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›› Société

La démocratie directe et le défi des révoltes paysannes

Au milieu des tumultes sociaux croissants déclenchés par les épidémies de captation de terres, les dénis de justice ou les dérapages de la police, le Parti vient de mettre en œuvre une expérience de démocratie directe destinée à recueillir les doléances de la base. L’initiative encore timide confirme qu’au cœur même du système, la politique de censure des médias et de contrôle étroit de la société n’est plus jugée à la hauteur des enjeux.

Mais l’actualité des révoltes sociales montre que le Parti a encore du pain sur la planche avant d’être en mesure d’offrir une réponse satisfaisante aux attentes et aux critiques les plus pressantes et les plus mobilisatrices, dont l’ampleur et la durée augmente.

Prise de conscience et médiations.

Les 5 et 6 décembre derniers, Zhou Yongkang, membre du Comité Permanent du Bureau Politique, plus haut responsable en charge de la sécurité publique, s’est rendu en inspection à Ningbo où il a chaudement cautionné un projet destiné à mieux prendre en compte les attentes et les frustrations des citadins.

La ville, enrichie par le textile et l’électronique, a en effet ouvert des bureaux destinés à recueillir les griefs de la population sur tous les sujets allant de la gestion des ordures aux conditions de logement ou de relogement, en passant par les transports publics ou l’école. Des équipes mobiles enquêtent sur les dossiers et les médiateurs proposent des solutions pour éviter les conflits sociaux.

Lors de son passage à Ningbo, Zhou a insisté sur l’urgence d’améliorer le fonctionnement des services publics et de rester à l’écoute de la société, y compris des réactions du net. Le 10 décembre dernier, le China Daily citait en exemple la municipalité de Zhenjiang, à l’Ouest de Shanghai, dont le responsable Internet recommandait de ne plus bloquer les récriminations des internautes, et au contraire, de les étudier pour y répondre « si elles étaient justifiées ».

Même s’il est vrai que l’initiative ne va pas au cœur des plus graves sources de colère sociale, à l’origine des mouvements de protestations de grande ampleur, parfois violents, le déplacement sur le terrain de Zhou Yongkang, principal artisan de la politique de stabilité sociale par la rapidité des réactions de contrôle et de répression, signale une prise de conscience du Parti.

Ce dernier, confronté aux risques de désordres qui s’ajoutent aux effets pervers des réactions univoques et sans nuances de la police, tente d’inciter les cadres à s’impliquer plus dans la solution des problèmes de la vie courante. Il reste que l’actualité sociale de la Chine soulève des défis face auxquels ces ajustements, à la fois partiels et timides, paraissent de très insuffisants palliatifs.

Le défi des émeutes villageoises.

Les événements de Wukan, petite bourgade de 15 000 âmes bâtie sur le littoral de la province de Canton, à 150 km à l’Est de Hong Kong, entre l’autoroute qui vient de Zhuhai et la mer de Chine, sont emblématiques des contradictions qui agitent la périphérie des grandes zones urbaines aux prises avec la cupidité des développeurs agissant en connivence avec les cadres locaux et la police, dont l’obéissance aux règles du droit est encore très aléatoire.

Le cours des incidents qui durent depuis bientôt trois mois, et se sont gravement crispés depuis une semaine, où l’on voit des foules à ce point en colère que la police, craignant de graves dérapages, a évacué les lieux, montre, à l’évidence, que la nouvelle stratégie du contact sur le terrain avec la base par les cadres du Parti n’a pas encore imprégné tous les esprits et n’est pas adaptée aux conflits hors des zones urbaines.

Vidé de ses responsables politiques et des forces de l’ordre depuis le 5 décembre, le village, livré à lui-même, est en état de siège, les entrées bloquées par des barrages, l’eau et les vivres coupés, tandis que la télévision locale présente l’affaire comme une sédition de dangereux fauteurs de troubles.

Les origines de la fureur populaire, qui dure depuis le mois de septembre, sont classiques. « Country Garden », une société immobilière cotée à Hong Kong avait le projet d’acheter 55 hectares de terrains, dont la moitié était utilisée en usufruit par les fermiers du village, opposés au projet de construction d’un complexe de villas. La tension est montée à mesure que la police réprimait brutalement les manifestations et que les paysans réclamaient sans esprit de recul, la restitution de toutes les terres.

