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Corée du Nord. Wang Yi met Washington au pied du mur

Pyongyang a le sens de l’a propos. Au moment où à Pékin s’ouvrent les deux réunions annuelles de la Conférence Consultative du Peuple Chinois et de l’Assemblée Nationale Populaire, si le régime nord-coréen avait voulu à la fois torpiller toute possibilité de reprendre le dialogue à 6, objectif de la Chine depuis 2009, embarrasser le Politburo chinois dans son dialogue avec Washington et accélérer le déploiement de système anti-missiles de théâtre américain dont Pékin ne veut pas, il n’aurait pas procédé différemment.

Mais à y regarder de plus près, on mesure une fois de plus la difficulté de prendre Pékin à contrepied. Partant d’une situation très compromise où son allié de l’époque de la guerre froide ne cesse de mettre la Chine en porte à faux, le ministre des Affaires Wang Yi a, lors de la conférence annuelle de la réunion de l’ANP réussi un rétablissement spectaculaire.

Tirant profit de la menace de sécurité posée par Pyongyang, il a, dans une situation bloquée où montent les tensions et les risques de conflit, posé la Chine en seul médiateur crédible capable de désamorcer la crise.

A cet effet, renvoyant dos à dos Washington et Pyongyang, il a proposé que chacun fasse un geste de conciliation, préalable indispensable à la reprise des négociations du dialogue à 6 interrompu depuis 2009. La Corée du Nord cesserait ses violations des résolutions du Conseil de sécurité, tandis que les États-Unis et la Corée du Sud renonceraient aux vastes exercices militaires sur la péninsule que le régime nord-coréen perçoit comme des provocations inacceptables.

Du même coup, Wang Yi a rejeté les Américains, leurs exercices militaires, leur déploiement du système anti-missiles de théâtre (THAAD) et leur inflexibilité dans le camp des fauteurs de guerre.

*

C’est peu dire que la manœuvre met les nébuleuses militaro-industrielles sud-coréenne et américaine en porte à faux et en face d’un choix difficile. Donald Trump, dont l’ADN à l’arrière-plan commercial est dominé par une tendance à monter les enchères, sera t-il en mesure de résister à la mouvance néo-conservatrice qui tient aujourd’hui le haut du pavé sur la question ? Animé par le complexe de la fermeté assimilant la moindre concession à un « Munich asiatique », ce courant de pensée conseille la fermeté sans esprit de recul.

Mais l’histoire des 20 dernières années montre, à l’évidence, que le raidissement assorti de sanctions et conditionnant la reprise des négociations à un démantèlement préalable des installations nucléaires, sans une concession de Washington sur la reconnaissance du régime, était un cul-de-sac. Certains experts américains de la zone pointent même du doigt, avec la Chine, que l’intransigeance opiniâtre de Washington avait été un facteur aggravant. Lire notre article Le nucléaire nord-coréen et l’illusoire solidarité face à Pyongyang. Réflexions sur un cul-de-sac stratégique.

Pyongyang fait monter les enchères.

Depuis le pas de tir de Tongchang-ri sur la presqu’île de Changya Dong à 50 km de la frontière chinoise, Pyongyang a, le 6 mars, lancé 4 missiles – qui n’étaient pas intercontinentaux -, tirés simultanément en direction de la mer du Japon où ils se sont abîmés à 200 nautiques de la préfecture japonaise d’Akita, située 470 km au nord de Tokyo, sur la grande île de Honshu.

Ce tir suivait l’essai balistique du 12 février dernier d’un missile Pukguksong 2 à carburant solide effectué durant la visite de Shinzo Abe à Washington et au lendemain de l’appel de Donald Trump à Xi Jinping. Premier test missile de Pyongyang depuis l’investiture de Donald Trump, le tir venait après une année 2016 où les essais balistiques et nucléaires frappés d’interdiction par des résolutions des NU et passibles de sanctions, se sont succédés à un rythme plus rapide qu’à l’habitude. A cette occasion, le président américain avait réaffirmé à Shinzo Abe sa solidarité sans faille.

Ce n’est pas la première fois que Pyongyang tire des missiles de portée intermédiaire à l’ouest des côtes du Japon. En août et septembre 2016, deux tirs s’étaient respectivement abîmés à 125 et 155 nautiques de l’archipel.

Le premier avait été effectué à partir d’un sous-marin croisant au large de Sinpo, base navale de la côte Est nord-coréenne et le deuxième était une salve de trois missiles tirés 4 jours seulement avant le 5e test nucléaire de Pyongyang du 9 septembre.

A Tokyo et Séoul, les experts balistiques estiment – et l’hypothèse est crédible à défaut d’être vérifiable - que la répétition des tirs par salves sont des essais de tirs de saturation destinés à contourner les défenses anti-missiles.

Lancements de missiles à partir de sous-marins, essais balistiques, tirs par salves, tests nucléaires, constituent la panoplie des provocations de Pyongyang pour se rappeler aux bons souvenirs de Washington et de ses grands voisins russes, chinois, japonais et sud-coréens.

