Your browser does not support JavaScript!

Repérer l'essentiel de l'information • Chercher le sens de l'événement • Comprendre l'évolution de la Chine

›› Société

La longue marche chinoise vers la conscience écologique

…et en 2015, la popularité de Chai Jing.

Chai Jing et son documentaire « sous le dôme 穹顶之下) » instrument d’une prise de conscience publique.

Mais il y a mieux : depuis une semaine les médias et l’internet chinois sont en effervescence, agités par une initiative privée qui aurait été impossible il y a seulement quelques années. Chai Jing 柴 静 une journaliste d’investigation de la TV d’État a, à compte d’auteur et avec l’appui de quelques investisseurs et hommes d’affaires, réalisé un documentaire critique sur la qualité de l’air en Chine intitulé « 穹顶之下 Qiong Ding Zhixia (sous le dôme) » qu’elle diffuse et commente sur les réseaux sociaux.

Un message puissant relayé par les réseaux sociaux.

La puissance du message se nourrit de plusieurs ingrédients qui, en Chine, sollicitent un mélange d’émotions complexes : la santé de sa fille née avec une tumeur bénigne au ventre que la journaliste attribue à la pollution de l’air à Pékin ; l’état de l’atmosphère dans la capitale chinoise 5 fois plus polluée que le plafond autorisé par les normes chinoises, elles-mêmes pourtant 25% plus tolérantes que les standards européens ou américains ; le goût de la transparence qui fait fureur sur les réseaux sociaux depuis que l’ambassade des États-Unis a levé le voile des approximations édulcorantes en publiant chaque jour les mesures précises de la qualité réelle de l’air à Pékin.

Peu importe que quelques scientifiques accusent Chai d’avoir cédé au populisme en enrôlant la santé de sa fille dont rien ne prouve que la tumeur soit liée à la pollution, le document fait fureur. A mi-chemin entre les confidences personnelles confiées sans acrimonie et le reportage d’investigation documenté, il a, depuis sa mise en ligne il y a un peu plus d’une semaine, été visionné par 100 millions de Chinois sur Tencent et Youku. Sur Weibo il a suscité près de 300 millions de commentaires.

…et approuvé par le Parti

Preuves de la prise de conscience du régime qui entend utiliser la diffusion du cauchemar écologique pour réveiller les pollueurs et l’opinion : la censure pourtant impitoyable par les temps qui courent a laissé faire et le nouveau ministre de l’environnement lui-même a, dans une conférence de presse, reconnu l’efficacité de la démarche de Chai.

La caution vaut de l’or. Elle a en effet été accordée juste en amont de la réunion annuelle des assemblées (lianghui 两会) où les questions écologiques mises sur la table par la bureaucratie qui prépare activement la conférence de Paris, ont été placées en haut de l’agenda. Même le Quotidien du Peuple qui a publié une longue interview de Chai mise en ligne le 3 mars a fait peser son autorité. L’expression des bonnes volontés et les déclarations d’intention ne peuvent préjuger des résultats. Mais l’échange entre l’ancienne journaliste de CCTV et l’organe officiel du régime frappe par la sincérité du ton et le sérieux très documenté des réponses.

Elles jalonnent l’historique d’une prise de conscience commencée par la maladie de sa fille et s’est poursuivie par des enquêtes dans les centres de recherche en Chine et hors de Chine spécialisés dans les travaux sur les sites lourdement pollués. (Institut de recherche sur l’énergie de la Commission pour la Réforme et développement, le Département de la politique industrielle du ministère de l’Industrie et des technologies de l’information - MIIT - , le ministère de l’Environnement). Le but : briser l’omerta sans affoler l’opinion, mais sans édulcorer ; tourner le dos aux déclarations officielles qui décrivaient la lourde chape de pollution qui pèse sur Pékin comme une péripétie atmosphérique normale.

Transparence et pédagogie.

