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Sous la « tempête Trump », les illusions chinoises de la Chancelière

A Pékin le 25 mai lors de la conférence de presse commune avec Li Keqiang. L’ambiance y était plus détendue que lors de la rencontre avec Trump. Mais Pékin reste sur le principe de ses « caractéristiques chinoises » d’un développement hors des règles mises en place par Washington et les Occidentaux après la 2e guerre mondiale. La brutalité tous azimuts du président américain conforte la Chine sur cette voie séparée de la notre.


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Les 24 et 25 mai derniers, Angela Merkel était en Chine où elle a également fait un détour par Shenzhen, pôle historique de l’expérimentation contrôlée d’ouverture politique commerciale et technologique, aujourd’hui partie vibrante avec Canton et sa rivale Hong Kong de la nouvelle grande zone d’intégration économique du sud de la Chine baptisée « Great Bay Area – GBA – en Chinois粤 港 奥 大 弯区yue gang ao da wan qu »- qui compte également Macao, Zhuhai et leurs grandes banlieues. Lire : Fast facts of the Guangdong - Hong Kong - Macau Bay Area. (document pdf).

De l’harmonie aux crispations.

En amont de la visite, le China Daily qui analysait les excellentes relations entre Berlin et Pékin, soulignait que la Chancelière en était à son 11e voyage. Preuve de la constance d’un partenariat pragmatique et concret, la fréquence était, disait le journal, l’expression du « respect et de la confiance mutuels » dans le « cadre d’une coopération gagnant-gagnant ».

Il est un fait que, écrivions-nous, dans une analyse de juin 2012, que « l’intérêt chinois pour la voiture haut de gamme et la technologie de pointe, notamment celle des machines quelles qu’elles soient – traditionnelles ou à commandes numériques -, de toutes tailles, ajouté à la vaste relance financière décidée par Pékin en 2008 qui augmenta brutalement la demande chinoise, ont dessiné cette complémentarité presque parfaite : à la quête technologique de la Chine, appuyée par sa capacité financière, répond la production allemande, réputée solide, fiable et de qualité, prête à transférer son savoir-faire en échange de parts de marché. ». Lire : Chine – Allemagne – Europe. Le grand malentendu.

Le résultat dont Berlin ne pouvait que se réjouir, était que l’Allemagne, seule en Europe et parmi les grands pays développés, avait un commerce équilibré avec la Chine alors que ses grands voisins et alliés accusaient d’importants déficits (30 Mds d’€ pour la France, 160 Mds pour l’ensemble des pays de l’UE, et 375 Mds de $ - 290 Mds d’€ - pour les États-Unis). En seulement 10 ans, entre 2000 et 2012, la valeur des exports allemands vers la Chine était multipliée par 10, tandis que l’Allemagne devenait la destination de 30% des exportations chinoises vers l’UE.

Le pragmatisme opportuniste des intérêts commerciaux partagés s’est cependant sérieusement grippé dans le courant de l’année 2016. « Chine – Allemagne, la lune de miel est finie », titrait le 16 novembre dernier un article de Klaus Larres dans The Diplomat. Historien allemand professeur de sciences politiques, expert des rapports Chine – Europe ayant enseigné la relation transatlantique aux États-Unis et en Grande Bretagne, Larres notait que Berlin, ayant pris conscience que le partenaire économique chinois est devenu un sérieux rival sur la scène internationale, avait « brutalement mis fin à sa longue relation privilégiée avec la Chine. ».

Elan commercial chinois et protectionnisme allemand.

Li Kashing, le milliardaire hongkongais qui depuis plusieurs années se défait de ses investissements dans l’immobilier en Chine a, en 2017, été l’auteur de la plus grosse opération en Allemagne en achetant par son holding financier le groupe ISTA International. Progressivement Li Kashing concentre ses investissements dans les secteurs de la distribution d’énergie et des télécoms. Interrogé sur ses critères d’investissement dans un pays plutôt que dans un autre, il répond que les conditions les plus importantes sont la capacité des lois et règlements à garantir un investissement, un environnement des affaires souple, un structure des taxes pérenne et une bonne stabilité politique.


