Your browser does not support JavaScript!

Repérer l'essentiel de l'information • Chercher le sens de l'événement • Comprendre l'évolution de la Chine

 Cliquez ici pour générer le PDF de cet article :

›› Chronique

70e anniversaire de la marine à Qingdao. L’Inde et le Japon en vedette. L’US Navy absente. Incident avec une frégate française

Le 21 avril à Qingdao la marine chinoise fêtait sous la pluie son 70e anniversaire avec 11 autres pays ayant envoyé 16 navires de guerre pour participer à une grande parade navale.

En dehors de l’inventaire des navires chinois présentés à la revue dont la quelques uns sont en annexe, l’événement fut l’occasion de confirmer le prudent réchauffement des liens avec le Japon (lire : Visite de Li Keqiang au Japon. Les lignes bougent-elles ?) ; il fut aussi le témoin d’un nouvel effort sino-indien pour apaiser les relations entre Pékin et New-Delhi qui a dépêché à Qindgao un fleuron de sa flotte.

A contrario, l’absence d’un navire américain alors que Moscou a envoyé le Varyag, le déjà ancien navire amiral de la flotte du Pacifique, un sous-marin, 2 frégates anti-sous-marines, une corvette, un navire de débarquement et 2 bâtiments logistiques, rappelait que Pékin et Washington sont à couteaux tirés, tandis que la rebuffade infligée à la frégate française Vendémiaire fut de toute évidence le dommage collatéral des tensions entre Pékin et Washington à propos de Taïwan dont Paris a payé le prix.

Bienvenue au « Soleil Levant ».

Premier bâtiment de guerre japonais venu en Chine depuis 7 ans, le destroyer Suzutsuki jaugeant 5000 tonnes de la classe Akizuki, capable de naviguer à 30 nœuds, armé de missiles anti-navires et anti-aériens, est arrivé à Qingdao le 21 avril 2 jours avant la revue.

Portant le nom d’un destroyer de la 2e guerre mondiale ayant participé à l’attaque contre les alliés à Okinawa en avril 1945, il arborait aussi 3 pavillons, le pavillon national à la proue, le Chinois à la passerelle et à la poupe l’emblème du Soleil Levant redevenu celui de la marine des forces d’auto-défense dont le souvenir est lié à la brutale expansion du Japon en Asie depuis sa victoire contre la Chine en 1895.

En Chine les réminiscences du Soleil Levant - en Japonais Nippon ou Nihon - dont l’étymologie est chinoise 日本 Riben signifiant les racines du soleil – sont, du fait de l’histoire, plus sensibles qu’ailleurs.

En Corée du Sud aussi qui de 1910 à 1945 eut, peut-être plus que la Chine, à souffrir du joug colonial imposé par Tokyo qui fit déplacer vers le Japon contre leur gré à la fois une nombreuse main d’œuvre dépassant 200 000 hommes naturalisés de force et contraints de se battre aux côtés des militaires japonais et « les femmes de réconfort » destinées à l’armée impériale en campagne dans toute l’Asie.

Récemment une escale de la marine japonaise en Corée du sud a été annulée par l’état-major à Tokyo après que Séoul ait réclamé que le navire japonais n’arbore pas le pavillon du soleil levant.

Le 21 avril la marine chinoise n’a pas eu cette exigence. Commentant l’information, la chaîne sud-coréenne NHK, expliqua que Pékin montrait ainsi sa volonté de coopération « en dépit de l’inquiétude générée en Chine par la montée en puissance des capacités de la marine nippone. »

Il est aussi probable que Xi Jinping qui prépare sa participation au G.20 d’Osaka en juin prochain où lui aussi tentera de confirmer l’apaisement bilatéral en cours, n’aura pas voulu gêner l’événement par une crispation à propos du pavillon. Le 22 avril, c’est l’Amiral Hiroshi Yamamura, chef d’État-major de la marine japonaise qui arrivait à Qingdao, premier marin de ce rang à visiter officiellement la Chine depuis 5 ans.

L’US Navy s’était « excusée ».

Lié à Tokyo par un traité d’assistance mutuelle datant de 1960, principal allié du Japon dans la zone, les États-Unis dont le PC de la 7e flotte est basé à Yokusuka, entretiennent 50 000 militaires sur l’archipel, un des principaux irritants stratégiques pour Pékin dont l’objectif ultime est de débarrasser l’Asie de la présence militaire américaine.

En mai 2018, au plus fort des contentieux commerciaux, Washington avait annulé l’invitation adressée à la marine chinoise de participer à l’exercice RIMPAC. (lire : Mer de Chine et ASEAN, enjeux de la rivalité entre la Chine et les Etats-Unis.)

Rien ne dit que Pékin aurait répliqué par une mesure aussi radicale en n’invitant pas l’US Navy. Mais pour prévenir tout camouflet, le Pentagone a pris les devants et annoncé dès les premiers jours d’avril qu’il n’enverrait aucun navire à Qingdao et que la participation américaine serait limitée à celle de l’Attaché Militaire à Pékin.