Le message est toujours le même : affirmer sa capacité de nuisance stratégique pour tenir à distance toute ingérence dans ses affaires intérieures, avec l’espoir qu’un traité de paix signé d’abord avec Washington, puis avec l’ONU, scellerait sa reconnaissance définitive par la communauté internationale et la sécurité du régime.

Ruine apparente des perspectives de négociation.

Mais pour l’heure, l’accélération des tests balistiques et nucléaires, à quoi s’ajoute l’épisode de l’assassinat du demi-frère de Kim Jong-an à Kuala Lumpur par l’application sur son visage d’un neurotoxique classé comme une « arme de destruction massive » réveillant aussitôt les pires cauchemars de guerre chimique, ont deux conséquences directes : 1) le message d’apaisement de Pékin en vue d’une reprise des dialogues à 6 est une nouvelle fois devenu difficilement audible ; 2) Washington a commencé le déploiement en Corée du sud de son système anti-missiles à haute altitude (THAAD).

Tous les grands médias ont en fait état, depuis le 7 mars, les États-Unis installent en Corée du sud les premiers éléments du THAAD arrivés sur la péninsule coréenne pendant que le Président sud coréen par intérim justifiait le déploiement en commentant la menace de Pyongyang et après que Shinzo Abe, le premier ministre Japonais, ait lui aussi expliqué ses soucis de sécurité à la Diète.

On le comprend. Peu après la salve de 4 missiles tombés à l’intérieur des 200 nautiques de la ZEE japonaise, le quotidien Mainichi Shimbum publiait un article sur l’inquiétude des pêcheurs de la préfecture d’Akita que la fréquence des tirs nord-coréens ne laisse plus indifférents.

Le Pentagone est lui aussi préoccupé par la sécurité de ses bases au Japon ou stationnent 50 000 hommes. Le 6 mars, l’agence de presse nord-coréenne KCNA annonçait en effet que la salve de 4 missiles tirée le jour même était partie d’un exercice destiné à préparer les unités de missiles à une frappe contre « les forces de l’agresseur impérialiste stationnées au Japon ».

A l’ONU, le représentant nord-coréen Ja Song-nam dénonçait l’exercice conjoint « Fol-Eagle » et mettait en garde contre une dérive pouvant conduire « au bord d’une guerre nucléaire. ». Au passage, la déclaration qui réagissait à l’exercice annuel de l’alliance militaire Séoul – Washington, mettait à mal les espoirs Chinois d’une reprise des négociations qui, selon Pékin, devait permettre de sortir du « cercle vicieux des provocations - représailles ».

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Dialogue de sourds et jeu de poker entre Pékin et Washington.

A l’étage supérieur et au-delà des secousses frappant plusieurs pays de la région, répliques de la dernière convulsion nord-coréenne [1], Pékin et Washington sont, la crise taiwanaise à peine désamorcée, à nouveau sur une trajectoire tendue au milieu de ce qui commence, une fois encore, à ressembler à un dialogue de sourds et à une partie de poker.

Dans ce jeu, la Chine tente, en abattant toutes ses cartes de « médiateur à la recherche de la paix », de contraindre la Maison Blanche à abandonner sa rhétorique et ses postures guerrières et à revenir à la table de négociations. Le défi auquel l’exécutif chinois s’attaque avec une constance qui mérite attention, est extraordinairement compliqué par les provocations de la Corée du Nord.

Pyongyang ayant agité le chiffon rouge d’une agression par missiles contre les forces américaines stationnées en Corée du sud, la Maison Blanche et le Pentagone ne sont naturellement pas prêts à entendre les appels au dialogue de la Chine.

Pour eux, le déploiement du THAAD et les exercices militaires conjoints ne sont que les réponses logiques à une menace militaire directe et avérée. Tels seront les objectifs de la prochaine tournée du Secrétaire d’Etat Rex Tillerson au Japon, en Corée du Sud et en Chine : 1) consolider les alliances avec Tokyo et Séoul ; 2), convaincre Pékin du bien fondé de la position américaine dont il répétera, une fois de plus, qu’elle n’est pas dirigée contre la Chine. Tout indique qu’il n’y réussira pas.

Comme le répètent en effet Pékin et quelques modérés américains eux-mêmes, la perspective du raidissement n’offre aucune porte de sortie crédible. C’est bien là le point faible de Washington que la Chine tente d’exploiter pour retourner à son avantage une situation en apparence très compromise.

Le spectaculaire rétablissement de Wang Yi.

Le 8 mars, parmi les 24 sujets de la conférence de presse de la réunion annuelle de l’Assemblée Nationale, Wang Yi, le ministre des Affaires étrangères a clairement marqué son double agacement à l’égard de Washington et de Pyongyang et proposé un plan de sortie de crise, articulé sans faiblir autour de l’idée chinoise de prévalence des négociations.

