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›› Editorial

Chine, Russie, Etats-Unis : Une ambiance de guerre froide

La puissance navale américaine et sa rivale continentale chinoise.

La carte simplifiée montre en pointillés bleus le tracé de la « ligne en 9 traits » chinoise, en jaune les pays riverains en conflit pour la souveraineté à propos des Paracel et des Spratly, en rouge la zone des manœuvres militaires communes entre Manille et Washington, à laquelle il faut depuis 2010 ajouter celle plus au nord-ouest entre les marines américaine et vietnamienne au large des côtes du Vietnam.

En mer de Chine du Sud, pareille à une alchimie qui aurait tourné à l’aigre, où Washington qui a déjà rallié Tokyo, Manille et Hanoi, tente aussi de battre le rappel de Jakarta et New-Delhi, se décante lentement sous nos yeux la substance des rivalités entre l’Amérique, première puissance maritime mondiale attachée à la liberté des mers et sa rivale continentale chinoise qui, par ses grignotages insulaires, tente de prolonger son emprise souveraine jusqu’à des distances très éloignées de ses côtes.

Enjeux : Ressources ; affirmation de puissance en Asie.

Défi à l’Amérique.

Les enjeux sont d’abord ceux des ressources ; ils sont aussi historiques et nationalistes, réminiscences de la vieille histoire impériale chinoise également revendiquée par le Kuomintang ; ils sont enfin symboliques du défi lancé par la Chine à la puissance des États-Unis et à leur présence militaire dans sa zone d’intérêt direct, qui plus est dans l’espace fermé et très encombré dédié à ses sous-marins nucléaires stratégiques basés à Hainan, épine dorsale de sa capacité de seconde frappe et de sa dissuasion face à l’Amérique.

La querelle s’est récemment cristallisée autour de 7 séries d’îlots et récifs. Tous ont déjà fait ou font depuis plus d’un an l’objet de remblaiements accélérés par le génie naval chinois. Il s’agit de Woody Island 永兴岛, Yongxing Dao à 235 nautiques à l’est du Vietnam, dans l’archipel des Paracel ; Mischief 美济礁 Meiji jiao à 120 nautiques de Palawan – à l’intérieur de la ZEE des Philippines, auxquels s’ajoutent 5 groupes d’îlots des Spratly dont le point moyen est situé à 260 nautiques à l’ouest Palawan. Il s’agit de Fiery Cross – 永暑岛-Yongshu dao ; Cuarteron 华阳岛Huayang dao ; Johnson south 赤瓜岛, Chigua Dao ; Subi Reef 渚碧礁 Zhubi jiao ; Gaven Nanxun jiao 南薰礁 et Xinan Jiao 西南礁.

Selon les renseignements des satellites américains, les travaux auraient augmenté la surface des îles de plus de 800 hectares, créant ainsi, selon Pékin des eaux territoriales et des zones économiques exclusives plus vastes. Sur ces emprises, la Chine dispose ou disposera bientôt de 3 pistes d’aviation (Woody Island, Fiery Cross, Subi reef) pouvant accueillir des chasseurs de combat, des radars embarqués et des avions de patrouille maritime.

Le grignotage des espaces,

étape vers le contrôle total de la mer de Chine du sud.

La « ligne en 9 traits » qui transforme la mer de Chine du sud en mer intérieure chinoise passe à proximité des côtes vietnamiennes, malaisiennes et philippines, sans tenir compte de la Zone Économique Exclusive de ces pays.

La controverse n’est pas seulement limitée à la modification de la géographie des îlots en réalité autorisée par la convention de Montego Bay, dès lors que les aménagements n’empiètent pas sur les droits des voisins. D’autres pays, y compris Taïwan sur l’île d’Itu Aba, les Philippines et le Vietnam avaient déjà entrepris des travaux sur les îlots et récifs qu’ils revendiquent. Cependant leur ampleur et leur vitesse étaient bien moins considérables que la vaste opération éclair entreprise par Pékin depuis un an.

En réalité les tensions renvoient d’abord aux craintes des États-Unis et des riverains d’un grignotage de l’espace maritime international, résultat de la création artificielle par la Chine d’eaux territoriales et de ZEE à partir de structures qui, à l’origine et pour certains récifs, ne présentaient pas les conditions légales définies par le droit de la mer pour constituer un territoire. L’Article 60 de la convention sur le droit de la mer stipule en effet que : « Les îles, aménagements ou structures artificielles ne possèdent pas le statut d’île. Ils ne peuvent générer des eaux territoriales propres et leur existence ne modifie pas les limites de la Zone Économique Exclusive ou du plateau continental ».

Par dessus tout, plane l’angoisse d’une prise de contrôle complète de la mer de Chine du sud par Pékin. A Manille, l’effervescence est d’autant plus grande que la « ligne en 9 traits » qui définit les limites maritimes revendiquées par la Chine passe à peine à moins de 40 nautiques des côtes de Palawan sans aucune considération pour la ZEE des Philippines. Mais si Manille est aujourd’hui la capitale qui dénonce le plus les empiètements chinois, les autres n’en sont pas moins inquiets ou agacés. Les frontières que la Chine tente d’imposer unilatéralement passe en effet à 50 et 24 nautiques des côtes du Vietnam et malaisiennes.