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Entre l’harmonie sino-germanique de 2012 et les aigreurs de 2016, les hommes politiques allemands furent comme partout en Europe, placés sous la pression de la crise migratoire en partie à l’origine du désaveu électoral infligé à l’automne 2016 à Angela Merkel.

Une partie de l’électorat allemand avait en effet commencé à nourrir le sentiment teinté de crainte culturelle, homothétique de celui qui porta D. Trump au pouvoir aux États-Unis, que le pays serait le perdant de la mondialisation libérale dans un contexte où, par ailleurs, les industriels chinois tiraient largement profit du libre commerce pour s’approprier des technologies ayant jusque là été l’épine dorsale du succès industriel allemand.

Telle était l’état d’esprit en Allemagne à la veille du voyage d’A. Merkel en Chine. Le 23 mai la Frankfurter Allgemeine Zeitung commentait en première page une photo d’archives de Xi Jinping marchant aux côtés de la Chancelière en soulignant que la « Chine imposait d’importantes restrictions commerciales quand les industriels chinois faisaient librement leur marché en Allemagne. »

Logiquement l’article anticipait que le dialogue entre les deux ne seraient pas « harmonieux » alors qu’en juillet dernier le Bundestag a adopté de nouvelles règles augmentant les pouvoirs de l’exécutif pour fermer la porte aux investissements étrangers.

Le 25 mai, alors même qu’Angela Merkel n’avait pas encore quitté la Chine, Peter Köhler écrivait dans le Handelsblatt le quotidien économique de Düsseldorf proche de la bourse de New-York et du Wall Street Journal, que les Chinois, tenus à distance des États-Unis par le protectionnisme de Washington (en 2017 les opérations chinoises aux États-Unis se sont effondrées de 80% de 50 à 10 Mds de $), avaient augmenté leurs investissements Allemagne.

En 2017, même si, selon Ernest & Young (E&Y), les fusions acquisitions avaient baissé de 21% avec seulement 54 rachats sur les 247 opérations en Europe où les F&A chinoises étaient également en baisse de 20%, le total des capitaux chinois injectés dans l’économie allemande avait néanmoins atteint le record de 11 Mds d’€ - 13,7 Mds de $ -.

La plus grosse opération en 2017 ayant été la vente pour la somme de 6,7 Mds de $ au holding financier du milliardaire hongkongais Li Kashing, d’ISTA International (détecteurs de fumée, équipements de mesures et « compteurs connecté intelligents » des réseaux de distribution d’énergie, gestion des installations de chauffage) multinationale de Mannheim employant 5400 agents et ayant engrangé 850 million d’€ de revenus en 2017.

L’article du Handelsblatt arrivait au milieu d’une controverse politique sur les offres d’achat renouvelées en mars et à la fin mai 2018 de 20% des parts de l’opérateur d’électricité 50Hertz par le géant China Grid déjà investi au Portugal, en Italie et en Grèce.

Au même moment, le ministre de l’économie qui venait d’autoriser après audit la reprise pour 118 millions de $ de 75% du capital de l’équipementier aéronautique COTESA par Advanced Technology & Materials (AT&M) 安泰 科技, envisageait de bloquer un investissement chinois dans le groupe LEIFELD utilisant des techniques de mise en forme de matériaux en titane pour fabriquer des équipements spécialisés (conteneurs spéciaux, réservoirs d’hydrogène, boîtiers de turbines d’éoliennes, séparateurs).

Pour autant, après la visite de Merkel qui, à l’évidence, s’est - en apparence du moins -, bien mieux déroulée que ne le prévoyaient les pessimistes qui anticipaient de fortes crispations autour des questions de réciprocité commerciale, le ton des commentaires avait changé. Déjà le 24 mai, la FAZ ajustait son analyse, ouvrant l’angle de vue de la stricte vision commerciale aux rapports de forces géopolitiques.


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