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›› Editorial

Limites et risques politiques de la guerre contre les féodalités

Le 12 juillet au soir le Quotidien du Peuple annonçait l’arrestation de Rui Chenggang présentateur vedette de la chaîne économique de CCTV.

Attaque inhabituelle d’une banque publique par un média d’État.

Il y a dix jours un événement à la fois insolite et rare a agité le paysage politique chinois. Le 9 juillet dernier, CCTV la chaîne nationale de télévision a publiquement accusé de blanchiment d’argent la Bank of China, dont le Président du Conseil d’administration est Tian Guoli nommé en 2013, ancien PDG du très puissant CITIC Group et proche de Wang Qishan, président de la Commission Centrale de Discipline, acteur principal de la lutte tous azimuts contre la corruption de la haute administration.

Alors que pour le Chinois moyen les transferts d’argent à l’étranger sont limités à 50 000 $ par an dans le cadre d’un très strict contrôle des changes, le reportage expliquait que la banque offrait à des clients privilégiés des services d’exportation de capitaux en utilisant les facilités offertes par le programme pilote Youhuitong 优惠通 destiné à promouvoir les investissements hors de Chine.

Le 13 juillet, le South China Morning Post publiait un article révélant que d’autres grandes institutions financières chinoises comme la CITIC Bank et la China Construction Bank offraient des services similaires. Selon des sources proches des milieux industriels restées anonymes, la succursale de Canton de la Banque Centrale aurait elle-même désigné ces trois banques publiques (CTIC, BOC et China Construction Bank) pour expérimenter un programme d’investissements destiné à gérer les réserves de change du pays dont le montent s’élève à près de 4000 Mds de $. Après le reportage de CCTV, l’action de la BanK of China à Hong Kong a chuté de 3,5%.

Démenti public et blocage de l’information. CCTV sur la sellette.

Bank of China qui récuse les termes de « finances grises et de blanchiment » utilisés dans le reportage, a immédiatement démenti les accusations de CCTV et affirmé que le programme Youhuitong qui avait reçu l’approbation des autorités centrales, suivait des procédures transparentes vérifiant la provenance et la destination des capitaux. Mais curieusement, la mise au point de la banque a très vite disparu de son site en ligne, tout comme le reportage de la télévision centrale qui la mettait en cause a été effacé du site de la chaîne.

Cependant, alors que les incidents ont suscité nombre de commentaires sur les réseaux sociaux suspectant en substance et malgré les démentis que des privilégiés du régime avaient profité en toute légalité et à des fins personnelles d’un programme officiel d’exportation de capitaux, tandis que d’autres messages renvoyaient dos à dos ces deux piliers du pouvoir politique chinois, l’affaire a révélé des dessous inattendus lui donnant toutes les apparences d’un règlement de comptes au sein de l’appareil. Depuis juin en effet plusieurs personnels de la chaîne finance de CCTV-2 suspectés de corruption étaient en examen, dont le Directeur général Guo Zhengxi, et deux producteurs d’une émission d’économie Wang Shijie et Tian Liwu.

La tension est encore montée quand, le 12 juillet au soir, 3 jours après l’émission mettant en cause la Bank of China, le Quotidien du Peuple annonçait sur son compte social que Rui Chenggang l’animateur à la fois populaire et controversé pour son culot et son arrogance, de Biz China, une émission vedette de la télévision d’État, était depuis la veille détenu par la police sans précision sur les raisons de son arrestation.

Peu après le groupe Edelman, géant mondial des relations publiques révélait que Rui détenait des parts dans son capital depuis le moment où le groupe avait travaillé pour CCTV. Selon un site shanghaïen qui citait des sources de CCTV, Rui aurait monté une société parallèle de relations publiques où il utilisait son influence dans les médias pour des affaires privées. Il aurait également été rémunéré par ses clients en fonction de la durée des interviews.

Une longue série d’interrogations.

Pour l’instant la communication officielle du régime sur ces affaires s’est arrêtée après que les informations sur les sites de CCTV et de la Bank of China aient été effacées. Désormais elle se résume à un communiqué lapidaire de la Banque Centrale précisant que les investigations étaient en cours sur les accusations d’évasions illégales de capitaux par le truchement des banques incriminées. Mais les interrogations demeurent.

La chaîne d’État chinoise a t-elle dénoncé la Bank of China pour riposter aux enquêtes qui visent une demi douzaine de ses personnels dont le n°1 de CCTV-2, Guo Zhengci ? Compte tenu que l’accusation publique d’une grande institution est une initiative aussi grave que rarissime, l’émission qui mettait en cause une des 5 banques d’État a t-elle reçue l’aval unanime de la direction du régime ? Wang Qishan et la Commission de discipline poursuivra t-il la mise en cause d’une institution dont le Président du Conseil d’Administration est un de plus ses proches alliés ? Et, enfin, après avoir ciblé pour corruption une longue série de personnes par une campagne sans précédent, l’appareil a t-il décidé de s’attaquer directement aux institutions bancaires piliers du régime sur le thème de l’évasion de capitaux ?

Le risque d’ébranler le Parti.

Le surgissement dans le paysage de la lutte anti-corruption de deux institutions du régime engagées dans un bras de fer avec peut-être un enchevêtrement d’allégeance où l’on voit que le président d’une des plus grandes banques publiques mises en cause est un proche allié de la puissante Commission de Discipline, trace les limites de la lutte anti-corruption.

Alors que surgissent des signes de dérapage vers des règlements de compte comme ce fut souvent le cas dans le passé, l’offensive anti-corruption déclenchée par Xi Jinping et Wang Qishan prendrait en s’attaquant de front aux piliers des féodalités financières du régime, le risque de secouer les fondations mêmes de l’appareil auxquelles la plupart des hauts dirigeants du régime sont attachés.

Les inconvénients d’une justice moralisatrice et politique.

Les dangers d’une dérive vers des vendettas qui cibleraient les accusés comme les accusateurs sont d’autant plus grands que l’appareil se démarque du Droit. Se référant uniquement à la vieille exigence morale de vertu, dans le cadre d’une vision culturelle et politique de la justice enfermée dans le dogme de la prévalence absolue du Parti, la stratégie de nettoyage présente la très grande vulnérabilité que les procureurs eux-mêmes, empêtrés dans la longue histoire enchevêtrée des affaires et de la politique, sont très loin de pouvoir se prévaloir d’une parfaite exemplarité.


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