Dans une interview, ce dernier a rappelé que l’US Navy tenait à maintenir des liens de coopération avec la marine chinoise pour mettre au point des mesures de confiance destinées à éviter un incident naval grave. Tout indique que les marins chinois avides d’apprendre de l’expérience aéronavale américaine sont sur cette même ligne.

S’il est vrai que l’État-major de la marine chinoise répète qu’il est toujours prêt à coopérer avec la marine française, la vérité oblige à dire que l’intérêt réellement affiché pour Paris est loin d’être le même.

*

Au demeurant cette différence de traitement où on voit la Chine ménager Washington avec qui elle cherche des relations les moins heurtées possible, tandis qu’elle se montre plus désinvolte avec Paris, illustre à quel point la conception chinoise des relations extérieures reste marquée par l’ancestrale vision impériale de « puissance à puissance » datant du premier empereur Qin contemporain de l’Empire romain que les Chinois appelaient avec respect le « Grand Qin ».

Quant aux pays de puissance moindre comme la France, ils sont parfois considérés avec la condescendance du suzerain au vassal.

Les déboires de la frégate Vendémiaire.

Exemple : récemment répondant aux pressions exercées par Pékin sur Taïwan qui menace militairement la présidente indépendantiste, y compris par des survols de l’espace aérien de l’Île par de chasseurs J.11, l’US Navy a multiplié (9 fois en moins d’un an) les « passages innocents » de navires de combat de la classe de ses destroyers lance-missiles dans les eaux internationales du Détroit de Taïwan, les derniers passages ayant eu lieu les 28 et 29 avril.

En réponse, la Chine consciente du statut international des eaux du Détroit, réagit généralement de manière limitée en rappelant que l’Île est une possession chinoise et qu’elle n’est pas dupe des raisons réelles du transit.

Paris n’a pas eu droit à autant de mesure. Le 6 avril dernier, la France, agissant par imitation, a fait croiser dans le Détroit le Vendémiaire, une de ses frégates de surveillance du Pacifique, dont les capacités de combat sont à plusieurs niveaux au-dessous de celle des bâtiments américains. Tous les observateurs auront noté que la réaction chinoise fut bien plus courroucée à l’égard de la marine française que vis-à-vis du « Grand Qin » américain.

Le porte-parole du ministère de la défense chinois a en effet accusé la marine française d’être entrée « illégalement dans les eaux chinoises », ce qui, s’agissant du Détroit de Taïwan où le passage est libre, est un abus de langage que Pékin n ‘avait jamais employé avec Washington.

Malaise.

Dans la foulée, la marine de l’APL a annulé l’invitation des Français à la parade navale de Qingdao du 23 avril. C’est peu dire que la différence de traitement a créé un malaise à Paris et à Pékin où il n’est pas certain que le Waijiaobu cautionne la sècheresse de la réaction de l’APL contre la France.

L’État-major de la Marine française qui explique qu’un de ses bateaux effectue chaque année un passage dans le Détroit, a exprimé son étonnement face à une réaction aussi brutale.

Quant au Waijiaobu, il a maladroitement tenté d’adoucir la réaction de la marine chinoise en expliquant que le camouflet infligé au Vendémiaire n’était pas une injonction impérative, mais « un conseil ». Une explication à laquelle personne ne croit.

++++

Fébrilité chinoise.

Sur le fond l’incident n’est pas anodin. Il s’inscrit en effet dans une crispation de la haute direction chinoise rendue fébrile par la présence à la tête de l’Île d’une mouvance indépendantiste et par le regain des pressions américaines depuis une année. Plus encore, Pékin craint que d’autres pays européens n’emboîtent le pas de la France pour s’aligner sur Washington.

Si on voulait un signe des émotions nationalistes provoquées en Chine par le sentiment que trop de pays s’intéressent à la question de Taïwan considérée comme une affaire intérieure non négociable, il suffirait de consulter l’article publié par le Global Times sur le sujet connexe des missiles chinois.

On y voit surgir la crainte de Pékin, pour l’instant sans objet tant que Moscou appuiera la position chinoise, que ses missiles balistiques intermédiaires destinés à dissuader l’indépendance taïwanaise soient pris en compte dans de nouvelles négociations sur les missiles stratégiques et de portée intermédiaire.

Selon un officier de la marine chinoise resté anonyme, dans le contexte global où les sentiments anti-chinois augmentent en Europe, la crainte d’un rapprochement des marines américaines et européennes sur la question de Taïwan fut la vraie raison de l’incartade subie par le Vendémiaire.

De toute évidence, il s’agit d’une initiative intempestive, fausse manœuvre qui pourrait bien produire l’inverse du résultat recherché

Alors que pour faire pièce aux pressions chinoises, Tsai Ing-wen bat le rappel des démocraties de la planète et que D. Trump exige une renégociation des traités balistiques pour y inclure les missiles chinois dont ceux menaçant Taïwan [1].

Tandis qu’à la mi-mars, Bruxelles mettait en garde contre le « risque systémique chinois », après que le ministre des Affaires étrangères allemand Heiko Mass ait, en janvier dernier, déclaré que les pressions militaires de Pékin contre Taïwan étaient inacceptables, si la Chine avait voulu prendre le risque de réveiller contre elle un nouveau front sur l’affaire taïwanaise, elle ne s’y serait pas prise autrement.

