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›› Chronique

La modernisation de l’APL : progrès, obstacles et inquiétudes

le 31 mars dernier, la Chine a publié son 7e Livre Blanc sur la Défense depuis 1998. Le document, dont la tonalité est résolument rassurante, insiste sur la nature défensive de l’outil militaire et sur la doctrine de non emploi en premier de l’arme nucléaire.

Il mentionne aussi les contributions de la Chine aux opérations de maintien de la paix (17 390 casques bleus chinois depuis 1992, 1er pays contributeur - essentiellement dans les secteurs de la construction d’infrastructures, des transports et de l’aide sanitaire -), et la participation, depuis décembre 2008, à l’opération anti-pirates dans le golfe d’Aden, première contribution d’une force navale chinoise à un engagement de combat international.

Par-dessus tout - et c’est une première dans ce type de document - le Livre Blanc, qui explique que l’APL s’est mise en mesure de « contrer les forces séparatistes », mais ne dit mot du millier de missiles déployés en face de Taïwan, suggère des mesures de confiance et des échanges militaires entre les deux rives du Détroit, une proposition pour l’instant accueillie assez froidement par la classe politique de l’Ile.

Enfin, le texte explique que l’augmentation constante et substantielle du budget de la défense, affiché à 91,5 Mds de $, mais estimé à plus de 130 Mds de $ par le Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI) - soit un triplement en 10 ans, représentant l’équivalent des dépenses de défense réunies de la France, du Japon et du Royaume Uni -, constitue d’abord un rattrapage de la période des années 80 et 90 où elles avaient été négligées. Il est vrai que, rapporté à chaque soldat, le budget, même majoré, ne représente que 80 000 $ annuels, contre près de 500 000 $ aux Etats-Unis.

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La modernisation et le dilemme taïwanais.

Il reste qu’il est indéniable que l’APL a connu de considérables transformations qualitatives qui la rapprochent petit à petit des critères des forces armées modernes. Même si la route vers la parité avec l’armée des Etats-Unis, incontestablement une référence pour les militaires chinois, est encore longue, les progrès depuis le 15e Congrès qui décida de l’urgence de la modernisation, sont palpables.

Vue sous l’angle des effectifs (APL : 1,6 millions + Réserves : 500 000, Police Armée Populaire : 1,3 Millions), des équipements (2000 avions de combat, 8000 chars, 75 bâtiments de surface, 60 sous-marins, 90 missiles équipés de têtes nucléaires) et du budget, l’Armée Populaire de Libération est aujourd’hui la 2e armée du monde.

Ses points forts sont d’abord un extraordinaire arsenal de missiles de tous types et de toutes portées qui vont des missiles nucléaires stratégiques intercontinentaux de la série Dong Feng 31, à carburant solide d’une portée de 12 000 km, aux missiles balistiques antinavire à guidage terminal d’une portée de 1500 km (en cours de mise au point, dont l’APL a fait la publicité au dernier salon de Zhuhai ), en passant par les missiles antinavires supersoniques, les missiles de croisière et les missiles sol-air dérivés des panoplies russes des séries SA-10 et SA-20, également dotés d’une capacité antimissiles.

A quoi s’ajoute la modernisation lente et constante de la marine et de l’armée de l’air, dont environ 25% des équipements - 500 avions de combat, 20 bâtiments de surface et une dizaine de sous-marins - peuvent en théorie rivaliser avec les matériels américains les plus modernes.

Si on complète cet arsenal dernier cri ou presque, par la soixantaine de nouveaux catamarans rapides de la classe Houbei, équipés chacun de 8 missiles de croisière antinavires de la série YJ, et par les nouveaux moyens satellitaires d’observation, d’acquisition et de navigation en cours de mise au point, on constate que Pékin est en train de mettre en place un ensemble défensif assez cohérent.

Ce dernier serait en effet capable d’interdire le théâtre de Taïwan et ses approches à la marine des Etats-Unis, ou, à tout le moins, obligerait le Pentagone à prendre des risques pour tenir ses engagements de soutien à l’Ile en cas de conflit dans le Détroit.

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Mer de Chine et lignes de communication.

S’il est indéniable que le théâtre taïwanais constitue aujourd’hui la priorité structurante de la défense chinoise moderne, il est non moins vrai que l’APL entend aussi se donner les moyens d’une présence plus efficace en Mer de Chine et d’une meilleure protection de ses lignes de communication vers les zones d’approvisionnement en hydrocarbures d’Afrique et du Moyen Orient, qui, en 2015, fourniront à la Chine les 2/3 de sa consommation de pétrole.

Le besoin d’une capacité accrue en Mer de Chine s’est fait sentir tout au long de l’année 2010, au fil des tensions autour de la péninsule coréenne et des échauffourées navales avec le Japon et le Vietnam, sur fond de controverses à propos de la liberté de navigation.

Les tensions ont surgi autour des îlots contestés ou à proximité des gisements d’hydrocarbures et des zones de pêche, objets de querelles récurrentes, dont chacune pourrait dégénérer en incident militaire plus grave. De nouveaux incidents sont d’autant plus probables que les marines japonaise et américaine n’entendent pas réduire leurs activités sur ce théâtre.

