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La relation entre la Chine et le Japon n’a jamais été complètement apaisée depuis la fin de la guerre et les analyses s’épuisent à en déchiffrer inlassablement les hauts et les bas, tout en répétant à quel point les peuples ne veulent pas la guerre, combien les deux économies sont complémentaires et irrémédiablement liées, tandis que chacun voit bien qu’une aggravation des crispations serait dommageable, non seulement pour les deux voisins, mais également pour toute l’Asie, peut-être pour le monde.
Le 19 janvier, « The Economist » faisait état de la montée des tensions, attisées par des flambées cocardières de part et d’autre, ponctuées par des accès de pessimisme guerrier. L’article commençait par une constatation alarmante : « La Chine et le Japon glissent vers la guerre ».
A l’appui de son inquiétude, l’auteur reprenait quelques emphases militaristes des journaux chinois, comme celles du China Daily qualifiant le Japon de « danger pour le monde », ou celle du Global Times : « un dérapage militaire est maintenant plus probable. Il faut nous préparer au pire ». Dans ce contexte, c’est un euphémisme de dire que Washington, qui vient de multiplier les démarches pour calmer le Japon, observe ces développements avec inquiétude. Mais le pire n’est jamais sûr.
Sérieux risques d’engrenage militaire.
De l’avis de tous, les crispations en cours dépassent en intensité celles des années passées notamment parce qu’elles se traduisent par des postures guerrières et des démonstrations de force, favorisées par le retour au pouvoir au Japon du très nationaliste Shinzo Abe, dont les prises de position militaristes patriotiques et cocardières, visant à tourner le dos à la constitution pacifiste de l’archipel, sont devenues un épouvantail pour la direction chinoise.
A cet égard, il n’est pas anodin de rappeler que les ascendances familiales du revenant conservateur Shinzo Abe véhiculent en Chine de très néfastes réminiscences historiques. L’homme qui fut déjà premier ministre de 2006 à 2007 est en effet le petit fils de Nobosuke Kishi, ministre de l’industrie et du commerce de l’Amiral Tojo. Une réalité qui sent le souffre dans toute l’Asie.
Les tensions, qui s’enracinent dans une longue liste de différends et d’incompréhensions culturelles et historiques (voir notre article Relations Chine-Japon. Les non-dits de l’irrationnel), ont pris prétexte de la querelle des Senkaku / Diaoyutai qui couve depuis plus de 40 ans.
Elles se sont brutalement envenimées en septembre, quand l’ancien Premier Ministre Noda décida de nationaliser les îlots pour éviter que le gouverneur de Tokyo Ishihara, de la mouvance très anti-chinoise, n’en fasse l’acquisition et y construise des infrastructures, ce que Pékin considèrerait comme un casus – belli.
Mais le nationalisme chinois s’y est trompé. Pour lui, l’initiative de Noda n’était pas un geste de bonne volonté destiné à prévenir un dérapage antichinois de la droite japonaise, mais une provocation de Tokyo, insupportable pour Pékin dans un contexte où les questions de souveraineté excitent la fibre nationaliste, parfois au-delà du raisonnable.
Depuis, les deux pays flirtent avec un accrochage militaire. Il y eut d’abord des incursions de patrouilleurs civils chinois dans les eaux japonaises, repoussés par des garde-côtes japonais à coup de lances à eau ; puis, en décembre, le survol de l’archipel par un appareil de patrouille maritime de l’APL et le décollage en riposte de chasseurs de combat japonais ; en janvier, des avions de combat chinois et japonais on évolué ensemble au-dessus de l’archipel, tandis que la presse de Tokyo expliquait que Shinzo Abe envisageait des tirs de semonce si les incidents de reproduisaient.
La répartie de Pékin vint d’un général de l’APL qui expliqua que les tirs de sommation japonais « signeraient le début des hostilités militaires. »
Rigidité diplomatique et appels au calme.
Washington, qui redoute par dessus tout d’avoir à prendre partie dans cette querelle qui pourrait l’entraîner dans un conflit avec la Chine, dont aucun homme politique américain sérieux ne voudrait, a dépêché à Tokyo des émissaires pour inciter les faucons à la mesure. Et Shinzo Abe vient d’être invité aux Etats-Unis.
Mais les postures arc-boutées persistent de part et d’autre, chacun cherchant à rallier des soutiens. La semaine dernière Shinzo Abe a fait le tour des capitales du sud-est asiatique qui craignent la montée en puissance de la Chine ; Pékin, de son côté, ne cède en rien et donne le sentiment que seule une rétrocession pure et simple des ilots pourrait la satisfaire, tandis que les approches d’apaisement de Tokyo sont systématiquement considérées comme « machiavéliques » par la presse chinoise.
