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›› Editorial

Brève et brutale crise boursière. Le prix de la défiance

En dépit des efforts de la propagande dont les chiffres ne sont pas toujours vérifiables, le défaut de confiance devenu le principal talon d’Achille de l’économie, persiste et se lit dans une des plus importantes secousses boursières de ces dix dernières années.

Il faut revenir à la chute de 2015 (contraction de la croissance, baisse du Yuan et des réserves de change, baisse de la production : lire Un été chaud sur fond d’inquiétudes et d’espoir) pour trouver dans les statistiques un ébranlement équivalent.

Mais cette fois, l’immobilier lui-même sévèrement affaibli, ne peut pas constituer le levier d’une reprise comme ce fut le cas en 2015.

Dix jours après le forum de Davos, où le premier ministre Li Qiang avait mis en scène une reprise « prudente et durable », affichant un retour de la croissance à +5,2% conforme aux prévisions de l’appareil, l’image qui s’impose est celle d’une sérieuse instabilité boursière, menaçant de devenir un problème politique. Les vents contraires ont surgi au milieu de l’insistante crise du secteur de la construction qui s’aggrave, tandis que l’économie est plombée par les risques de déflation et les ratés de la consommation.

Alors que, dans la foulée de Davos où les performances de la reprise chinoise étaient présentées comme « une solution globale alternative » et un « défi à l’Occident développé », la chute continue de l’index CSI 300 de la bourse de Shanghai de 43% depuis mai 2021, soudain brutalement en recul de 8% en une semaine, à la fin janvier, traduit une sérieux décalage entre les affichages de l’appareil et l’incrédulité des marchés eux-mêmes plombés par une confiance en berne que la machine politique ne parvient pas à redresser.

Pour ne rien arranger, ajoutant à la défiance et aux inquiétudes de l’appareil soulignées par J-P Yacine en novembre dernier (lire : Dans l’urgence d’un branle-bas, He Lifeng prend la tête de la Commission Centrale des finances), les analyses qui mettent l’économie en perspective depuis 2021, estiment la perte globale des valeurs chinoises en trois ans à 6000 Milliards de $.

L’immobilier « symptôme systémique » et « recadrage. »

Talon d’Achille récurrent de l’économie, conséquence systémique du retard de l’appareil à mieux répartir socialement les fruits de la spectaculaire croissance des quarante-cinq dernières années – avec un PNB passé de 150 Mds de $ en 1978 à 126 000 Mds de $ en 2023 -, la défiance des marchés se focalise sur le point faible le plus évident : le marasme de l’immobilier dont la part dans le calcul du PNB atteint 25% si on tient compte des importations et 31% quand on y inclut les investissements d’infrastructure (routes, réseaux de distribution d’eau et d’électricité) qui desservent l’immobilier résidentiel.

Consciente de ce risque systémique détournant l’investissement productif vers l’aléa immobilier, la Direction politique a récemment tenté de réduire sa prévalence dans l’économie. Certaines mesures brutales de mises aux normes répressives accompagnées des mises en garde de Xi Jinping - « L’immobilier sert à se loger, pas à spéculer » - eurent cependant l’effet indésirable d’augmenter la défiance des investisseurs aggravant le marasme (lire : Au milieu de la reprise, les inquiétudes de l’appareil pour 2022).

Après cette déconvenue, l’appareil a recentré ses actions sur des ajustements plus classiques. Parmi eux, la réduction de la taxe sur les transactions boursières destinée à encourager les patrons de PME et la classe moyenne à investir sur les marchés. Récemment, dans la foulée de la désignation de He Lifeng à la tête de la Commission Centrale des finances, une série de soutiens très directifs à l’économie et au système financier ont été mis en œuvre.

Selon une information de Bloomberg publiée le 23 janvier, l’exécutif aurait ordonné aux groupes publics de puiser dans leurs comptes « offshore » pour racheter des titres chinois à hauteur de 282 milliards de $. Le 24 janvier, les patrons étaient, sur un mode très dirigiste, mis sur la sellette par le pouvoir qui les menaçait – c’était une brutalité politique inédite de l’interventionnisme de l’État dans les finances - de désormais évaluer leurs qualités de PDG sur la base de la valeur de leurs titres en bourse. En filigrane, il s’agissait de les inciter à racheter leurs titres déprécies pour stabiliser la baisse des cours.

Le même jour, Li Yunze - 李云泽-, directeur de la toute nouvelle Administration nationale de régulation financière déclarait lors d’une conférence à Hong Kong, que le secteur financier chinois évalué à 64 000 Mds de $, s’efforcerait de s’ouvrir plus aux investissements étrangers.

Quelques heures plus tard, Pan Gongsheng, 潘功胜, 61 ans, gouverneur de la Banque populaire de Chine depuis le 1er juillet 2023, Docteur en économie de l’Université de Pékin et ancien chercheur associé à Harvard, annonçait une volte-face inattendue tournant le dos à la prudence des politiques financières de ces dernières années.

Le montant des liquidités obligatoires détenues en réserve par les banques était réduit pour dégager 141 Mds de $ injectables à long terme dans l’économie pour la relancer.

La crise est jugulée. La défiance persiste.

La simultanéité des mesures, leur rapidité et, pour certaines, leur brutalité à contrecourant des stratégies prudentielles, sont le signe de la fébrilité de l’appareil confronté à une inquiétante secousse boursière. Nombre d’analystes anticipent que d’autres mesures, tout aussi vigoureuses, viendront.