*

Note de Contexte.

Principaux navires chinois de la revue.

Près de 3 douzaines de navires de l’APL ont participé à la revue.
Parmi eux :

1. Le destroyer Nanchang (Classe 055)

Lire : La marine chinoise lance deux destroyers géants.

Qualifiés par la presse de « navires de combat les plus dangereux de la planète », les destroyers de la classe 055, évoqués par QC en juillet 2018 frappent par leur taille qui les rapproche d’un croiseur et la puissance de leur armement.

2. SNLE Jin de la classe 094.

Monstre sous-marin de 8 à 9000 tonnes, le Jin (classification OTAN) est la 2e génération des SNLE chinois. Bien que ses caractéristiques n’aient fait l’objet d’aucune publication officielle, les renseignements obtenus par satellite et par les services occidentaux signalent une longueur de 135 mètres pour un diamètre de 12,5 m avec 12 missiles balistiques JL-2 de 8000 km de portée doté chacun de 3 ou 4 têtes nucléaires.

Basés à Hainan au nord de la mer de Chine du sud, les Jin dont Pékin pourrait aligner 8 unités, n’ont pas bénéficié des dernières avancés technologiques en matière de discrétion acoustique, ce qui montre que pour l’heure les SNLE ne tiennent pas pour la Chine, une place de choix dans sa dissuasion.

La construction de la prochaine génération des SNLE de la classe 096 pourrait commencer en 2020. Rien ne dit qu’ils seront plus performants.

3. Destroyers 052C et O52 D. Luyang

Après les destroyers 052C (classe Luyang II), la chine a développé les 052D (Luyang III) entrés en service en 2013. Jaugeant 7500 tonnes, ils sont équipés d’une vaste panoplie d’armements, allant de canons de 130 mm H/PJ-38 sous casemate d’une portée de 18 km aux missiles antiaériens lourds HQ-9, voisin du S-300 russe d’une portée de 200 km, et aux plus légers HQ-16 et DK-10A dont la portée est de 40 km, en passant par les missiles anti-navires CJ-10 et anti-sous-marins YJ-18.

4. Frégate 054 Classe Jiangkai.

Jaugeant 4000 tonnes, les frégates 054 sont inspirées des frégates Lafayette françaises. Avec une autonomie de plus de 14 000 km, équipées de missiles anti-aériens HQ-16, de canons de 30 mm et de missiles anti-navires, elles sont déployées dans le golfe d’Aden. 8 Unités de ce type ont pris part à la parade de Qingdao.

5. Navires amphibie 071 et 072.

Avec un tonnage de 17 à 20 00 tonnes, un rayon d’action de 20 000 km, les navires de cette classe dotés de 2 hélicoptères lourds peuvent déployer 2 hydroglisseurs, 16 véhicules de combat amphibie blindés et 600 hommes. Leur mission d’appui à un débarquement est clairement liée à une possible action de force en mer de Chine du sud.

6. Porte-avions Liaoning.

Lire :
- Première sortie d’entraînement du porte-avions chinois. Un « feu rouge » clignotant.
- Le 2e porte-avions a quitté le chantier de Dalian.

Note(s) :

[1Sur ce sujet dont la sensibilité pour Pékin ne peut être sous-estimée, le Global Times a publié le 28 avril dernier un éditorial qui accusait Washington de vouloir brider les forces stratégiques chinoises « avec » dit l’auteur « l’aide de la Russie et l’opinion publique occidentale ».

Compte tenu du faible nombre des armes chinoises - 280 dit l’article contre près de 6500 américaines et russes -, l’argument qui se réfère aussi à la promesse chinoise de non emploi en premier, prêche logiquement pour rester à l’écart des négociations sur leur limitation ou leur réduction.

Mais après avoir noté que Moscou avait refusé d’inclure la Chine dans de nouvelles négociations, ce qui rend la proposition de D. Trump caduque à moins d’une volte-face de Moscou pour l’heure improbable, l’auteur dénonçait « l’arrogance américaine », et, de manière contradictoire avec son précédent argument d’un arsenal chinois très limité, il prônait sa montée en puissance rapide et significative, pour, dit-il, « dissuader l’agressivité des faucons américains ».

En arrière-plan flotte le souci de Pékin que ses missiles intermédiaires destinés à dissuader l’indépendance de Taïwan dont la mission, disent les Chinois, est « défensive », échappent à tout examen international.

 

 

Le grand-écart d’Olaf Scholz en Chine

[23 avril 2024] • François Danjou

Commission mixte scientifique 2024 : et après ?

[7 avril 2024] • Henri Clairin

Chine - France : Commission mixte scientifique 2024, vers une partie de poker menteur ?

[29 février 2024] • Henri Clairin

A Hong-Kong, « Un pays deux systèmes » aux « caractéristiques chinoises. »

[12 novembre 2023] • Jean-Paul Yacine

Chine-Allemagne : une coopération scientifique revue et encadrée

[9 octobre 2023] • Henri Clairin