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ASEAN : Phnom-Penh dans l’œil du cyclone

A l’ombre des rivalités stratégiques entre Pékin, Hanoï et Washington


La connivence sino-khmère pèse sur l’ASEAN

Le 3 septembre, le premier ministre Hun Sen revenait d’un de ses nombreux voyages en Chine, avec, selon le ministère des finances cambodgien, un don direct à « utiliser comme bon lui semblera » de 150 Millions de RMB, soit 23,7 millions de $, à quoi s’ajoutait 80 Millions de $ de prêts et donations venant compléter les 420 millions de $ promis pour 7 projets déjà arrêtés. Enfin, au cours de son voyage en Chine, Hun Sen a pris contact avec le groupe Delong (Hebei) qui a promis d’investir plus de 2 Mds de $ dans la construction d’une aciérie dans le sud du pays.

L’investissement, colossal pour la dimension du Royaume, porterait le stock des investissements chinois connus à près de 11 Mds de $, en augmentation de 25% par rapport à 2011, confortant la Chine à sa place de premier investisseur dans le pays, loin devant la Corée du sud à 4 Mds de $. L’emprise des entreprises chinoises est protéiforme et touche plusieurs secteurs clé de l’économie tels que les infrastructures de transport, les barrages hydroélectriques, les télécom, les mines – fer et charbon -, l’agriculture et le tourisme.

Elle se traduit par l’octroi de concessions de terres, dont les entreprises chinoises sont parmi les plus gros bénéficiaires et dont la cession à un rythme qui s’accélère provoque d’incessants et douloureux conflits sociaux.

Représentant près de 60% de la superficie des terres arables du Cambodge, les concessions économiques sont contrôlées par des groupes khmers ou étrangers, le plus souvent liés à la Thaïlande, au Vietnam et à la Chine, auxquels se rajoutent quelques Européens, investis dans le sucre et l’hévéa, des Australiens, impliqués dans le secteur minier à hauteur de 700 000 hectares attribués à Southern Gold et Indochina Mining Ltd, des Malaisiens et des Sud-coréens.

Pour ajouter à la complexité qui bride la marge de manœuvre des politiques de Phnom-Penh, au Cambodge se joue aussi, en sous main, une rivalité stratégique à la visibilité asymétrique, entre la Chine de plus en plus voyante et le Vietnam discret, très mal aimé par les Cambodgiens, mais dont la présence au cours des 11 années d’occupation de 1979 à 1990 lui confère une influence politique d’autant plus déterminante que les caciques de l’actuel pouvoir politique à Phnom-Penh, échappés de justesse aux purges de leurs amis Khmers Rouges, lui doivent leur survie.

La compétition entre Hanoi et Pékin, homothétique de celle qui se joue en Mer de Chine, à l’ombre de Washington, est visible dans le Royaume et il n’est pas rare qu’une visite officielle chinoise soit suivie d’assez près par la mission d’un responsable vietnamien, tandis que le nombre de projets vietnamiens, il est vrai financièrement bien moins dotés que les Chinois, augmente rapidement.

Ayant doublé depuis 2009, le stock des investissements vietnamiens compte aujourd’hui pour plus de 2 Mds de $, en tête des pays de l’ASEAN. Leurs principales cibles sont dans l’agriculture, les plantations d’hévéa, les centrales thermiques, le sucre de palme, ainsi que les services financiers et bancaires.

Placé sous la double influence rivale de la Chine et du Vietnam – mais Hanoi et Pékin sont eux-mêmes partagés entre leurs accès de fièvre nationaliste, qui les pousse aux affrontements et leur volonté de coopération -, Phnom-Penh devra encore éviter que s’exacerbe chez lui, lors des prochaines réunions au sommet de l’ASEAN en novembre, la rivalité stratégique de l’étage supérieur entre Pékin et Washington, à laquelle pourrait encore s’ajouter les tensions entre la Chine et le Japon.