Elle a explosé lorsque, le 9 décembre, à la faveur des tumultueuses négociations avec la société, un des représentants des villageois, Xue Jinbo 42 ans, a été kidnappé par des inconnus, puis déclaré mort par la police trois jours plus tard. A Wukan, personne ne croit que Xue, dont le visage porte des ecchymoses, est décédé d’une crise cardiaque comme a tenté de le faire croire le commissariat.

Le 16 décembre, les villageois ont organisé une marche funéraire silencieuse sans la dépouille de Xue que les autorités n’ont pour l’heure pas encore rendue à la famille. Chez les autorités, tétanisées par les risques d’embrasement que provoquerait une nouvelle bavure, la crainte est grande d’attiser encore la rage des habitants dont les rassemblements bloquent chaque jour la place du village et les rues adjacentes, dominées par les centaines de calicots, sous d’incessantes harangues qui réclament la restitution des terres.

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Le Parti à l’épreuve des captations de terres.

Les yeux sont maintenant tournés vers Pékin qui craint une contagion, alors que les émeutes font l’objet de nombreux comptes-rendus des médias internationaux. Pour l’heure, les réactions semblent déployer une stratégie classique de division, encourageant les défections parmi les paysans, dont une trentaine a déjà accepté de quitter le village, et ciblant nommément les « meneurs », accusés d’incitation aux troubles.

En même temps, l’attention du pouvoir se tourne vers les cadres locaux soupçonnés d’avoir mal géré la controverse, tandis que reviennent à la surface d’autres affaires ayant impliqué la société Country Garden, dont l’actionnaire principale, Yang Huiyuan, 30 ans, éduquée aux Etats-Unis, fut désignée en 2006, par le magazine Forbes, comme la femme la plus riche de Chine, à la tête d’une fortune évaluée à 16 Mds de $, après que son père, fondateur de la société, lui ait légué ses parts.

Selon Xinhua, un autre investissement de Country Garden dans la province de l’Anhui aurait entraîné la sanction de dix cadres locaux accusés de corruption et d’utilisation illégale de terres. Le 10 août 2010, le journal Mingpao avait signalé que les actions de Country Garden avaient plongé pendant trois jours d’affilée, après que les autorités de l’Anhui aient mis fin à un projet de terrain de golf à Chaohu – 300 km à l’ouest de Shanghai -, partie d’un vaste ensemble de 1770 hectares qui violait la législation sur les projets immobiliers adoptée en avril 2010.

La quadrature du cercle.

A l’origine des captations de terres se trouvent les difficultés de financement des collectivités locales, prises entre les injonctions de l’Etat central qui leur impose la mise en œuvre de politiques publiques, et un système fiscal encore dans les limbes, très loin de pourvoir à leur besoins en liquidités.

Pour remédier à ces contradictions, les provinces ont imaginé d’autres sources de financement, dont plus de 25% reposent sur les revenus fonciers. La terre, propriété publique et laissée en usufruit aux fermiers, sert aussi de garantie pour les prêts contractés par les collectivités locales auprès d’institutions de financement parallèles, au fonctionnement très opaque. Voir à ce sujet l’excellente étude sur les dettes des provinces proposée par la Mission Economique française de Shanghai sous la signature de Romain Lafarguette et François Blanc.

Ce schéma, où l’on voit les gouvernements locaux livrés à eux-mêmes, se procurer les ressources nécessaires au financement de projets publics en utilisant, le plus souvent en conflit avec la paysannerie, les plus-values de la terre pour abonder leurs budgets, tandis qu’ils bénéficient au passage, parfois à titre personnel, des confortables bénéfices de l’immobilier, est à la fois un facteur important de la corruption des cadres locaux et le principal ferment des troubles liés au foncier en Chine.

Tant que ces contradictions ne seront pas levées, on peut craindre que les conflits de la terre, porteurs d’importants risques politiques, ne cesseront pas en dépit des sanctions appliquées au cadres locaux corrompus et malgré les répressions policières contre les paysans qui contestent, souvent avec violence, les évictions de terres dont ils sont victimes.