La Corée du nord, a t-il précisé, a, ignorant la condamnation de la communauté internationale, par ses tirs de missiles et ses tests nucléaires, violé les récentes résolutions du Conseil de sécurité, ce que Pékin condamne fermement, « en cohérence avec ses positions constamment exprimées à l’ONU ». Mais, refusant de prendre clairement parti contre Pyongyang et rappelant au passage les liens historiques de la Chine avec la Corée du Nord [2] Wang Yi a aussi stigmatisé la provocation des exercices conjoints « Fol Eagle » « à l’envergure extravagante 超 大规模 chaoda guimo ».

Ainsi, pour Wang Yi, Pyongyang et Washington sont-ils, à présent, deux trains accélérant sur une trajectoire de collision 不断 加速 的 列车. Dans ces circonstances, la Chine, voisin direct qui, contrairement aux États-Unis, ne croit pas à la fatalité de la guerre, allume un feu rouge 亮起红灯 pour que les deux réduisent simultanément leur vitesse 同时刹车 ; dans la foulée, elle propose une sortie de crise qui, de son point de vue, est la seule raisonnable.

Celle-ci s’articule autour de deux propositions. Pyongyang doit d’abord mettre fin à ses expériences nucléaires et ses tirs de missiles, tandis qu’en contre partie, Washington cesserait ses exercices militaires de grande ampleur. Pour avoir une chance de progresser vers la paix et la dénucléarisation de la péninsule, il faut, dit Wang Yi, avancer sur les deux piliers que sont les sanctions et l’esprit de compromis, d’ailleurs conformes aux résolutions 2270 et 2321.

Après cette habile rhétorique inversant les termes du dilemme nord-coréen tel qu’il est habituellement perçu à Washington, la balle est clairement dans le camp de la Maison Blanche. Alors que la tension monte par ailleurs avec Pékin à propos du déploiement des armes anti-missiles que l’exécutif chinois identifie comme le « vecteur hautes-technologies » d’une mainmise américaine sur la région capable de contrebalancer l’influence chinoise, Donald Trump et ses conseillers sont au pied du mur.

Placés en face de solutions qui toutes leur apparaissent comme des redditions, ils sont aussi soumis aux pressions de ceux qui, aux États-Unis, en Chine et en Corée du Sud où il existe de sérieuses oppositions au déploiement du système THAAD, stigmatisent l’absence d’issue et même les risques de l’inflexibilité.

La prochaine visite à Pékin de Rex Tillerson confirmera si, comme le dit Tao Wenzhao expert des États-Unis à l’Académie des Sciences Sociales, les relations sino-américaines sont, malgré tout, en bonne voie de stabilisation. Une chose est sûre, il y faudra une claire volonté de compromis de part et d’autre.

Elle ne sera pas facile à assumer dans un contexte où les décisions déjà prises – celle de ne pas lâcher Pyongyang par Pékin et celle d’installer le THAAD en Corée du sud par Washington – constituent dores et déjà de sérieux embarras. Le 9 mars le refus de la Maison Blanche d’abandonner les exercices militaires qui suivait celui de Séoul, augurait mal d’un apaisement possible.

Une lueur d’espoir cependant : après avoir fustigé l’amalgame insolite fait par Pékin entre les tests nucléaires de Pyongyang et les exercices de l’alliance, Mark Toner, le porte parole du Département d’État, a reconnu que Washington devait imaginer une nouvelle approche de la question coréenne.

Note(s) :

[1Les tensions de la péninsule provoquent des répliques en cercles concentriques. Premières victimes, les relations entre Pékin et Séoul. En représailles contre la décision de Lotte d’attribuer un terrain au projet THAAD en Corée du Sud, plus de 20 filiales du groupe coréen en Chine ont été fermées, tandis que la propagande officielle attisait les ressentiments populaires contre la marque. Si elles duraient, les sanctions seraient un coup sévère aux affaires de la chaîne qui emploie 20 000 personnels en Chine dans 115 magasins, avec un total de ventes en 2015 s’élevant à 2,6 Mds de $.

Entre Kuala Lumpur et Pyongyang, les tensions sont tout aussi vives depuis l’assassinat de Kim Jong-nam. Alors que la Malaisie comptait parmi les rares « pays amis » de la Corée du nord, ses ressortissants sont bloqués en Corée du Nord, otages de la secousse diplomatique après que la police malaisienne ait inscrit 8 Nord-coréens sur la liste des suspects accusés du meurtre du demi-frère du n°1 nord-coréen.

Parmi eux, un diplomate et un employé de la compagnie aérienne nationale réfugiés avec un 3e complice à l’ambassade nord-coréenne. Répondant du tact au tac au séquestre des Malaisiens par Pyongyang, le premier ministre malaisien Najib Razak a d’abord interdit la sortie des nord-coréens vivant en Malaisie avant d’expulser l’ambassadeur après qu’il ait publiquement contesté l’impartialité de l’enquête de police.

[2A cet effet Wang Yi a exhumé la vieille formule maoïste désignant la relation bilatérale Pyongyang – Pékin comme celle de deux alliés « unis comme les lèvres et les dents –嘴唇和牙齿 zuǐchún hé yáchǐ »

 

 

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