Pour le pouvoir cambodgien, en première ligne au milieu de ces rivalités croisées, surveillé de près par les Etats-Unis qui critiquent son mauvais bilan sur les droits de l’homme et son penchant prochinois, de plus en plus prisonnier des investissements de Pékin, la partie sera d’autant moins simple que, lors du dernier sommet des ministres des Affaires étrangères de l’ASEAN, sa prestation, jugée partiale, fut sévèrement critiquée par Hanoi et Manille, engagés avec la Malaisie et Brunei dans une forte controverse de souveraineté avec Pékin à propos de la Mer de Chine.

L’accusation de partialité pro chinoise adressée au Cambodge aura probablement trouvé un nouveau fondement quand, le dimanche 2 septembre, Wen Jiabao remercia Hun Sen en visite en Chine, « pour le rôle important joué par Phnom-Penh dans le maintien des relations amicales entre la Chine et l’ASEAN ».

Le malaise de Phnom-Penh, qui s’est soldé par la relève en catastrophe de son ambassadeur aux Philippines, est d’autant plus palpable qu’aux critiques de Manille et de Hanoi, Tokyo vient d’ajouter les siennes. Le 5 septembre, initiative diplomatique rarissime, l’Ambassade du Japon à Phnom-Penh expliquait en effet que son pays avait été mécontent du Cambodge, à la fois du fait de son attitude sur les questions de la Mer de Chine et parce qu’il avait ignoré sa requête de mentionner le différend du Japon avec la Corée du Nord à propos des Japonais enlevés par les Nord-coréens entre 1977 et 1983.

Commentaire.

Dans ce contexte, tendu et compliqué, le bon déroulement du prochain sommet de l’ASEAN, présidé par Phnom-Penh dépendra fort peu de l’influence des responsables cambodgiens, dont la marge de manœuvre est faible, mais bien de la bonne volonté des acteurs majeurs que sont Pékin, Washington et Hanoi. Tokyo et Manille, en embuscade, à l’écoute de leur mentor américain, restant de potentiels fauteurs de trouble.

Quant aux autres pays de l’ASEAN, ils tenteront, avec le Secrétaire Général Surin Pitsuwan, tout à la fois d’abord de calmer les tensions sur les questions de souveraineté en Mer de Chine, à défaut de régler le problème, insoluble tant que Pékin refusera de tempérer ses revendications globales, ensuite de préserver la cohésion de l’association, tout en ménageant leurs relations tant avec Pékin qu’avec Washington.

Mais entre ces deux principaux acteurs, dont la rivalité pèse sur l’ASEAN et le Cambodge, l’heure est toujours à la crispation, malgré les bonnes paroles réciproques, où perce la volonté affichée d’apaiser la relation. Le 4 septembre, le porte parole du gouvernement chinois demandait à Washington de se tenir à l’écart des disputes territoriales, laissant entendre que les initiatives américaines, assez souvent marquées par des démonstrations de forces ou des manœuvres militaires avec le Vietnam ou les Philippines étaient porteuses de tensions.

Dans le même temps, en amont de la visite à Pékin de H. Clinton, le Global Times se laissait aller à publier un éditorial où il expliquait que « beaucoup de Chinois n’aimaient pas la Secrétaire d’Etat », accusée par l’auteur « d’avoir fait surgir entre les deux sociétés de nouvelles et profondes méfiances, qu’il sera difficile d’effacer », tandis que, dans un éditorial publié en première page, le Quotidien du Peuple suspectait Washington de vouloir tirer avantage des différends chinois avec le Japon à propos de Senkaku.

Washington joue une partie complexe, cherchant à la fois à préserver sa relation avec la Chine, importante pour le traitement des affaires syrienne, iranienne et nord-coréenne, tout en donnant l’impression, bien qu’il s’en défende, d’avoir pris fait et cause pour les Philippines et le Vietnam. S’il est vrai – dit Marck Valencia, l’expert américain de la Mer de Chine – « que la Maison Blanche ne considère pas officiellement que les revendications de l’ASEAN soient nécessairement justes », tout, dans les attitudes du pouvoir américain, laisse entendre que leurs arguments auraient plus de fondement que ceux de la Chine.


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