Les conclusions sont claires et sans appel. Elles sont connues : le brouillard polluant est en grande partie lié à l’énergie et 60 % de la pollution de l’air en Chine vient de la combustion du gaz et du charbon. En 2013 la Chine a brûlé plus de charbon que le reste du monde réuni, à quoi s’ajoutent la mauvaise qualité du charbon et l’absence de dispositifs de filtrage, de piégeage et de stockage du carbone.

Dans les centres urbains, la pollution est aggravée par les émissions des gaz d’échappement des voitures dont le nombre augmente bien plus vite qu’ailleurs dans le monde. Au passage Chai attaque les grands pétroliers chinois qui mettent sur le marché des produits mal raffinés, tout en expliquant que les États-Unis et l’Angleterre ont, en 20 ans, réussi réduire la pollution de 75%.

Certes l’ensemble de l’interview donne l’impression d’une bonne volonté de tous les interlocuteurs de Chai, chercheurs, industriels, hommes d’affaires, responsables politiques, dont la sincérité restera à vérifier. Mais le fait est que la Chine, non seulement celle des ONG, de l’opinion et de la société civile, mais également celle du pouvoir central, des bureaucrates et du Parti Communiste semblent tenter de sortir d’une longue habitude de déni qui, au nom de la croissance et du rattrapage, avait longtemps ignoré l’ampleur du désastre écologique.

De l’accumulation quantitative vers la puissance qualitative.

En tous cas, le souci écologique figurait en bonne place dans le discours du premier ministre lors de la session annuelle de l’ANP, le 5 mars : « Les fumées toxiques qui touchent de vastes parties de la Chine sont le signal rouge envoyé par la nature contre le schéma de développement aveugle. Nous ferons la guerre à la pollution comme nous l’avons faite à la pauvreté » a martelé Li Keqiang devant les 3000 délégués.

Dans la foulée le ministre des finances annonçait un budget de 11,55 Mds de Yuans (1,6 Mds d’€) pour combattre la pollution atmosphérique en 2015, en hausse de 9,5% par rapport à l’année dernière. Les crédits pour les économies d’énergie et la réduction des émissions de carbone seront portés à 47,85 Mds de Yuan (7 Mds d’€), soit une hausse de plus de 40% par rapport à 2014, dont une partie sera destinée à la modernisation des centrales thermiques.

La prise de conscience qui s’exprime concrètement dans les choix budgétaires est partie du « rêve chinois » exprimé par Xi Jinping qui ambitionne de faire muter la puissance chinoise de l’argument quantitatif à la sophistication qualitative d’une nation moderne.

*

Mise à jour le 9 mars 2015. Retour en force de la censure

Comme le signale le commentaire du lecteur « Homo Sinicus », la lutte contre la pollution et la transparence qu’exige son efficacité semblent être l’objet d’une lutte interne au sérail dont les observateurs n’ont pour l’heure perçu que les effets visibles extérieurs. Après quelques jours d’hésitations, l’esprit de censure de Liu Yunshan, le n°1 de la propagande a repris le dessus, probablement au nom de la stabilité sociale à la suite de l’impressionnant foisonnement des commentaires.

Chai Jing sous le boisseau

Après que plus de 200 millions d’internautes – une performance inhabituelle même en Chine - aient visionné le travail de Chai Jing, celui-ci a désormais disparu du net chinois. Il faudra attendre le 15 mars, date de la conférence de presse de clôture de l’ANP donnée par le premier ministre pour tenter de connaître les dessous de cette échauffourée politique.

Mais d’ores et déjà, le cheminement de cette nouvelle offensive de l’occultation est clairement perceptible au travers des revirements observés lors de la première semaine de la réunion annuelle de l’ANP. Alors que depuis quelques jours déjà il devenait évident que la censure s’appliquait à occulter le film que nombre de commentateurs ont comparé à celui d’Al Gore « The inconvenient truth » primé par la critique en 2006, la chape de plomb est officiellement retombée sur l’initiative de la journaliste de CCTV.