Plus largement ces dérèglements renvoient aux nécessaires réformes du schéma de développement qu’aujourd’hui beaucoup appellent de leurs vœux, en même temps qu’ils pressent pour une réforme politique, condition indispensable à l’élimination des blocages corporatistes.

Il s’agit de réviser de fond en comble le financement des collectivités locales toujours placées, par souci de centralisation politique, sous la tutelle financière de Pékin mais en partie privées de ressources fiscales. Depuis janvier 2011, des expériences sont en cours à Shanghai et Chongqing pour instituer les premières taxes à la propriété jamais mises en œuvre en Chine. Il reste que, comme à l’habitude, la réforme, qui heurte de nombreux intérêts dans l’oligarchie, sera lente et progressive.

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Brèves .

Baisse des tensions à Wukan.

Le 21 décembre la tension a brutalement baissé aux abords de Wukan. Les insurgés ont démonté leurs barricades de fortune et arboré une banderole souhaitant la bienvenue au N°2 de la province, Zhu Mingguo, ancien chef de la sécurité de Chongqing.

Sans donner de détails sur la situation des terres, les représentants du village ont expliqué qu’ils avaient obtenu satisfaction sur plusieurs points, dont la promesse d’une enquête avec autopsie sur la mort de Xue Jibin, et la libération de trois villageois toujours retenus par la police. L’apaisement du 21 avait été précédé par la menace d’une action répressive de la police.

Le 21 décembre le journal Global Times avait publié une interview de Chan Kin Man, directeur des études sur la société civile de l’Université Chinoise de Hong Kong. Il en ressortait que les autorités locales avaient commis deux erreurs : la première en ne reconnaissant pas la pertinence du comité villageois, déclaré illégal, alors que les représentants avaient été élus ; et la deuxième en jetant le voile sur la mort de Xue Jibin.

Selon Chan, Pékin considérait l’incident comme un test pour le gouverneur de la province de Canton, Wang Yang, candidat au Comité Permanent du Bureau Politique et connu pour ses vues libérales et antirépressives.

Chan ajoutait enfin que l’affaire mettait en évidence l’urgence pour le gouvernement central de mettre en place des lois protégeant mieux les citoyens face aux intérêts des développeurs agissant de conserve avec la bureaucratie locale. Dans l’état actuel de la législation, les villageois ne connaissent ni les lois, ni la valeur de leurs terres. La situation est encore aggravée par la trahison des chefs locaux, même élus, qui bradent les intérêts du village en échange de bénéfices personnels.

Que le Global Times, lié au Quotidien du Peuple publie une interview de ce type, indique qu’au sein du pouvoir existe un courant fortement en faveur d’un meilleur respect des lois et des droits des citoyens.

Plan anti-chômage

Le 16 décembre, le Conseil des Affaires d’Etat a réaffirmé son intention de lutter contre le chômage au cours du 12e Plan. A cet effet il espère créer 10 millions d’emplois par an, soit 10% de plus que pendant la période précédente. La priorité ira à l’emploi des jeunes diplômés qui affluent sur le marché au rythme de près de 7 millions par an, dans un contexte où les zones rurales comptent plus de 100 millions de sans emploi.

La 2e cible sont les travailleurs migrants à qui il est urgent d’offrir une possibilité de reconversion vers des métiers plus qualifiés, alors que le secteur producteur s’éloigne peu à peu du schéma à forte intensité de main d’œuvre. Zhang Yi, sociologue à l’Académie des Sciences Sociales, explique en effet que « la Chine est aujourd’hui arrivée au point où elle doit se défaire des industries à faible productivité et à forte consommation d’énergie, pour les remplacer par des industries high-tech à plus forte valeur ajoutée. Dans ce contexte, ajoute t-il, la formation continue des 250 millions de migrants est essentielle ».

Assistance légale et salaires impayés.

A l’approche des fêtes de printemps un groupe de 40 avocats a réactivé un « téléphone rouge » pour conseiller gratuitement les migrants dont les salaires n’ont pas été payés par les patrons. Le service existe depuis 2003 et fonctionne de manière plus soutenue en fin d’année.

Le problème des salaires impayés a récemment été évoqué lors d’une conférence réunissant 9 ministères à Pékin. Par le passé des mesures avaient déjà été prises pour atténuer l’effet social de ce fléau qui concerne en majorité les migrants travaillant sur les chantiers de construction des grandes villes.

