Your browser does not support JavaScript!

Repérer l'essentiel de l'information • Chercher le sens de l'événement • Comprendre l'évolution de la Chine

 Cliquez ici pour générer le PDF de cet article :

›› Chine - monde

Sous la « tempête Trump », les illusions chinoises de la Chancelière

Les 24 et 25 mai derniers, Angela Merkel était en Chine où elle a également fait un détour par Shenzhen, pôle historique de l’expérimentation contrôlée d’ouverture politique commerciale et technologique, aujourd’hui partie vibrante avec Canton et sa rivale Hong Kong de la nouvelle grande zone d’intégration économique du sud de la Chine baptisée « Great Bay Area – GBA – en Chinois粤 港 奥 大 弯区yue gang ao da wan qu »- qui compte également Macao, Zhuhai et leurs grandes banlieues. Lire : Fast facts of the Guangdong - Hong Kong - Macau Bay Area. (document pdf).

De l’harmonie aux crispations.

En amont de la visite, le China Daily qui analysait les excellentes relations entre Berlin et Pékin, soulignait que la Chancelière en était à son 11e voyage. Preuve de la constance d’un partenariat pragmatique et concret, la fréquence était, disait le journal, l’expression du « respect et de la confiance mutuels » dans le « cadre d’une coopération gagnant-gagnant ».

Il est un fait que, écrivions-nous, dans une analyse de juin 2012, que « l’intérêt chinois pour la voiture haut de gamme et la technologie de pointe, notamment celle des machines quelles qu’elles soient – traditionnelles ou à commandes numériques -, de toutes tailles, ajouté à la vaste relance financière décidée par Pékin en 2008 qui augmenta brutalement la demande chinoise, ont dessiné cette complémentarité presque parfaite : à la quête technologique de la Chine, appuyée par sa capacité financière, répond la production allemande, réputée solide, fiable et de qualité, prête à transférer son savoir-faire en échange de parts de marché. ». Lire : Chine – Allemagne – Europe. Le grand malentendu.

Le résultat dont Berlin ne pouvait que se réjouir, était que l’Allemagne, seule en Europe et parmi les grands pays développés, avait un commerce équilibré avec la Chine alors que ses grands voisins et alliés accusaient d’importants déficits (30 Mds d’€ pour la France, 160 Mds pour l’ensemble des pays de l’UE, et 375 Mds de $ - 290 Mds d’€ - pour les États-Unis). En seulement 10 ans, entre 2000 et 2012, la valeur des exports allemands vers la Chine était multipliée par 10, tandis que l’Allemagne devenait la destination de 30% des exportations chinoises vers l’UE.

Le pragmatisme opportuniste des intérêts commerciaux partagés s’est cependant sérieusement grippé dans le courant de l’année 2016. « Chine – Allemagne, la lune de miel est finie », titrait le 16 novembre dernier un article de Klaus Larres dans The Diplomat. Historien allemand professeur de sciences politiques, expert des rapports Chine – Europe ayant enseigné la relation transatlantique aux États-Unis et en Grande Bretagne, Larres notait que Berlin, ayant pris conscience que le partenaire économique chinois est devenu un sérieux rival sur la scène internationale, avait « brutalement mis fin à sa longue relation privilégiée avec la Chine. ».

Elan commercial chinois et protectionnisme allemand.

Entre l’harmonie sino-germanique de 2012 et les aigreurs de 2016, les hommes politiques allemands furent comme partout en Europe, placés sous la pression de la crise migratoire en partie à l’origine du désaveu électoral infligé à l’automne 2016 à Angela Merkel.

Une partie de l’électorat allemand avait en effet commencé à nourrir le sentiment teinté de crainte culturelle, homothétique de celui qui porta D. Trump au pouvoir aux États-Unis, que le pays serait le perdant de la mondialisation libérale dans un contexte où, par ailleurs, les industriels chinois tiraient largement profit du libre commerce pour s’approprier des technologies ayant jusque là été l’épine dorsale du succès industriel allemand.

Telle était l’état d’esprit en Allemagne à la veille du voyage d’A. Merkel en Chine. Le 23 mai la Frankfurter Allgemeine Zeitung commentait en première page une photo d’archives de Xi Jinping marchant aux côtés de la Chancelière en soulignant que la « Chine imposait d’importantes restrictions commerciales quand les industriels chinois faisaient librement leur marché en Allemagne. »

Logiquement l’article anticipait que le dialogue entre les deux ne seraient pas « harmonieux » alors qu’en juillet dernier le Bundestag a adopté de nouvelles règles augmentant les pouvoirs de l’exécutif pour fermer la porte aux investissements étrangers.