Le 14 décembre, le Ministère des Affaires étrangères chinois annonçait qu’il avait porté la querelle devant les Nations Unies revendiquant un espace maritime au-delà des 200 nautiques qui s’étendrait ainsi jusqu’à la limite de son plateau continental, ce qui repousserait les eaux chinoises à seulement 130 nautiques d’Okinawa.
Ce que Tokyo considère comme une bravade inacceptable. L’appel à l’ONU fait suite au discours très peu conciliant du ministre des Affaires étrangères chinois, Yang Jiechi, le 27 septembre 2012, à l’Assemblée générale des NU, qui déclarait : « il n’est pas possible de nier le fait historique que le Japon a volé les îles Diaoyu à la Chine ».
Mais le pire n’est jamais sûr. Au Japon comme en Chine des intellectuels donnent de la voix pour remettre les choses en perspective et désamorcer la querelle. Yabuki Susumu, professeur émérite de l’université de Yokohama est l’un des analystes les plus écoutés et les plus éclairés de la montée en puissance de la Chine, dont il a maintes fois exposé les défis et les opportunités.
En Chine, ce sont des chercheurs comme le professeur Dong Wang, Directeur du Centre des Etudes stratégiques pour l’Asie du Nord-est de l’Université de Pékin qui tentent de s’exprimer sur un mode moins manichéen au milieu des surenchères nationalistes.
Sans ignorer les dangereux échauffements cocardiers, ni les malentendus et les rappels de la menace militaire chinoise ou la résurgence du « militarisme japonais », tous reconnaissent la forte interdépendance des économies - 23 000 entreprises japonaises en Chine qui emploient 10 millions de personnes ; 350 Mds de $ d’échanges annuels ; la Chine étant le 1er marché du Japon et ce dernier le 2e investisseur en Chine, juste derrière Hong Kong, avec un stock de 190 Mds de $ - le tout créant une coopération économique et commerciale qui oblige à tenir les effervescences nationalistes sous le boisseau.
Une des meilleures preuves que les trajectoires des deux pays restent malgré tout sur des chemins vertueux est que Tokyo et Pékin ont décidé, en dépit des tensions, de poursuivre les négociations pour une zone de libre échange Chine – japon – Corée du sud, dont la perspective est cruciale pour les trois économies.
Pour finir, les uns et les autres relativisent aussi les risques de conflit militaire dans une situation où, selon les derniers sondages, plus de 60% des Japonais et 71% des Chinois ont conscience qu’il est important d’apaiser la relation. Yabuki Susumu se dit convaincu que même Shinzo Abe cherchera à réduire les tensions. « Qu’il aime ou pas la Chine, il ne pourra pas vivre sans le « made in china », et sans le marché chinois ». Il rappelle que Pékin avait été sa toute première destination après son accession au poste de Premier ministre en 2006.
A Pékin, Dong Wang et d’autres, après avoir dénoncé la rigidité japonaise, ainsi que la nostalgie d’empire de Shinzo Abe et d’une partie de la classe politique, « qui ne reconnaît même pas que la souveraineté sur les Senkaku puisse faire l’objet d’une querelle », conseillent à la Chine de revenir aux stratégies de modestie et de mesure prônées par Deng Xiaoping.
Peut-être est-ce déjà le retour à plus de sérénité, chacun ayant compris le risque de dérapage. Le 17 janvier la Chine a indiqué par la voix du porte parole des Affaires étrangères, qu’elle attachait une grande importance à sa relation avec le Japon et qu’elle voulait résoudre la controverse par le dialogue. Quant à Shinzo Abe, il a rappelé que la Chine était un partenaire essentiel pour le retour du Japon à la croissance.
Mais à Pékin comme à Tokyo, les intellectuels ne sous estiment pas les dangers du nationalisme qui, pour l’heure, reste l’une des épines dorsales de la relation, avec la richesse des coopérations économiques et commerciales et la compétition pour le magistère en Asie. C’est d’ailleurs en invoquant les excès du nationalisme et l’incapacité des gouvernements à le tenir en laisse que Dong Wang explique l’échec de la remarquable politique d’apaisement entreprise en 2008 par Hu Jintao et Yasuo Fukuda, le premier ministre japonais de l’époque. (Lire notre article Chine - Japon. Un remarquable exercice de tolérance diplomatique).
Enfin ce que Dong Wang n’évoque pas, en dépit de sa volonté de rester objectif, c’est bien la crainte chinoise que le Japon s’émancipe des États-Unis, qu’il échappe au complexe de repentance pacifiste, en faisant valoir que l’heure des excuses est passée, et réclame un siège de membre permanent au Conseil de sécurité.
