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Alibaba et la bataille pour la réforme du système financier chinois

Jack Ma, le rebelle, irrite les Banques publiques

La personnalité de Jack Ma, le fondateur, diffère de celle de Zhuckerberg ou Steven Jobs auxquels il est parfois comparé. Son parcours initial n’est en effet lié ni à la science ni à la technique.

Agé de 49 ans, cet ancien professeur d’anglais a fait merveille à la fois dans la motivation des personnels et dans la stratégie du groupe où il s’est affirmé par ses idées innovantes en rupture avec les vieilles féodalités opaques de l’ancien schéma de financement de la croissance par la captation de l’épargne, notamment en proposant des offres d’investissements en ligne et un système de paiement sécurisé par internet, deux projets iconoclastes qui heurtent les positions retranchées des grandes banques publiques.

La nouvelle récemment rendue publique par Shang Fulin, président de la Commission de régulation boursière selon laquelle Alibaba et Tencent allaient participer au financement de 5 banques privées a encore compliqué ses relations avec les féodalités de la finance chinoise.

Depuis quelques temps les deux athlètes du commerce en ligne chinois sont en effet l’objet de tracasseries imaginées contre eux par les féodalités de la finance officielle. La dernière attaque en date contre Alibaba a été prononcée quand ICBC - n°1 des banques chinoises en actifs - s’est mise en mesure de bloquer les paiements en ligne au moyen du site Alipay, cœur du dispositif commercial d’Alibaba.

La manœuvre était la dernière d’une série où les 4 grandes banques publiques fixèrent des limites aux sommes que leurs clients étaient autorisées à consacrer aux paiements en ligne par le truchement de sites comme Alipay qui a géré 519 Mds de $ transactions en 2013. Mais Ma riposta aussitôt en montant les enchères, proposant un nouveau produit d’investissement en ligne qui affichait, mais sans le garantir, un retour de 7% destiné à financer 4 projets de films.

Plus que commercial le geste était un défi rebelle, dont on peut se demander s’il n’était pas télécommandé par la mouvance réformiste qui, derrière Li Keqiang, le premier ministre, Zhou Xiaochuan, le Président de la Banque Centrale, Liu He le n°2 de la Commission pour la réforme et développement et Lou Jiwei, le ministre des finances, tente d’obliger les banques publiques à adopter un mode de fonctionnement plus adapté au marché et mieux rémunérateur de l’épargne qui les mettrait en mesure d’affronter la concurrence des banques étrangères.

Le capital d’Alibaba déjà ouvert à l’international

Si cette hypothèse était confirmée, le rôle de Jack Ma dont les affaires chevauchent un moyen de communication doté d’un fort potentiel perturbateur, prendrait une signification politique qu’il serait imprudent de négliger. La capacité de contournement du système financier chinois traditionnel est peut-être encore accrue par le fait que le capital d’Alibaba est en partie détenu par des investisseurs étrangers avec en n°1 le Japonais Softbank (34,4%) immédiatement devant Yahoo qui détient 22,6% dont 9% seraient mis sur le marché lors de l’ouverture du capital.

A ces actionnaires de premier rang, il faut ajouter l’un des fonds souverains singapourien Temasek - une caution de premier ordre - ainsi que les Américains Silverlake (nouvelles technologies) et Tiger Global (fond d’investissement à vocation spéculative ou « hedge founds »). Avec de tels appuis politiques et financiers on peut estimer que si Jack Ma était réellement au cœur d’une bataille politique dont il serait l’instrument, lui-même et les intérêts qu’il représente ne seraient pas forcément en position de faiblesse.

La plus grande fragilité d’Alibaba est politique…

Mais Alibaba et Jack Ma ont aussi des vulnérabilités identifiées par les analystes. La première est commerciale, liée au fait que l’ouverture de la société au commerce en ligne hors de Chine est faible. La deuxième est précisément rattachée au risque politique interne qui rend la société tributaire des murailles que les banques publiques pourraient ériger contre les paiements en ligne pour se protéger de la concurrence des retours sur investissement proposés par Jack Ma, bien plus lucratifs que les leurs.

…Avec cependant d’importants soutiens

Dans cette bataille financière, l’ancien PDG d’Alibaba qui a officiellement quitté la tête du groupe en janvier 2013 tout en restant le président du holding et aux commandes de sa stratégie, a déjà reçu un appui de taille : celui de Zhou Xiaochuan, le président de la Banque Centrale que la vieille garde conservatrice effrayée par ses idées d’ouverture du système financier avait en novembre 2012 tenu à distance du Comité Central, mais que le Bureau Politique avait contre toute attente confirmé à son poste.

En mars 2014, très conscient qu’il indisposerait les grandes banques publiques, Zhou avait exclu que la banque centrale interdise les paiements et les investissements en ligne. La déclaration conforte le fond de gestion Yu’E Bao 余额宝 (500 Mds de Yuans gérés, en augmentation de 500% depuis juin 2013) contrôlé par Alipay, le plus célèbre et le plus puissant système de paiement en ligne chinois, affilié à Alibaba.

…et parfois une image cynique…

Enfin, les détracteurs de Jack Ma dont certains soulignent qu’Alibaba est le plus grand site au monde de vente en ligne d’articles contrefaits, donnent de lui une image mitigée, marquée par un puissant cynisme et quelques lourdes désinvoltures à l’égard de ses actionnaires minoritaires américains et japonais qu’il n’avait pas prévenus en 2011 avant de restructurer son groupe et de transformer Alipay en filiale.

A l’époque il avait nié ne pas avoir informé ses partenaires et expliqué que la décision était justifiée par les nouvelles règlementations chinoises interdisant des participations étrangères dans les plateformes de paiement en ligne, jusque là tolérées.

La nouvelle règlementation s’attaquait en réalité au concept courant dans la finance de « variable interest entity »(VIE) en français « entité de droits variables » autorisant le flou des comptes. Utilisé dans l’affaire des « subprimes » aux Etats-Unis, il a permis de retirer certains actifs des comptes d’une société, afin de ne pas mettre en danger tout le groupe en cas d’opération hasardeuse. Initialement motivé par un souci de protection, le concept est devenu un moyen de camouflage d’actifs litigieux. En Chine il permettait entre autres de tourner les règlementations limitant les investissements étrangers.

Les contentieux sont aujourd’hui apaisés au moins en apparence. En 2012, Alibaba a racheté une partie de ses parts à Yahoo qui avait empoché un substantiel bénéfice. L’Américain renouvellera l’opération pour 9% de ses parts lors de l’introduction. Quant au Japonais Softbank dont les parts détenues dans Alibaba pourraient valoir plus de 30 Mds de $ après l’ouverture du capital, il n’est pas décidé à vendre, ce qui prouve que la confiance est de retour.

Lire aussi :

- Les hussards de la réforme et leurs adversaires.

- Le 3e Plenum sera t-il un « acte manqué » ?.

Photo : Yu’E Bao, 余额宝 est un site de gestion d’actifs financiers en ligne contrôlé par Alipay, affilié à Alibaba. Les usagers d’Alipay (支付宝 Zhifubao en chinois) peuvent directement investir depuis leur compte en banque dans un marché financier géré par Tianhong Asset Management Co avec de meilleurs retours et une plus grande souplesse. En novembre 2013, les actifs financiers gérés par Yu’E Bao avaient franchi la barre des 100 Mds de RMB (11,6 Mds d’€).


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