Le 25 mai, alors même qu’Angela Merkel n’avait pas encore quitté la Chine, Peter Köhler écrivait dans le Handelsblatt le quotidien économique de Düsseldorf proche de la bourse de New-York et du Wall Street Journal, que les Chinois, tenus à distance des États-Unis par le protectionnisme de Washington (en 2017 les opérations chinoises aux États-Unis se sont effondrées de 80% de 50 à 10 Mds de $), avaient augmenté leurs investissements Allemagne.

En 2017, même si, selon Ernest & Young (E&Y), les fusions acquisitions avaient baissé de 21% avec seulement 54 rachats sur les 247 opérations en Europe où les F&A chinoises étaient également en baisse de 20%, le total des capitaux chinois injectés dans l’économie allemande avait néanmoins atteint le record de 11 Mds d’€ - 13,7 Mds de $ -.

La plus grosse opération en 2017 ayant été la vente pour la somme de 6,7 Mds de $ au holding financier du milliardaire hongkongais Li Kashing, d’ISTA International (détecteurs de fumée, équipements de mesures et « compteurs connecté intelligents » des réseaux de distribution d’énergie, gestion des installations de chauffage) multinationale de Mannheim employant 5400 agents et ayant engrangé 850 million d’€ de revenus en 2017.

L’article du Handelsblatt arrivait au milieu d’une controverse politique sur les offres d’achat renouvelées en mars et à la fin mai 2018 de 20% des parts de l’opérateur d’électricité 50Hertz par le géant China Grid déjà investi au Portugal, en Italie et en Grèce.

Au même moment, le ministre de l’économie qui venait d’autoriser après audit la reprise pour 118 millions de $ de 75% du capital de l’équipementier aéronautique COTESA par Advanced Technology & Materials (AT&M) 安泰 科技, envisageait de bloquer un investissement chinois dans le groupe LEIFELD utilisant des techniques de mise en forme de matériaux en titane pour fabriquer des équipements spécialisés (conteneurs spéciaux, réservoirs d’hydrogène, boîtiers de turbines d’éoliennes, séparateurs).

Pour autant, après la visite de Merkel qui, à l’évidence, s’est - en apparence du moins -, bien mieux déroulée que ne le prévoyaient les pessimistes qui anticipaient de fortes crispations autour des questions de réciprocité commerciale, le ton des commentaires avait changé. Déjà le 24 mai, la FAZ ajustait son analyse, ouvrant l’angle de vue de la stricte vision commerciale aux rapports de forces géopolitiques.

++++

La carte sauvage de Trump.

Prenant conscience de la force des enjeux – 186 Mds d’€ d’échanges en 2017 dont 86 Mds d’€ d’exportations allemandes vers la Chine -, l’article commençait par le constat réaliste que la visite dépassait le cadre strictement commercial, Angela Merkel, dont la rencontre avec D. Trump s’était plutôt mal passée, étant confrontée, dit la FAZ, à « l’homme le plus puissant de l’Empire du Milieu », sous la pression des provocations de Washington.

Alors que le président américain articulait sa stratégie à des sanctions tarifaires, notait encore la FAZ, Berlin et Pékin avaient, selon A.Merkel, la volonté d’approfondir encore leur coopération définie lors du G.20 à Hangzhou, tandis que Xi Jinping, ignorant les crispations commerciales expliquait que les « relations entre Berlin et Pékin n’avaient jamais été aussi vastes et riches, ouvrant de prometteuses perspectives d’avenir ».

La Chancelière était plus circonspecte. Mais ayant en tête l’échéance des consultations politiques entre les deux gouvernements début juillet, et consciente des changements rapides de la situation globale, à la fois dans les domaines stratégique, technologiques et commerciaux, elle a exhorté les deux parties à ne pas « se reposer sur leurs acquis » et à consentir des efforts « intensifs », pour « sans repos » s’adapter aux évolutions en cours.

