Your browser does not support JavaScript!

Repérer l'essentiel de l'information • Chercher le sens de l'événement • Comprendre l'évolution de la Chine

›› Chronique

Chine-Allemagne : une coopération scientifique revue et encadrée

Henri Clairin qui explore ici l’état des relations en matière de recherche scientifique entre l’Allemagne et la Chine, a le mérite d’identifier la chronologie précise d’un raidissement allemand dont QC analyse le cheminement depuis 2012.

La note d’alerte du ministère allemand de l’éducation datant de 2015, précède d’une année celle du 24 juin 2016 adressée au Parlement européen par la Commission et la Haute Représentante pour les Affaires étrangères de l’UE. Elle appelait à la cohésion des États membres face à la Chine afin, disait-elle « de mieux promouvoir les intérêts de l’Europe et de ses citoyens. ». Lire : La Chine, l’Europe, l’Allemagne et la France.

Le sujet d’une fermeture des échanges entre chercheurs reste cependant complexe, marqué par la propension des scientifiques non seulement occidentaux, mais également chinois – il est vrai aujourd’hui politiquement contraints par le nationalisme souverain de l’appareil -, à communiquer librement leurs travaux par leurs publications.

Il reste que l’esprit de défiance anti-chinois s’est, quoi qu’en disent les discours officiels européens, emparé des exécutifs de l’Union qui, pour la plupart, réagissent aujourd’hui en symbiose avec la Maison Blanche. La dernière controverse en date touche au raidissement européen contre les subventions accordées par la Chine à ses constructeurs de véhicules électriques. Lire : L’offensive des véhicules électriques chinois.

Il faut enfin rappeler que le discours chinois qui spécule sur l’intention américaine de « freiner la montée en puissance de la Chine » qui n’est pas faux, manque cependant une partie de l’image.

Les embargos infligés par Washington en octobre 2022 (lire : « Micro-puces » et droit de propriété. La violente riposte américaine contre la Chine et ses contrefeux) et le 10 août 2023, interdisant les investissements en capital-risque et coentreprises dans les secteurs de hautes technologies, « pouvant appuyer la modernisation militaire de la Chine et menacer la sécurité des États-Unis » furent aussi une réaction au viol par la Chine de la propriété intellectuelle, notamment dans le secteur des microprocesseurs dont le pionnier est l’Américain INTEL.

Pour mémoire, la finesse de gravure des circuits intégrés par INTEL est passée de 10 000 nanomètres en 1971 à 7 en 2023, avec des perspectives immédiates à 2 nanomètres en 2024.

Enfin le sujet renvoie aussi à l’efficacité aléatoire d’une stratégie de sanctions et de fermeture dont l’un des premiers effets est d’attiser les réactions de riposte et de rattrapage par la Chine. Lire à ce sujet l’article de Jean-Paul Yacine du 20 décembre 2022. Il montre qu’au mieux, les embargos n’ont que l’efficacité d’une manœuvre retardatrice : « Micro-puces » et droit de propriété. La violente riposte américaine contre la Chine et ses contrefeux.

La rédaction.

*

Aucun pays ne communique véritablement sur le sujet. Officiellement, le déni est même de rigueur, c’est « business as usual » en matière de coopération scientifique avec la Chine.

Ce n’est plus l’avis des chercheurs eux-mêmes. Sur ce sujet, la plupart se sont ralliés à la défiance américaine documentée par notre article du 31 janvier 2021 : Avis de rupture du monde de la high-tech.

Concrètement, depuis plusieurs années tous les pays de l’UE restreignent les échanges de recherche avec Pékin, chacun à sa manière, en fonction de l’organisation de la recherche dans leur pays. D’où la difficulté de comparer le degré des restrictions appliquées. Toutes vont pourtant dans le même sens d’une réduction et de plus contrôle.

Le cas de l’Allemagne est intéressant. Poids lourd après la Grande-Bretagne, de la coopération scientifique avec Pékin, c’est elle qui produit le plus de connaissances scientifiques avec la Chine et qui accueille le plus grand nombre de doctorants chinois dans ses laboratoires (5 000 environ). Au prix d’une volte-face douloureuse qui prend le risque d’affaiblir encore ses positions commerciales en Chine en recul depuis 2020, comme les autres, Berlin freine ses échanges scientifiques avec Pékin.

Stratégie de coordination des acteurs.

Le point de départ d’un véritable changement des relations de recherche entre Pékin et Berlin remonte à la sortie en 2015 d’un document d’orientation [1] émis par le ministère fédéral de l’éducation [2].