Pour l’instant, elles ont fonctionné. Le 25 janvier, les indices HSI (Han Seng Index de Hong Kong) et CSI-300 de Shanghai, en baisse régulière depuis mai 2021, étaient repartis à la hausse respectivement de +8,4% et +4%, tandis que, depuis le 17 janvier, les fonds négociés en bourse ont atteint 12,5 Milliards de $.

Alors que les valeurs affichées des Index étaient encore loin d’avoir rattrapé le pic de mai 2021, les commentaires des agences de courtage et des experts financiers sont restés prudents. Globalement leurs diagnostics s’accordaient pour anticiper que « la reprise des actions encouragée par l’intérêt porté aux investissements étrangers par l’Administration nationale de régulation financière, pourrait durer quelques trimestres. »

Mais la plupart ajoutaient que la fuite des investisseurs étrangers récemment observée traduisait une profonde défiance loin d’être résorbée.

Un retour sur les trois dernières années oblige en effet à constater non seulement la baisse constante des valeurs chinoises cumulées à 6000 Mds de $, soit 9,3% de la totalité du marché financier chinois, objet des récentes alertes de la presse internationale, mais également une insistante fuite de capitaux qui dure depuis six mois, ayant globalement résulté dans la vente cumulée de 30 Mds de $ de titres chinois.

Le diagnostic qui fait consensus, est que le pays est confronté à une tendance déflationniste provoquée par la baisse de la demande globale. Cette dernière porte le risque d’un cercle vicieux pouvant aggraver la chute des investissements étrangers déjà observée en 2023 [1] et le recul de la production, elle-même à l’origine de la baisse des revenus, aggravant mécaniquement la baisse de la demande.

Raymond Yeung, économiste à ANZ Research qui rejoint une opinion largement partagée estime que le plan de sauvetage du marché qu’il qualifie de « fragmentaire » me modifiera pas la faiblesse de la demande globale à l’origine de la crise. D’autant qu’elle se double d’une chute de la confiance. Rarement évoquée dans les analyses techniques, celle-ci touche à la fois le marché boursier intérieur et signale une chute de l’attractivité globale de la Chine [2].

Ainsi, la plupart des analystes estiment que des mesures plus vastes seront nécessaires pour éviter que l’économie s’enkyste durablement dans un cycle déflationniste. Raymond Yeung cite en exemple à suivre la puissante relance de 2015. Mais cette fois, compte-tenu du marasme du secteur des logements, le pouvoir ne pourra pas appuyer la reprise sur l’immobilier.

Au total, bien que les objectifs affichés de la croissance aient été atteints pour 2023, mais constatant la persistance des problèmes systémiques non résolus tels que le niveau élevé d’endettement des gouvernements locaux et les difficultés persistantes de l’immobilier, les prédictions qui reflètent les ratés de la confiance (Banque Mondiale, FMI) prédisent un ralentissement de la croissance en 2024 à 4,5 ou 4,6%.

Note(s) :

[1Selon les chiffres officiels publiés en décembre 2023 par le ministère du commerce, les investissements directs étrangers en Chine (IDE) - 1 040 milliards de yuans (environ 145,5 milliards de dollars)- ont diminué de 10% au cours des 11 premiers mois de 2023.

Après une légère hausse au premier trimestre 2023, les IDE ont constamment baissé à partir d’avril. Au troisième trimestre le montant des capitaux étrangers quittant le pays a globalement dépassé l’afflux de capitaux extérieurs, faisant que, pour la première fois depuis un quart de siècle, la balance des paiements est devenue négative.

Tous les analystes sont d’accord pour attribuer la tendance à la baisse des IDE aux défis de la reprise post-pandémie et à l’impact des tensions géopolitiques mondiales.

[2En juillet 2022, dans “The Diplomat” Joshua Kurlantzick spécialisé dans les recherches sur Asie du Sud-est au « Council on Foreign Relations (CFR), ancien chercheur associé à la « Fondation bipartisane pour la paix internationale - Carnegie Endowment for International Peace - », fondée en 1910 par l’industriel milliardaire philanthrope écossais naturalisé américain, Andrew Carnegie, avait décrit la baisse de l’attractivité de la Chine.

Alors que le « charisme positif » chinois durait depuis une vingtaine d’années le brouillage de l’image de la Chine s’est accéléré au cours des quatre dernières années, non seulement dans les démocraties occidentales et aux États-Unis, mais également au sein d’une partie des pays en développement.

L’analyse souligne notamment les effets indésirables de la stratégie internationale des « Loups guerriers » (lire : La Chine agressive et conquérante. Puissance, fragilités et contrefeux. Réflexion sur les risques de guerre) dont l’ambassadeur en France Lu Shaye, apparatchik au nationalisme agressif, fut un des tenants emblématiques, mais sanctionné par le Parti et relevé de son poste après son « dérapage » verbal qui, le 25 avril 2023 avait au cours d’une interview sur LCI nié la légitimité de plusieurs États post-soviétiques (voir : Lu Shaye nie la souveraineté de plusieurs États post-soviétiques).

Le déclin de l’attractivité de la Chine se lisait déjà dans les enquêtes d’opinions du Pew Research Center en 2021 de juin 2021.


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