Le talon d’Achille que représente la vulnérabilité des lignes de communication est un des moteurs des projets de construction de porte-avions, qui, au sein de l’APL, s’accompagnent de débats récurrents sur la nécessité de points d’appui hors de Chine, rendus nécessaires, selon certains, par l’augmentation des engagements chinois à l’extérieur.

La modernisation de l’APL se développe dans ce contexte international, que le Livre Blanc décrit comme plus « complexe », parsemé de zones de crises et « tendu autour de sévères compétitions stratégiques », et marqué non seulement par le retour des courses aux armements, y compris dans l’espace, mais également par l’augmentation des tensions en Asie et « le resserrement des alliances américaines avec le Japon et la Corée du Sud ».

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Des efforts éclectiques et de nombreuses lacunes.

Les priorités vont d’abord au durcissement des forces nucléaires, à la précision des missiles et à l’espace, clé de la surveillance, de la navigation et des communications, dont les projets - satellites de communication et d’observation, exploration de la lune, station spatiale, système de navigation - sont tous contrôlés par l’armée.

Le rattrapage concerne également l’armée de l’air (furtivité, motorisation, avionique) et la marine (sous marins, destroyers multi rôles, porte avions), avec un effort pour mettre au point un avion de combat « navalisé à partir d’un SU 33 acheté à l’Ukraine » destiné aux futurs porte avions, attendus pour 2020 par la plupart des experts.

Mais la marche vers les hautes technologies et les meilleures performances des équipements rencontre des obstacles dans les domaines de la propulsion aéronautique, de l’avionique, des systèmes awacs, de la furtivité des sous marins, des caméras infra rouge, de la navigation des missiles de croisière, des matériaux composites, des micro-processeurs et de la capacité d’emport des missiles (le dernier né des lanceurs spatiaux chinois, la fusée Longue Marche 5, attendue pour 2017, n’aura qu’une capacité d’emport de 25 tonnes, à comparer aux 120 tonnes des fusées Saturne).

Dans ce contexte de quête technologique devenue essentielle, la restructuration des industries de défense, leur ouverture vers les applications duales et les coopérations internationales sont les moyens privilégiés de la captation de technologies et des transferts de savoir-faire dans les domaines de l’espace, des constructions navales, de l’aéronautique et de l’électronique. Ils viennent en complément des efforts chinois de R&D.

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Ouverture, formation des hommes et rénovation conceptuelle.

Enfin, depuis une dizaine d’années, l’APL sortie des ses casernes et du territoire chinois, compare ses capacités à celles de ses voisins (Russie et pays d’Asie Centrale), au cours de manœuvres en Chine, en Russie et dans plusieurs pays d’Asie Centrale, dans le cadre de l’Organisation de Coopération de Shanghai.

Cette ouverture nouvelle qui s’ajoute à la participation navale aux opérations en Mer d’Arabie, s’est accompagnée de réformes de la structure des forces et d’une nette amélioration du recrutement, de la formation et de l’entraînement des officiers et des sous-officiers.

Le tout sur fond d’ajustement des doctrines de combat, adaptées aux nouvelles situations et aux équipements modernes, avec la mise en œuvre du concept « d’opérations combinées » entre les 3 armées, insistant sur un engagement hors des limites de la Chine territoriale, tandis que les mentalités évoluaient de la notion de guerre de masse vers celle, plus moderne, de concentration des forces et de puissance de feu, mettant l’accent sur la mobilité et la maîtrise des technologies modernes, dans le cadre d’un « conflit de haute intensité ».

La description des progrès techniques, opérationnels et humains de l’APL dessinent les contours de forces armées plus crédibles, capables de participer à des missions navales opérationnelles à des distances importantes des bases chinoises, de gêner les mouvements des bâtiments de combat américains et japonaises en Mer de Chine, notamment grâce aux progrès de ses moyens d’observation, et enfin de contrarier l’appui que l’US Navy pourrait apporter aux forces taïwanaises en cas de conflit dans le Détroit.

Toutefois, s’il est vrai que des incidents graves sont possibles, comme celui survenu en avril 2001 entre un EP3 américain et un chasseur J8, l’éventualité d’un affrontement direct de haute intensité entre forces armées chinoises et américaines, comme certains l’envisagent, est assez peu probable à court et moyen termes.

Les lacunes chinoises en matière de combat aéronaval et d’opérations combinées, ainsi que l’important écart de moyens, interdiraient en effet à l’armée de l’air chinoise de conquérir l’indispensable supériorité aérienne dans le Détroit.

Il reste que la montée en puissance de l’APL sur fond de revendications territoriales exorbitantes en Mer de Chine, induit presque mécaniquement le raidissement des pays riverains - Vietnam, Philippines, Indonésie, Singapour - et un resserrement des alliances militaires autour des Etats-Unis, dans un contexte où les inquiétudes sur la situation en Corée du Nord ne sont pas levées.

Les interrogations sur les intentions réelles de la Chine, ne feront que croître quand l’APL mettra en service son premier porte avions, qui confirmera les craintes d’une rupture des équilibres anciens.

Non pas tant du fait de l’accroissement significatif des capacités chinoises, mais à cause du symbole de puissance que ce système d’armes exprime, dans un contexte où beaucoup s’inquiètent des prétentions hégémoniques de Pékin en Mer de Chine et des menaces de représailles contre Taïwan en cas de dérive vers l’indépendance.

 

 

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