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Le Pape François en Corée. Retour sur les relations entre le Vatican et la Chine

Méfiances, incompréhensions et raidissements.

En juillet 2012, le cardinal Thaddeus Ma Daqin évêque de Shanghai, ordonné par l’Église officielle et le Vatican a renoncé à l’Église officielle dite « patriotique ». le Parti l’a placé en résidence surveillée.

Pour résumer les tensions entre la Papauté et la Chine on citera deux séries d’événements qui renvoient au gouffre des différences politiques et culturelles. La première qui restera comme un exemple des incompréhensions historiques est décrite en détail par le Père Jean Charbonnier des Mission Étrangères de Paris (M.E.P) dans un livre explicatif de 250 pages relatant l’épisode qui crispa beaucoup Pékin, de la canonisation par Jean-Paul II de 120 chrétiens (87 chinois et 33 étrangers) le jour même de la fête nationale chinoise, le 1er octobre 2000 [1].

Les dirigeants chinois et nombre d’intellectuels considérèrent que la coïncidence était une provocation, puisque pour le Parti Communiste, les martyrs chrétiens morts en Chine souvent dans d’atroces souffrances, n’étaient que des agresseurs étrangers membres d’un complot anti-chinois.

Dans un article publié dans le numéro de décembre 2000 de Perspectives Chinoises, Benoît Vermander, jésuite français, Directeur de l’Institut Ricci de Taipei, raconte que 4 jours après la canonisation, une vingtaine d’universitaires chinois s’étaient réunis à Pékin pour dénoncer les crimes des missionnaires étrangers et de ceux qui les avaient suivis, considérés comme partie intégrante de l’agression extérieure contre la Chine.

Les martyrs chrétiens « agents impérialistes »

Parmi les canonisés, le séminaire cita même les pères Franciscus de Capillas, Dominicain espagnol décapité à Fuzhou en 1648, Auguste Chapdelaine des M.E.P, enfermé dans une cage de fer jusqu’à ce que mort s’ensuive en 1856 dans le Guangxi, et Alberico Crescitelli, prêtre de l’Institut Pontifical des Missions Etrangères massacré par le Boxeurs en 1900 dans le Shaanxi.

Tous trois, injustement sacrifiés, furent pourtant désignés en 2000 par les intellectuels comme des «  agents impérialistes  » et « exécrés comme tels jusqu’à aujourd’hui par le peuple chinois ».

Il est évident que ces trois martyrs furent victimes des circonstances politiques liées à la fois à l’invasion de la Chine par les puissances occidentales et à l’affaiblissement du pouvoir impérial qui cherchait des boucs émissaires. Le cas du Père Chapdelaine est encore plus complexe, puisqu’il fut accusé par Pékin d’avoir prêté main forte à la révolte musulmane des Panthay (1856 - 1872) dans le sud du Yunnan.

Mais pour le Vatican, le 1er octobre ne renvoyait pas à l’anniversaire de l’avènement de la Chine communiste, mais à la fête de Saint Thérèse de Lisieux, patronne des Missions.

Pour le Saint Siège, la canonisation honorait des hommes cruellement et injustement mis à mort, animés d’une foi et d’une conviction admirables qui les conduisirent, parfois imprudemment et au mépris de leur sécurité, à organiser et à assister les communautés chrétiennes naissantes, y compris contre les abus des pouvoirs locaux.

Benoît Vermander avance l’hypothèse qu’à Rome on avait « oublié  », ou « qu’on ne savait pas » que le 1er octobre était la fête nationale chinoise. C’est peu probable. Mais c’est sans importance.

Le télescopage des dates n’était qu’un prétexte. Les différends ne sont pas conjoncturels, mais de l’ordre de l’essentiel et les crispations auraient eu lieu de toutes façons.

Un an plus tard, Jean-Paul II avait tenté de corriger les malentendus de l’épisode par un discours prononcé le 24 octobre 2001 où il demandait « pardon, compréhension et indulgence à tous ceux qui ont pu se sentir blessés d’une manière ou d’une autre par des actions commises par des Chrétiens  ».

Mais en Chine les plus conservateurs n’y ont pas vu une initiative d’apaisement, mais seulement des excuses logiques après le camouflet du 1er octobre 2000.

La querelle des ordinations.

La deuxième circonstance qui attisa les crispations est une récurrence liée à la controverse sur la nomination des évêques, depuis des lustres à la racine des hauts et des bas dans la relation.

En juillet 2012 Thaddeus Ma Daqin nommé deux mois avant évêque auxiliaire de Shanghai par l’église officielle ou patriotique, également approuvé par le Vatican, utilisa la cérémonie de son ordination pour faire dissidence par une déclaration publique lue pendant la messe où il disait renoncer à ses fonctions dans l’Église officielle.

Les fidèles présents applaudirent, tandis que les membres du Parti et de l’Église patriotique quittèrent l’office en signe de protestation. Pékin qui reçut la rébellion du jeune évêque comme un camouflet et s’inquiéta d’une possible contagion, réagit brutalement en arrêtant Monseigneur Ma Daqin qui fut placé en résidence surveillée dans un séminaire où il se trouve toujours.

Ce regain de tensions faisait suite à des efforts réciproques pour apaiser la relation, inaugurés en 2007 par Benoît XVI. Dans une lettre à l’Église patriotique, le prédécesseur du Pape François proposait des échanges d’informations et un modus vivendi destiné à éviter à la fois les ordinations rivales et la persécution des prêtres qui refusent d’intégrer l’Église patriotique.