Au-dessus de ce discours planait la « carte sauvage » de Donald Trump et le souvenir pénible de son récent voyage à Washington où furent abordées les questions des surplus commerciaux allemands, celle des taxes américaines sur l’acier et l’aluminium européens, la salve faisant surgir le risque que la situation ne dérape vers une guerre commerciale tous azimuts.

A la rédaction de cette note, ses prémisses pointaient déjà leur nez , avec l’entrée en vigueur le 1er juin des taxes américaines et les perspectives de ripostes européennes annoncées par la Commission à Bruxelles, Berlin et Paris qui, tous trois, soulignèrent que Washington bafouait les règles de l’OMC. Le Président français ayant ajouté que la décision de la Maison Blanche pourrait fermer la porte à d’autres dialogues.

Le trompe-l’œil d’une alliance chinoise.

Critiqué par la Présidente du FMI Christine Lagarde et Susan Danger, présidente de la chambre de commerce américaine en Europe, le craquement commercial d’ampleur tectonique initié par D. Trump ciblant indifféremment, la Chine, le Mexique, le Brésil, l’Argentine et ses alliés japonais, australiens, européens et canadiens, était l’objet d’un éditorial du Global Times le 25 mai, qui en contrepoint de la brutalité du Président Américain exhortait l’Allemagne à « transcender les barrières idéologiques et géopolitiques » et à se rapprocher de la Chine.

Après le choc provoqué par le déménagement de l’Ambassade américaine à Jérusalem, ces nouvelles lignes géopolitiques, disait l’article, pouvaient asseoir les bases d’une riposte conjointe à Washington après son retrait de l’accord nucléaire iranien et son agressivité commerciale.

Mais, enfonçant un coin dans deux constructions devenues fragiles, celle la solidarité européenne dont la vulnérabilité est connue, et celle de la connivence culturelle transatlantique déjà fortement mise à mal par D. Trump, l’auteur relevait la contradiction d’Angela Merkel cherchant l’appui de Pékin pour sauvegarder le libre commerce et le multilatéralisme, mais se réjouissant des pressions exercées par Washington sur la Chine à propos de la propriété intellectuelle ou de l’accès au marché chinois.

La fin de l’article renvoyait à la conception du régime puissamment nationaliste des « caractéristiques chinoises » où le droit s’efface devant la prévalence culturelle. Exhortant Berlin à oublier « les règles occidentales » de protection de la propriété intellectuelle ou celles de l’OMC articulées au respect par tous du libre marché, il suggérait qu’en échange de l’appui chinois contre la brutalité de Trump, l’Allemagne abandonnât ses méfiances à l’égard de ce que l’auteur appelle les « valeurs chinoises ».

En réalité, celles-ci sont une règle du jeu taillée sur mesure, autorisant Pékin, au nom de ses intérêts, à transgresser les règles de la réciprocité de l’ouverture au marché et celles de la sauvegarde de l’innovation, résultat des travaux de recherche fondamentale et appliquée des scientifiques et ingénieurs qu’ils soient étrangers ou chinois.

Tel était le sens véritable des trois dernières lignes de l’article, assimilant les différences culturelles au rideau de fer de l’après-guerre : « les liens entre la Chine et l’Allemagne doivent transcender les barrières idéologiques et géopolitiques. Les “valeurs occidentales“ ne doivent plus être le plafond de verre des relations sino-allemandes et la coopération entre les deux doit s’affranchir de la mentalité de guerre froide ».

*

Autrement dit et pour poser les choses plus crûment, si l’Allemagne souhaitait préserver ses parts de marché en Chine, elle devrait se désolidariser de ceux qui harcèlent Pékin sur le droit de propriété et son ouverture au marché.

Nous voilà face aux premières conséquences de l’égoïsme commercial de l’Amérique où, à la faveur du tumulte déclenché par Trump, le régime de Pékin, bardé de ses « caractéristiques chinoises », accentue son travail de sape contre l’architecture articulée au droit mis en place par Washington et les Occidentaux après la guerre.

Les bouleversements se déroulant sous nos yeux suggèrent plusieurs questionnements. Le temps du droit international piétiné par les puissants est-il révolu ? Le monde entre t-il dans une phase où la puissance et la force prendront universellement le pas sur la loi et le dialogue ?