Lire aussi : Le triangle Chine – Japon – Etats-Unis entre raison et émotion. Quelle sortie de crise ?.
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Par La rédaction Le 24/01/2013 à 23h51
Chine – Japon. Dérive guerrière, volonté d’apaisement et dangers nationalistes.
Merci de votre appréciation. La passe d’armes entre Hillary Clinton et le MAE chinois est mentionnée dans la dernière brève, page 5. Mais je crois qu’il est – pardonnez moi – un peu excessif de dire que Hillary Clinton « a clairement pris position en faveur du Japon ». En réalité elle a rappelé que Washington ne prenait pas partie dans les querelles de souveraineté.
C’est aussi la position officielle américaine en Mer de Chine du sud, même s’il est vrai que l’engagement militaire (manœuvres conjointes avec les Philippines et le Vietnam) suggère le contraire. Il est vrai que ce positionnement anti-chinois est facilité par l’extravagance des revendications de Pékin dans cette zone.
S’agissant de l’archipel de Diaoyu / Senkaku, les arguments de Pékin et de Tokyo sont, à notre avis, sujets à contestation. Pékin s’appuie sur une disposition du droit de la mer qui permet d’étendre la zone économique exclusive au-delà des 200 nautiques, jusqu’aux limites du plateau continental, mais qui ne peut être appliquée en cas de litige. Et Tokyo prend prétexte du fait que le Japon occupe et administre les îles sans discontinuer depuis 1895. Ce qui manque de pertinence.
Enfin, il serait prudent de ne pas considérer que les Etats-Unis se placent systématiquement du côté du Japon. Récemment, ils ont, au contraire, exercé une pression constante pour que Tokyo se calme et accepte de négocier. Aucun homme politique américain sérieux ne voudrait se laisser entraîner par Tokyo dans un conflit avec la Chine. Quand à Pékin, sa relation avec le Japon reste marquée par l’ambiguïté et la crainte que Tokyo ne s’émancipe de son statut d’état vaincu et repentant, qu’il s’éloigne des Etats-Unis qui le contrôlent et cherche à s’affirmer politiquement par lui-même dans la sphère asiatique comme un concurrent de la Chine pour le magistère en Asie.
Autant dire que l’un et l’autre ont encore un gros travail à faire sur eux-mêmes pour apaiser leur relation et coopérer sans arrière-pensée. Une évolution qui serait sans aucun doute dans leur intérêt, puisqu’un Japon désinhibé pourrait réclamer la fermeture des bases américaines, ce qui serait dans l’intérêt objectif de la Chine. La question est de savoir si au fond c’est bien ce que veut la direction politique du régime à Pékin.
Par HanKuang Le 27/01/2013 à 06h09
Chine – Japon. Dérive guerrière, volonté d’apaisement et dangers nationalistes.
Une remarque quant l’épisode que, vous, et la presse en général, ont répété ad nauseam, selon lequel, des intercepteurs de la région continentale se seraient dirigés vers les Diaoyu, en réaction à « 2 F-15 japonais ayant pris en chasse un appareil [de la région continentale] en mission de reconnaissance au-dessus de l’archipel ». Reuters, ainsi que l’AFP, ont rapporté une autre version : un avion de patrouille maritime Y-8X à la hauteur de champs pétrolifères au large du Zhejiang serré de près par deux intercepteurs nippons, ce qui a contraint la région continentale à y envoyer, à son tour, deux J-10.
Quant à la dernière « flatulence » de Mme Clinton, vous avez bien posé, certes sans entrer dans les détails d’un dossier particulièrement complexe, la position difficile des États-Unis à cet égard, obligés de ménager, d’une part, leur protégé régional, le Japon, et, de l’autre, la région continentale de la Chine (中国大陆地区), dont ils voudraient, malgré tout, en faire un partenaire mondial.
Enfin, votre tour d’horizon gagnerait à traiter, non point du rôle de la region taiwanaise de la Chine (中国台湾地区) dans ce litige envers le Japon, mais de la coopération de facto entre les « deux régions d’une seule Chine » (“一中两区”, dixit Ma Yingjiu, le président du Parti Nationaliste Chinois) face à celui-ci.
Par Anonyme Le 23/01/2013 à 21h59
Chine – Japon. Dérive guerrière, volonté d’apaisement et dangers nationalistes.
Très bon article de fond sur les tensions Chine-Japon.
Suggestion : vous pourriez le mettre à jour en mentionnant les dernières déclarations d’Hillary Clinton prenant clairement position en faveur du Japon dans les conflits des îles Senkaku, qui ont évidemment irrité Pékin.