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Le Pape François en Corée. Retour sur les relations entre le Vatican et la Chine

Joseph Zen, le cardinal militant.

En juillet 2012, le Cardinal Joseph Zen au centre, manifeste devant le siège du Parti à Hong Kong pour protester contre la mise en résidence surveillée du Cardinal Mattheus Ma Daqin.

Tous ces malentendus, controverses et tensions se sont invités à la messe du 18 août à la cathédrale de Myeongdong à Séoul aux côtés du Pape en la personne du Cardinal Joseph Zen (82 ans) qui suivit les cinq jours de la visite du Souverain Pontife en Corée du Sud.

Nommé évêque de Hong Kong par le Vatican en 1996 et élevé à la dignité de cardinal en 2006, Joseph Zen, shanghaïen de naissance, a très souvent critiqué la Chine pour ses atteintes aux droits de l’homme et l’absence de démocratie. Depuis sa retraite en 2009, il appuie sans réserves les mouvements démocratiques de la Région Administrative Spéciale et s’exprime souvent pour la défense des Catholiques en Chine.

Docteur en théologie de l’Université Saint-François de Sales de Rome, Joseph Zen défend le militantisme politique des prêtres : « ceux qui disent que les prêtres doivent s’en tenir à la prière n’ont rien compris à ce qu’est l’Eglise  ».

Lors de la canonisation controversée des 120 martyrs vertement critiquée par Pékin, il avait publié plusieurs articles pour prendre la défense des missionnaires ; en 2001, il avait pris le parti de Falun Gong que le gouvernement chinois et son représentant à Hong Kong, Tung Chee-hwa, considéraient comme « une secte diabolique » ; en 2003 il s’était opposé avec vigueur aux articles anti-subversion très liberticides que Pékin tenta d’introduire dans la Loi Fondamentale.

Plus tard, il s’était rangé du côté des parents et des intellectuels qui protestaient contre un projet de « curriculum patriotique » dans les écoles primaires destiné à promouvoir le sens de l’identité nationale chinoise, dont les premiers programmes tronqués et partisans furent considérés par plusieurs hautes personnalités de monde éducatif hongkongais comme de « l’endoctrinement plutôt que de l’éducation ».

Les Jésuites en Chine. Succès et controverses.

Alors que tout semble indiquer que, cette fois encore, le nouveau Souverain Pontife ne parviendra pas plus que ces prédécesseurs à « normaliser » ses relations avec la Chine, tant les différends sont enkystés dans l’histoire à quoi s’ajoutent les rivalités et les malentendus culturels et politiques aujourd’hui exacerbés par le branle-bas idéologique du Parti contre les « influences étrangères » et en premier lieu occidentales, il reste à considérer l’élément nouveau, peut-être porteur d’un ajustement de la position du Vatican, est l’élection à la tête de l’Église catholique d’un prélat non européen (le premier depuis le Syrien Grégoire III au VIIIe siècle), et surtout du premier Pape issu de la Compagnie de Jésus.

A cet égard le nouveau Saint-Père ne peut pas ignorer que les premiers contacts très fructueux entre l’Occident et la Chine furent établis à la fin du XVIIe siècle grâce à l’érudition, l’habileté et le travail inlassable des Jésuites qui, de Matteo Ricci (1552 – 1610) à la mission envoyée en 1685 à la cour des Qing par le roi Louis XIV, jetèrent les premiers ponts entre l’Europe et le vieil Empire du Milieu.

Porteurs d’un projet religieux prosélyte, les Jésuites mirent en œuvre une stratégie oblique de conversion de l’Empire par le haut et au moyen de la science qui eut d’abord beaucoup de succès, au point qu’en 1741, lors du décès du Père Dominique Parrenin, l’un des plus célèbres Jésuites, le frère de l’Empereur Kangxi (1662 – 1722) assista à ses funérailles.

Les ennemis du dogmatisme accusés de duplicité.

S’étant dès leur fondation en 1540 par Ignace de Loyola, donné la mission prioritaire de l’éducation de la jeunesse, les Jésuites, également connus pour être les « intellectuels au sein de l’Église » ayant fait vœu d’obéissance absolue au Pape et à Dieu (c’est une originalité unique), se sont distingués au cours de l’histoire par la création d’établissements d’enseignement prestigieux et leurs actions d’évangélisation en Afrique et en Asie.