En corollaire, il apparaît clairement que l’Europe, cessant de se chercher un mentor et de se poser en arbitre universel de la morale et de la bonne « gouvernance », doit sous peine de disparaître repenser son identité autour des Nations, seul concept capable de rassurer ses peuples et commencer sérieusement à définir par elle-même les conditions de sa sécurité et celles de la défense de ses intérêts directs qu’à l’évidence personne, ni Washington, ni Pékin, ne prendra en charge à sa place.

Note sur l’étude de la pensée de Xi Jinping. 习近平 思想

Après la création, le 23 janvier 2018 à l’Université de Pékin (Beida) d’un département d’étude de la pensée de Xi Jinping du « socialisme aux caractéristiques chinoises », introduite dans la constitution du Parti lors du 19e Congrès en octobre 2017, son expression est affichée sur grand écran lors des séminaires d’étude à tous les échelons de l’appareil.

Opérant sous l’égide des études marxistes de Beida, le nouveau département est chargé de promouvoir la pensée du n°1 du Parti, devenue le slogan idéologique du régime. Dans son essence, la pensée éloigne l’appareil des préceptes de gouvernance par le droit démocratique (séparation des pouvoirs, indépendance de la justice et pouvoir parlementaire de contestation des politiques publiques) pour le rapprocher d’une conception despotique de la gouvernance articulée à la vertu d’un pouvoir autocratique

NOTES de CONTEXTE.

1. La « Great Bay Area 粤 港 奥 大 弯区 »

Au total la zone regroupe 70 millions d’habitants et affiche un PIB total de 1350 Mds de $, au niveau de l’Espagne, de l’Australie ou de la Russie. En PIB par habitant qui mesure l’état du développement individuel, 2 conurbations se détachent : Macao, 70 000 $ (au niveau du Qatar et du Danemark) ; Hong-Kong, 40 000 $ (au niveau du Japon – pm. France : 45 000 $).

Le PIB des autres métropoles varie entre Shenzhen, 25 000 $ (Portugal ou Taïwan) et Zhaoqing et Jiangmen, 8000 $ (Botswana ou Républicaine Dominicaine), en passant par Canton, Zhuhai et Foshan ≤ 20 000 $ (Slovaquie, Grèce ou Oman), Zhongshan, 18 000 $ (Uruguay) et Huizhou, 15 000 $ (Chili).

2. Les déboires de la Deutsche Bank.

Pour tempérer l’impression d’invasion chinoise tous azimuts, le Handelsblatt aurait pu signaler la vente le 23 avril par le groupe HNA de 10% de ses parts dans la Deutsche Bank achetées il y a seulement un an. A rebours des craintes d’un excès de puissance de la Chine, le retrait du groupe chinois, signale au contraire une fragilité aux conséquences potentiellement toxiques pour les cibles d’investisseurs douteux.

En décembre 2017, le rachat du groupe financier UDC par HNA pour 460 millions de $ avait été bloqué par le Bureau de régulation des investissements étrangers néo-zélandais pour défaut de transparence de la structure financière du groupe chinois.

Champion des acquisitions à crédit estimées à 50 Mds de $, ayant généré une montagne de plus de 2 Mds de $ de dettes et entré dans les radars de la Commission des Investissements à l’Etranger, le groupe domicilié dans l’île de Hainan, est le plus gros actionnaire de la DB dont les cours ont chuté de 30% depuis un an. Après une frénésie d’acquisitions ces dernières années, le groupe a fait volte-face.

Sous la pression des régulateurs réprimant la boulimie d’investissements à l’étranger qui viennent de faire condamner à 18 ans de prison Wu Xiaohui le PDG des assurances ANBANG pour « crimes économiques » (Lire : L’arrestation du PDG des assurances Anbang, pointe émergée du labyrinthe financier et politique chinois.). HNA a récemment commencé à vendre ses actifs à l’étranger à un rythme accéléré.

 

 

Au-delà de la reprise des contacts militaires, la lourde rivalité sino-américaine en Asie-Pacifique

[20 avril 2024] • Jean-Paul Yacine

Au Pakistan, des Chinois à nouveau victimes des terroristes

[28 mars 2024] • Jean-Paul Yacine

Munich : Misère de l’Europe-puissance et stratégie sino-russe du chaos

[22 février 2024] • La rédaction

Au Myanmar le pragmatisme de Pékin aux prises avec le chaos d’une guerre civile

[9 janvier 2024] • Jean-Paul Yacine

Nouvelles routes de la soie. Fragilités et ajustements

[4 janvier 2024] • Jean-Paul Yacine