la dictature des sondages d’opinions.

A la fois très conscient de ses nombreuses vulnérabilités, mais sachant en même temps que son système garantit la constance et la durée dans une phase de transition pavée de pièges, le Parti communiste chinois paraît aujourd’hui moins sensible en interne aux discours sur la liberté d’expression et aux sirènes d’un modèle politique alternatif occidental dont les velléités sont très sévèrement réprimées.

Mais, privilégiant l’harmonie sociale et politique par la suppression des contestations, il court le risque de la sclérose sociale et du tarissement de l’esprit d’innovation. A moyen terme se posera fatalement la question de la légitimité du Parti qui affirme constituer le seul choix possible à la tête du pays, dans un environnement social en évolution rapide moins disposé à accepter la répression politique et la rigidité d’un choix unique.


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