Ce dernier y souligne la nécessité d’une reforme en profondeur des pratiques et modalités de coopération, afin qu’elles soient plus proches des intérêts de l’Allemagne, plaidant notamment pour des échanges sur des thèmes plus dans l’intérêt de République fédérale, plus organisés, moins naïfs, avec un pilotage étatique et exigeant une meilleure réciprocité de la part de la recherche chinoise.

Autre recommandation stratégique, la création d’une filière de formation de stagiaires allemands dans les grandes universités chinoises, afin de constituer un corps d’experts ou de scientifiques sinophones de haut niveau dans les secteurs porteurs (transport, chimie, génie industriel …).

L’objectif affiché est de disposer de ressources humaines nationales familières de la Chine (et de ses élites) pour y mener des projets conjoints, dans de meilleures conditions, tant dans la recherche appliquée que fondamentale.

D’un point de vue fonctionnel, le BMBF (cf. la note nº1) reproche à l’Auswärtiges Amt (MAE allemand), qui a longtemps conduit les négociations bilatérales scientifiques, de s’être laissé entraîner par la Chine vers des thèmes et des contenus dont les Allemands ne voulaient pas, touchant notamment à des domaines d’excellence que Berlin cherchaient à protéger de la concurrence chinoise, par exemple en matière de robotique et de recherche industrielle appliquée (cf. l’affaire du fabricant de robots KUKA : La nouvelle agressivité des groupes chinois à l’international mise en perspective.)

Jusqu’à cette date, pour simplifier, les échanges scientifiques et universitaires suivaient en effet la progression des échanges économiques. Et des budgets importants étaient alors consacrés à la coopération scientifique avec la Chine par les universités et les organisations de recherche (DFG, Institut Max Planck, DLR Deutsches Zentrum für Luft- und Raumfahrt, l’agence spatiale allemande -). C’est ce fonctionnement quasiment sans contrôle, sans conditionnalité ni contrepartie que le BMBF a remis en cause.

L’ajustement de principe a été accéléré et durci par plusieurs affaires qui modifièrent la base même de donne de la collaboration scientifique bilatérale.

La mise à l’arrêt du centre sino-allemand de Pékin.

C’est la « Deutsche Forschungsgemeinschaft – DGF - » principale agence de financement de la recherche allemande au budget de 4 milliards d’euro, soit 4 fois celui de son homologue française, qui a joué un rôle important dans la montée en puissance des échanges bilatéraux.

La DGF fut pionnière en cofinançant en 1998, à la demande des Chinois, la construction d’un corps de bâtiment dans l’enceinte du nouveau siège à Pékin de son homologue chinoise, la NSFC - Fondation chinoise pour les sciences naturelles - 国家自然科学基金委员 - [3], l’objectif étant d’y installer un centre d’échanges [4] d’un genre nouveau.

L’entreprise conjointe, à forte visibilité politique dans les deux pays, a assez bien fonctionné jusqu’en 2019, faisant même de la DFG l’organisme de recherche européen ayant développé la coopération la plus aboutie avec la Chine : équipe sino-allemande gérant des programmes, conférences conjointes, événements scientifiques, hébergement de chercheurs, etc.

Mais en 2022-2023, le centre est mis à l’arrêt. Sous prétexte de restrictions liées au COVID, la NSFC n’a plus souhaité la présence de personnels allemands, a fortiori de chercheurs de passage. Dans la pratique, on le sait, les Chinois manœuvraient pour bouter hors des centres sensibles, un partenaire devenu inutile.

En réalité, une très longue suite d’avanies et de tracas, de retours en arrière et d’engagements non tenus par la NSFC ont conduit la DFG à Pékin à se retirer. Aux yeux de la partie allemande, les conditions de fonctionnement du centre n’étaient tout simplement plus réunies. Sans être une surprise [5], le revers a néanmoins provoqué en Allemagne un sentiment de consternation qui eut un effet direct sur le futur des relations scientifiques bilatérales dont la nature a radicalement changé.

Une autre affaire a également joué un rôle important dans le changement de politique allemande, c’est celle du chercheur PAN Jianwei [6] qui a bénéficié d’importants crédits de recherche allemands et européens pour des projets quantiques à l’Université de Heidelberg entre 2003 et 2013 (lire : La Chine à la pointe de la physique quantique ?).

L’affaire PAN Jianwei et ses conséquences.

Cas d’école pour les services de sécurité, l’affaire qui s’est prolongée sur une vingtaine d’années, recèle des similitudes avec le centre de biosécurité P4 de Wuhan conçu par les Français. Au retour en Chine de Pan Jianwei, on découvrira en effet que ses travaux en Allemagne avaient permis la mise au point de technologies militaires de pointe ainsi que la création d’une entreprise issue de ses recherches pour la surveillance des populations, dont les Ouïghours.