En 2010, 1,55 Mds de $ avaient été débloqués pour combler les manquements des sociétés de construction. En février 2011 le Comité Permanent de l’ANP avait déjà passé 8 amendements stipulant que le non paiement des salaires était un crime passible de 7 ans de prison. Pour éviter les surprises, certaines sociétés ont même été sommées de déposer des cautions pour garantir les salaires. En 2010 la proportion des salaires impayés a baissé de 10%

Accidents de bus

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Une épidémie d’accidents de bus scolaires a eu lieu au cours des mois de novembre et décembre dans plusieurs provinces de Chine (Canton, Shanxi, Gansu, Jiangsu), tuant près de 40 élèves et en blessant une centaine d’autres.

Les accidents ont attiré l’attention des pouvoirs publics sur le bilan catastrophique de la sécurité scolaire, avec le décès par accident de plus d’1 million d’élèves chaque année, dont 74% sont des ruraux, souvent enfants de migrants, dont 50% fréquentent des jardins d’enfants.

Simultanément une étude officielle soulignait que seulement 10% des bus scolaires répondaient aux normes de sécurité. Le premier ministre vient de demander au gouvernement de mettre en place des normes nationales pour la sécurité des transports scolaires.

Huile de cuisine frelatée et coup de balai dans l’alimentaire

A la mi-novembre la police de Chongqing a démantelé un réseau de fabrication et de distribution d’huile frelatée produite à partir d’huile usagée. 84 personnes ont été arrêtées, 2000 tonnes d’huile saisie et 6 usines fermées.

Depuis le début de la campagne contre les huiles frelatées, 128 cas ont été examinés, 60 réseaux démantelés et 60 000 tonnes d’huile saisies. Selon certaines sources 10% de l’huile consommée en Chine, surtout dans les restaurants serait recyclée, posant un véritable problème de santé publique.

En novembre la police a arrêté 90 000 suspects dans le cadre de la campagne lancée en août pour améliorer la sécurité alimentaire du pays. Il s’agit d’éliminer les fabricants sans licence et ceux fabricant des produits frelatés, y compris des produits amaigrissants. La vague d’arrestation s’est appuyée sur une campagne de dénonciation par téléphone.

Dans 21 villes chinoises des associations de consommateurs ont entamé une champagne de lobbying auprès de l’ANP pour obtenir le droit d’entamer des actions en justice au nom du droit des consommateurs. (Jusqu’à présent seules actions pour défendre des cas nominatifs sont autorisées).

S’il est vrai qu’il existe déjà une jurisprudence de cas au Guangxi et pour les syndicats, ou des actions en justice ont été autorisées pour défendre l’intérêt collectif, l’adoption d’une telle loi constituerait un progrès du code civil dans un contexte où les autorités craignent que le regroupement des associations ne se retourne contre le pouvoir.

Maisons de retraite

Selon le magazine Caixin, de nombreux foyers pour personnes âgées souffrent du manque d’argent, tandis qu’il n’est pas rare que les pensionnaires soient maltraités par le personnel mal sélectionné sous payé et peu qualifié.

Alors qu’à Hong Kong les associations de charité sans but lucratif de prise en compte des personnes âgées reçoivent 70% de leur budget du gouvernement, en Chine la proportion n’est que 2%. En l’absence de règles et de critères de qualité, moins de 100 000 aides-soignants sur le 1,2 million opérant en Chine sont professionnellement qualifiés.

Assurances sociales

Le nouveau projet de loi sur l’assurance sociale rendu public le 15 novembre dernier propose 5 domaines de couverture de base : la pension de retraite, l’assurance maladie, l’assurance accident du travail, l’assurance chômage et l’assurance maternité.

Cet élargissement des couvertures entraînera un taux de cotisations pouvant atteindre 40%, parmi les plus élevés de la planète – plus qu’en Allemagne, aux Etats-Unis ou en Corée du sud -, qui pèsera à la fois sur les salaires et les entreprises. Pour l’heure, la hausse des cotisations entraîne le maquillage des salaires et des revenus des entreprises.

Selon les statistiques de 2010, dans la population des migrants, 34,8% bénéficient de l’assurance maladie, 21,3% d’une retraite et seulement 8,5% d’une assurance chômage.

 

 

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