Lors de sa conférence de presse du 7 mars, le nouveau ministre de l’environnement qui avait pourtant salué le film de Chai Jing une semaine plus tôt comme une « contribution utile », a fait mine d’ignorer les mains levées des journalistes étrangers et chinois qui tentaient de l’interroger sur l’effacement du document.

Baptême du feu politique pour Chen Jining

Le tête-à-queue officiel est d’autant plus visible et dérangeant que les deux premiers personnages du régime, Xi Jinping et Li Keqiang avaient eux-mêmes mis l’accent sur l’urgence écologique peu après la mise en ligne du documentaire par – ce qui n’est pas rien - le site du Quotidien du Peuple, accompagné d’une longue interview édifiante et apparemment consensuelle de l’auteur. Preuve de la reprise en main par la propagande aussitôt suivie par l’appareil, le 6 mars, soit la veille de la conférence de presse du ministre de l’environnement, ces mises en ligne avaient été effacées.

Pour le nouveau ministre de l’environnement, l’ancien président de Qinghua Chen Jining dont l’esprit devrait en théorie être rompu à l’examen de la vérité, le baptême du feu est rude. Confronté aux arcanes compliqués de la politique chinoise et pris à contrepied par le virage à 180° de la machine politique, il ne lui restait qu’à tenter de sauver la face en promettant d’être plus transparent à l’avenir, tout en confirmant sans rire que « le peuple dispose du droit de superviser le combat du gouvernement contre la pollution ».

Risquons une hypothèse.

Comme l’indiquent les lentes évolutions depuis près de 10 ans dernièrement ponctuées par l’accord conclu avec les États-Unis en novembre 2014, faisant lui-même suite aux exigences de transparence imposées aux industriels, à quoi s’ajoutent les récents choix budgétaires annoncés par Li Keqiang le 5 mars, il ne fait pas de doute que le régime est convaincu de l’urgence de protéger l’environnement contre les désinvoltures industrielles qui détruisent gravement l’équilibre écologique du pays.

Mais les dernières hésitations et revirements qui témoignent au minimum de malentendus au sommet, peut-être des désaccords sur la méthode, montrent clairement que l’appareil ne veut surtout pas perdre la main sur un sujet aussi complexe dont le potentiel de mobilisation critique contre le système politique est aussi explosif. D’autant qu’il est également lié aux activités et aux intérêts des groupes industriels et agricoles.

In fine, surnage l’obligation de protéger le magistère du Parti unique. Comme le souligne un des nombreux commentateurs de la toile chinoise « il y va du brouillard polluant comme de n’importe quel problème en Chine. Creusez un peu plus profond et vous toucherez à la question du système politique ».


• Commenter cet article

Modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Ce formulaire accepte les raccourcis SPIP [->url] {{gras}} {italique} <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

• Vos commentaires

Par Homo Sinicus Le 9/03/2015 à 03h07

La longue marche chinoise vers la conscience écologique.

A noter que ces jours-ci les autorités chinoises viennent de faire supprimer le documentaire de Chai Jing d’internet, il est maintenant totalement introuvable sur les réseaux sociaux et les sites de diffusion vidéo (le nom du documentaire n’apparaît même plus dans les recherches effectuées sur Weibo). La vidéo avait pourtant été diffusée par le site 人民网, ce qui semblait de bonne augure et laissait en effet entendre que le Parti avait approuvé la démarche, mais le dégel autour des questions d’environnement ne semble pas complétement gagné...

Par Guy Baudoux Le 9/03/2015 à 07h44

La longue marche chinoise vers la conscience écologique.

Félicitations pour votre article !
Pourriez-vous le corriger, en y commentant le dernier développement de l’affaire « sous le dôme » : la censure complète (http://www.bbc.com/news/world-asia-31778115). Merci !

• À lire dans la même rubrique

Suicide d’une interne à l’hôpital public

Orage nationaliste sur les réseaux sociaux

Réseaux sociaux : La classe moyenne, l’appareil, les secousses boursières et la défiance

L’obsession des jeux d’argent et les proverbes chinois

Les tribulations immobilières de Liang Liang et Li Jun