Alors que la presse allemande qui s’empara du cas, alimentait un scandale au point que l’UE modifia les procédures de participation de Pékin aux programmes européens [7], en Chine, sans surprise, PAN Jianwei devenait un héros national, modèle pour la recherche chinoise, pour le Président XI Jinping et tous les dignitaires militaires chinois.

Aujourd’hui, tous les organismes de recherche et instituts allemands doivent se référer à un document interne détaillant les procédures de contrôle des échanges avec la Chine. Mais, sauf s’il s’agit d’intérêts de sécurité nationale contrôlée par le Bundesnachrichtendienst (BND – équivalent du FBI américain ou de la DGSI française -) comme ce fut le cas de l’affaire Pan Jianwei, leur teneur peut varier en fonction des régions.

La Fraunhofer Gesellschaft, Institut qui porte le nom du physicien Fraunhofer en charge de superviser la recherche appliquée, le développement technologique industriel et la cession de technologies sur une base marchande dans tous les Länder, dispose par exemple désormais d’un memento confidentiel de stratégie et de bonnes pratiques pour tout ce qui touche aux relations avec la Chine.

Son bureau à Pékin encadre les relations avec les entreprises locales. Toutes les requêtes chinoises y compris celles concernant des visites, sont soumises à une procédure de filtrage. Le durcissement montre que les Allemands ont désormais compris la nécessité d’appliquer un traitement spécifique à leurs affaires avec la Chine.

Il faut souligner le rôle joué par la Fondation privée allemande MERICS [8] qui a largement diffusé ses travaux sur la Chine, dont une partie significative qui n’est pas publique, définit le modus operandi de la stratégie des organisations ou entreprises allemandes dans leurs relations avec la Chine.

Tout ceci témoignant d’une prise de conscience, n’est pas sans lien avec le fait que l’Allemagne soutient aujourd’hui plus fermement que par le passé les positions européennes en matière d’encadrement des échanges et d’exigences de réciprocité avec la Chine.

Note(s) :

[1« China-Strategie des BMBF 2015-2020, Strategischer Rahme für die Zusammenarbeit mit China in Forschung, Wissenschaft und Bildung – Cadre de la coopération avec la Chine dans la recherche, les sciences et l’éducation ». Le texte fournit un cadre très documenté d’actions s’appuyant sur l’identification des grands enjeux de la Chine pour l’Allemagne en matière d’éducation et de recherche. Notons que la traduction anglaise est expurgée des passages offensifs sur la Chine et des considérations interministérielles.

[2 Bundesministerium für Bildung und Forschung, ministère fédéral pour l’éducation et la recherche.

[3A l’époque, DFG avait approché le CNRS pour qu’il se joigne à cette initiative afin de constituer l’embryon d’une présence européenne scientifique à Pékin. L’affaire ne s’est pas réalisée. Plus tard, vers 2000, et sous l’impulsion du Ministre Allègre, la France a voulu créer sa propre « maison franco-chinoise de la recherche » qui n’a également pas abouti.

[4« Chinesish-Deutsches Zentrum für Wissenschaftsförderung ». Centre sino-allemand de promotion des échanges scientifiques.

[5Sur place en Chine, DFG avait depuis 2018 compris la direction prise par leur partenaire.

[7Les choses changèrent aussi suite à une vaste étude (2017-2019) démontrant les promesses chinoises non tenues de l’accord de 1998. Notamment l’absence totale de réciprocité en matière d’accès aux programmes de recherche chinois. En même temps, par son document d’orientation de mars 2019 qualifiant la Chine de « rival systémique », l’UE durcissait l’approche de sa coopération avec la Chine.

Dans ce contexte de méfiance, l’UE exige désormais plus d’ouverture et plus de réciprocité. Le parlement et le Conseil européens ont aussi donné de la voix, obligeant la Commission à moins de naïveté, comme cela a été le cas avec Huawei, présent dans plusieurs structures européennes alors qu’aucune entité des pays de l’UE en Chine n’a accès aux programmes chinois. Voir communication-eu-china-a-strategic-outlook.


• Commenter cet article

Modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Ce formulaire accepte les raccourcis SPIP [->url] {{gras}} {italique} <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

• À lire dans la même rubrique

Le grand-écart d’Olaf Scholz en Chine

Commission mixte scientifique 2024 : et après ?

Chine - France : Commission mixte scientifique 2024, vers une partie de poker menteur ?

A Hong-Kong, « Un pays deux systèmes » aux « caractéristiques chinoises. »

Pasteur Shanghai. Comment notre gloire nationale a été poussée vers la sortie