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Aung San Suu Kyi à Pékin. Retour au principe de réalité

Le poids exorbitant des militaires birmans…

Aung San Suu Kyi doit composer avec les militaires qui détiennent 25% des sièges au parlement et s’opposent à ses projets constitutionnels visant à accorder plus d’autonomie aux états peuplés de minorités irrédentistes.

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Déçus par l’ouverture d’Aung San Suu Kyi vers la Chine, son mutisme lors des exactions commises contre les Rohingya, les critiques ont également reproché à Aung San Suu Kyi d’avoir adressé plusieurs signes de proximité à l’appareil militaire. Lors de la remise du prix Sakharov par le parlement européen à Strasbourg, le 22 octobre 2013, elle avait en effet évoqué la mémoire de son père, son attachement à la famille militaire et son idéal de réconciliation nationale entre la société civile et l’armée qui a dirigé le pays d’une très brutale main de fer pendant un demi-siècle et dont elle-même fut la victime.

Voir la vidéo Aung San Suu Kyi - Sakharov Prize

Les gestes de bonne volonté à l’égard des militaires ont certes un lien direct avec les efforts indispensables pour une très difficile réconciliation nationale dans un pays à ce point écartelé. Ils ont aussi un rapport avec quelques unes des tensions récentes entre Naypyidaw et Pékin, résultats indirects des tiraillements entre le nouveau pouvoir birman et les armées.

Au risque de simplifier beaucoup, il est possible d’expliquer les fêlures entre les militaires et le nouvel exécutif par l’histoire postcoloniale. Ayant hérité d’un pays essentiellement construit par les Anglais autour des basses terres de la plaine centrale, les militaires ont, au cours de leur demi-siècle de règne, tenté d’y agréger les populations hétérogènes des montagnes.

La méthode fut brutale et sans nuances, reposant, au nom de l’unité nationale sur la menace et la répression contre des ethnies qui tentaient de préserver leur identité à l’écart de l’ethnie birmane dominante. Aujourd’hui, la quête d’unité nationale par les militaires reste au cœur des tensions politiques internes et légitime les survivances violemment répressives.

Alors qu’Aung San Suu Kyi et son parti de la Ligue Nationale pour la Démocratie envisagent une révision de la constitution pour accorder plus d’autonomie aux régions, l’armée qui détient encore 25% des sièges au parlement agrippe au contraire son pouvoir à l’idée d’unité et d’homogénéité nationales et continue sa lutte féroce contre les irrédentismes également légitimée par le combat contre les trafics.

Du coup, resurgissent périodiquement des campagnes militaires brutales contre les territoires abritant des groupes armés rebelles dont la violence dérape parfois vers la Chine.

…influe sur les relations avec Pékin.

En février 2015, 30 000 réfugiés chinois Han de la région de Kokang dans l’État de Shan avaient fui vers le Yunnan, à la suite des incursions de l’armée birmane. La dernière offensive avait eu lieu en 2009. Les rebelles birmans et la population chinoise de Kokang réclament une autonomie complète de la région.

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Aujourd’hui à contre courant des idées d’apaisement politique supposées véhiculées par l’arrivée au pouvoir du symbole international de démocratie que représente Aung San Suu Kyi, la répression contre les groupes ethniques qui n’ont pas signé le cessez-le-feu n’a pas faibli, ponctuée par des tortures et des violences contre des populations civiles perpétrées par « Tatmadaw » vocable birman qui désigne la puissante organisation militaire du Myanmar dont la fille du Général Aung San doit s’accommoder.

Chaque fois que possible l’armée dont un des éminents représentants est le vice-président Myint Swe, 64 ans, ancien chef des opérations spéciales très lié à l’ancien dictateur Tha Shwe, s’allie aux armées privées comme celle des Shan ayant signé le cessez-le-feu.

Depuis le printemps, échappant au pouvoir politique, l’armée a repris ses offensives dans l’État de Kachin contre les unités de « l’armée indépendante » que la Chine accuse d’être subventionnée par la CIA. L’offensive est ponctuée d’abus et de brutalités qui n’épargnent pas les populations civiles. Enfin, l’année dernière, l’attaque des militaires de « Tatmadaw » contre la région de Kokang au nord de L’État Shan avait directement ciblé de fortes minorités chinoises, vivant du trafic transfrontières provoquant la fuite vers le Yunnan de 30 000 réfugiés.

Le 11 mars 2015 une bombe lancée par l’aviation birmane tombée dans un champ de canne à sucre près de la ville de Lincang au Yunnan à 130 km de la frontière avait tué 4 fermiers chinois et provoqué une réaction courroucée du Waijiaobu.

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Mais l’ironie de l’histoire, autre expression du principe de réalité qui décidément n’épargne personne, est que les groupes irrédentistes du Kokang contre lesquels se battent les militaires birmans et qui se désignent eux-même comme « l’Armée de l’alliance démocratique nationale du Myanmar », sont commandés par Peng Jiasheng, un général de l’ethnie Han à la tête d’unités toutes héritières des mouvements rebelles communistes dont l’activisme révolutionnaire était attisé par Mao.

A l’instigation de Deng Xiaoping, décidé à mettre fin au prosélytisme communiste du Grand Timonier en Asie du Sud-est pour s’occuper du développement de la Chine, un cessez-le feu avait été signé en 1989. Celui-ci avait été rompu en 2009 par l’armée birmane, toujours au nom de l’unité nationale et de la lutte contre les trafics, aujourd’hui principale raison d’être des communistes reconvertis en trafiquants et en contrebandiers.

Lire notre article Chine-Myanmar : le dilemme birman

Le 14 juin, 2 jours après la rencontre officielle entre Aung San Suu Kyi et Xi Jinping, le Global Times, version commerciale et populaire du Quotidien du Peuple, tout de même étroitement contrôlé par l’appareil, exprimait à la fois un espoir, une frustration et une mise en garde.

Faisant allusion aux évolutions démocratiques au Myanmar et rappelant que Pékin resterait fidèle à ses principes de non ingérence, l’auteur espérait que les situations politiques internes n’auraient pas d’influence sur les relations entre les deux États. Ce qui n’empêcherait pas, ajoutait l’article, que la Chine continuerait à avoir des relations avec l’opposition, soulignant, avec un brin de malice vaguement malveillante, que la championne mondiale de la démocratie avait aussi ses détracteurs.

La mise en garde de l’article renvoyait aux troubles le long de la frontière et rappelait que la Chine défendrait son intégrité territoriale et réagirait si ses citoyens étaient menacés par le débordement des guerres internes birmanes.

Mais muselé par le pouvoir politique et la censure, l’article manquait une mise en perspective et quelques très importantes parties de l’image.

1) La manière pesante et protéiforme des coopérations chinoises faisant peu de cas des populations locales, est elle-même une des origines du relâchement des liens entre Pékin et Naypyidaw ;

2) L’appareil militaire birman échappe à l’autorité d’Aung Son Suu Kyi qui n’a pas les moyens politiques d’influer sur lui. Aujourd’hui responsables des actions de force assez peu subtiles contre les minorités irrédentistes de la frontière, les armées furent, durant plusieurs dizaines d’années, l’interlocuteur privilégié de la Chine qui leur a fourni armement et conseillers militaires ;

3) S’il est vrai que certains des groupes irrédentistes dont ceux logés dans l’État du Kachin furent financés par la CIA, il faut aussi mentionner que le développement d’une partie des groupes rebelles le long de la frontière a longtemps été nourri par le prosélytisme communiste de Mao.


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