Au XVIIe siècle en France, on les retrouve en première ligne d’une querelle dialectique contre l’intransigeance morale des Jansénistes, à qui ils opposèrent la « casuistique » prônant le pragmatisme de l’examen de chaque cas particulier (d’où le terme de « casuistique »), privilégiant une approche moins péremptoire et moins radicale qui finit pourtant par leur conférer dans les cercles les plus doctrinaires, une image de laxisme, voire d’hypocrisie.

La « querelle des rites. »

C’est précisément l’angle choisi par les ordres missionnaires rivaux dont les Dominicains, pour lancer la « querelles des rites » qui accusa les Jésuites de manipuler les dogmes religieux catholiques pour tenter de réaliser l’impossible synthèse entre la vision chrétienne d’un Dieu créateur à visage humain qui juge, punit ou pardonne et la cosmologie religieuse chinoise d’une Divinité impersonnelle « une forme sans contours une image sans objet » comme l’écrivait Han Fei Zi(韓非子)il y a 23 siècles, à l’origine de l’Ordre et de l’Énergie de l’univers.

Plus précisément, la « querelle des rites » est restée dans l’histoire parce que les Jésuites autorisaient leurs convertis à honorer les ancêtres au travers des rites confucéens. La polémique au sein de l’Église finit, en dépit de l’indéniable succès des Jésuites en Chine, par effrayer les Chinois eux-mêmes et aboutit à l’interdiction des prêtres catholiques, à leur persécution puis à leur expulsion de Chine.

Beaucoup d’eau a passé sous les ponts, mais, on le voit, l’incompréhension fondamentale demeure. Elle est nourrie par les différences mystiques et culturelles et aggravée par l’hostilité politique à l’égard de l’étranger qui refait surface périodiquement. Le Pape François parviendra t-il à surmonter ces obstacles ? Compte tenu des analyses qui précèdent, le scepticisme est de rigueur.

On peut cependant spéculer sur le souci du Saint-Père d’éviter un schisme des Catholiques en Chine au prix d’accommodements avec le régime, dont peut-être François ne mesure pas les risques.

Un vaste fossé culturel

Il est vrai qu’en ces temps d’affaiblissement de l’idéologie communiste et de vide spirituel, la persistance des inégalités et les dérapages éthiques des cadres corrompus pourraient être des adjuvants de la foi catholique qui fut souvent le ferment des contestations politiques.

Mais, au fond, la vision chrétienne d’un Dieu créateur, à la fois censeur et tolérant, maniant le châtiment et le pardon à l’intention de chaque individu est peu conciliable avec la cosmologie mystique chinoise d’un monde incréé, en perpétuel changement, ordonné par une énergie vitale sans forme qui résiste à toute représentation concrète.

Et rien n’empêchera les plus nationalistes des élites politiques héritières du Taoïsme, de Confucius et des Han de considérer les convertis à une religion chrétienne comme des « traîtres » à la culture traditionnelle chinoise.

Dans ce contexte, les questions de fond concrètes restent en effet en suspens, parmi lesquelles celle de la nomination des évêques par le Pape, avec son corollaire politiquement très sensible de la liberté d’organisation des Catholiques en Chine, ou encore celui des rapports entre l’église patriotique et l’église d’obédience romaine.

Pour l’heure, en dépit du fossé culturel et tandis que quelques dizaines de Chinois qui avaient l’intention de se rendre à Séoul reçurent des mises en garde des autorités (Reuter du 14 août), le Vatican et Pékin se sont adressés des signes de bonne volonté.

Alors que, lors des voyages de Jean-Paul II en Asie (Philippines 1995 et Inde 1999) l’avion pontifical n’avait pas reçu l’autorisation de survoler la Chine, cette fois l’interdiction fut levée. Conformément au protocole diplomatique du Vatican, le Pape adressa durant le survol un message de courtoisie, de bénédiction et de paix au Président Xi Jinping.

Tout en expliquant qu’il n’avait pas reçu le message - « problème technique » a précisé le Vatican - , le Bureau Politique a confirmé par la voix du porte parole sa disponibilité à négocier avec Rome : « La Chine a toujours sincèrement souhaité l’amélioration des relations avec le Vatican et est prête à engager un dialogue constructif ».

Quant au Saint-Siège, il rappelle que les négociations ne devraient comporter aucun préalable, ni sur la liberté d’organisation pastorale du culte et des communautés religieuses, ni sur les relations avec Taïwan.


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