Mais alors que la presque totalité des évêques sont aujourd’hui nommés à la suite d’une consensus entre le régime et le Vatican, ce qui signale de réels progrès dans la relation, les crispations réapparurent en 2010 et 2011 à la suite d’une succession d’ordinations par Pékin, sans l’accord du Saint-Siège.

En novembre 2010, l’Église patriotique ordonna l’évêque de Chengde contre l’avis du Vatican et annonça le mois suivant qu’elle ordonnerait sans délais plusieurs dizaines d’autres prélats. Six mois plus tard, le 26 juin 2011, la police arrêtait à Handan (Hebei) Joseph Sun Jigen dont l’ordination approuvée par le Pape devait avoir lieu le 29 juin. Le mois suivant le Vatican réagissait en excommuniant l’évêque Paul Lei Shiyin ordonné par la Chine au Sichuan et menaçait de « sérieuses conséquences canoniques » pouvant aller jusqu’à l’excommunication, les 7 évêques qui avaient assisté à l’ordination.

Harcèlement des Chrétiens au Zhejiang.

Depuis le printemps 2014 les lieux de culte sont privés du symbole de la Croix, d’autres sont démolis.

Les tensions durent encore. Elles touchent les 6 millions de Catholiques et les 24 millions de protestants qui s’ajoutent aux dizaines de millions de fidèles de l’Église non officielle, dont le nombre est mal connu. Au passage signalons que tous les chiffres sur la population chrétienne de Chine sont à considérer avec la plus extrême prudence.

Une chose est sûre, la province du Zhejiang où la proportion des Chrétiens est plus forte qu’ailleurs, est actuellement touchée par une série de harcèlements que certains fidèles comparent aux avanies anti-religieuses de la révolution culturelle.

Le 30 juillet dernier, l’évêque de Wenzhou, Vincent Zhu Weifang et la communauté des prêtres de la ville ont dénoncé une campagne de « persécutions contre la foi catholique » qui visent à ôter les croix sur les toits et les clochers des églises et parfois à détruire les lieux de culte. Dans la région une quarantaine d’églises ont reçu un préavis des autorités les prévenant d’une prochaine destruction.

Trois semaines plus tôt 200 fidèles du village de Guangtou près de Wenzhou dont la proportion de Chrétiens approche les 15% avaient repoussé une escouade de police anti émeutes venue retirer la croix de leur église.

En avril dernier l’imposante église de la commune voisine de Sanjiang au style hybride et à l’esthétique discutable dont la construction avait coûté 5 millions de $, mais déclarée « construction illégale », a été détruite sous les yeux des fidèles en prières seulement une année après avoir été inaugurée. Pour les fidèles, l’intention politique est claire : le regain d’intolérance serait orchestré par le plus hautes autorités du pays dans le cadre de la campagne de rejet des influences étrangères et de la promotion des valeurs traditionnelles de la culture chinoise.

Mise à jour le 19 septembre.

A la mi-septembre, Pékin a bloqué un reportage de CNN sur les harcèlements contre les Chrétiens dans la région de Wenzhou. On y retrouve les faits et quelques unes des analyses développées ci-dessus, à quoi il faut ajouter des estimations à prendre avec des pincettes sur l’avenir du Christianisme en Chine.

S’il est en effet exact qu’on assiste à une « urbanisation  » de la population des fidèles qui, incontestablement, pose un problème au Parti toujours inquiet des effets politiques des regroupements mystiques, en revanche, il faut remettre en perspective les projections quantitatives de l’article quand il estime que dans « à peine 15 ans le nombre de Chrétiens en Chine pourrait dépasser celui des États-Unis, quantitativement premier pays catholique de la planète ».

Si en effet rien n’interdit de penser qu’en 15 ans le nombre de Chrétiens en Chine aujourd’hui estimé à plus de 50 millions (le chiffre est hypothétique) pourrait doubler, il n’empêche que la religion chrétienne resterait encore un phénomène marginal représentant entre 6 et 7% de la population.

(Note de contexte : selon un recensement vieux de 2 ans,les États-Unis comptent 68,5 Millions de Catholiques et près de 40 millions de protestants répartis en plusieurs obédiences (Baptistes, Méthodistes, Église des derniers Saints, Église de Dieu dans le Christ).

Pour l’heure tenons-nous en aux faits : Dans cette région de Wenzhou, les Chrétiens qui restent très minoritaires en Chine, sont victimes d’un étrange harcèlement obstiné sous prétexte de mises au normes architecturales des édifices.

A ce sujet la vérité oblige à dire que ces édifices ne brillent ni par leur esthétisme, ni par leur harmonieuse intégration dans le paysage urbain ; de même certaines croix de toute évidence surdimensionnées et peintes en rouge - voir la photo ci-dessus - sont plus proches de la provocation que du symbole religieux apaisant.

Dans le contexte actuel de méfiance à l’égard des influences occidentales, la motivation politique des destructions d’église et de la campagne d’élimination des croix au-dessus des édifices religieux est probable. Elle serait confirmée par une note confidentielle de l’appareil qui aurait baptisé la campagne en cours : « trois rectifications et une démolition - 三 个整改, 一 个拆迁 ».

Enfin, il est vrai que, s’attaquant ainsi aux symboles de la foi dans un pays en mal de repères spirituels, le Parti joue avec le feu. Une question reste entière : l’initiative de la campagne vient-elle du Centre ou des autorités locales ?

Note(s) :

[1« Les 120 martyrs de Chine : canonisés le 1er octobre 2000, » par le Père Charbonnier des Missions Étrangères de Paris, Églises d’Asie (Paris), 256 pages. (ISSN 1275-6865)


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