L’armée indonésienne change de ton.

Même Jakarta qui n’a pas de conflit territorial avec Pékin et s’appliquait jusqu’à présent à désamorcer les tensions durant les réunions de l’ASEAN, est en train de changer de ton, en dépit du fait que son commerce avec Pékin représente plus de 28% de ses échanges extérieurs.

Le 19 avril dernier, le général Moeldoko, commandant les armées indonésiennes exprimait ses inquiétudes dans une interview à Deutsche Welle : « La situation de calme et de stabilité qui existait il y a dix ans dans la région s’est modifiée de manière significative. Chacun a le sentiment que la Chine est une menace pour ses voisins ».

Mais le contentieux entre Jakarta et Pékin couve depuis 2010. Cette année, l’Indonésie avait adressé une note diplomatique à l’ONU à laquelle la Chine n’avait pas répondu, pour exprimer son étonnement que la ligne en 9 traits chinoise traverse la ZEE indonésienne à proximité du gisement de gaz des Natuna. Depuis, les craintes de Jakarta n’ont pas disparu, au contraire.

Résultat : à la mi-avril, la marine indonésienne a conduit un exercice de surveillance maritime avec son homologue américaine au large des Natuna. En même temps elle envisage d’augmenter sa coopération navale avec le Japon.

Le choix difficile de la Maison Blanche.

Attisées par les revendications de Pékin sur la totalité de la mer de Chine du sud, les craintes de Manille font pression sur la Maison Blanche pour que l’US Navy fasse reculer Pékin. En signe de défi, le Pentagone a laissé filtrer sa proposition d’effectuer des incursions dans les eaux territoriales litigieuses. Mais la Chine a aussitôt réagi en mettant en garde Washington contre « la violation de son espace national. ». A l’évidence l’exécutif américain hésite.

A ce jour plusieurs aéronefs et navires de combat, dont l’USS Fort Worth, gros navire de surveillance de 3500 tonnes armé de canons, missiles et torpilles, avec à son bord des vedettes rapides, des chalands de débarquement, 2 hélicoptères de transport MH-60 et un hélicoptère armé sans pilote MQ-8, se sont approchés de la limite des 12 nautiques, mais ont renoncé à la franchir. A au moins une occasion, un aéronef américain a été contacté par un contrôleur de l’APL qui lui intimait l’ordre de dégager l’espace aérien chinois.

Le week-end du 16 mai John Kerry était à Pékin qui est resté inflexible. Et rien n’indique que, dans un avenir proche, la Chine ralentira ses travaux dans les Spratly. Le renoncement est d’autant moins probable que le nationalisme du Parti agité en adjuvant de la cohésion nationale ne peut se dédire. Les grands principes maritimes de Washington télescopent sous nos yeux le nationalisme de la puissance continentale chinoise hostile à la présence militaire américaine à ses portes.

Plus encore, la détermination inflexible que Wang Yi, le MAE chinois, vient d’exprimer à son homologue ne procède pas d’une lubie erratique, mais d’une réflexion du long terme précisément destinée à placer la Maison Blanche devant le choix d’avoir soit à céder aux pressions chinoises et d’affaiblir son influence dans la région, soit à prendre le risque d’un accrochage militaire avec la Chine.

*

Ainsi, en dépit de l’extrême interpénétration des économies chinoise et américaine qui dessine une image très éloignée de l’ancienne guerre froide (1), malgré les points de convergence stratégique soulignés par Wang Yi lui-même, notamment à propos de la Corée du Nord et du Pakistan, de l’Afghanistan et des zones tribales dont la sécurité est directement liée à celle du Xinjiang (2) , la somme des irrationnels qui s’accumulent en mer de Chine du sud cristallise un risque important d’escalade militaire.

La perspective de dérapage irrationnel avait été soulignée par David Lampton, président de Asia Foundation et sinologue respecté par la Direction Politique chinoise, lors d’un séminaire organisé début mai avec l’Académie des Sciences Sociales de Shanghai.

Après avoir conseillé à Pékin de ne pas mettre la question de la mer de Chine au cœur de ses intérêts stratégiques vitaux, il a suggéré à Washington d’envisager de partager la puissance avec Pékin dans le cadre d’une coopération équilibrée, en considérant que l’interdépendance globale rendait difficile la recherche systématique de la suprématie.

Notes

(1) 555 Mds de $ d’échanges commerciaux en 2014 - soit plus de 5 fois le volume des échanges de la Chine avec l’Inde ou avec la Russie - et 1260 Mds de $ de bonds du trésor américains détenus par Pékin - créant une étroite interdépendance dont ni Pékin ni Washington pourrait s’extraire sans dommages. A ces réalités s’ajoute la quête des technologies par les entreprises chinoises indispensables à leur modernisation.

(2) La Chine prend très au sérieux le désengagement américain d’Afghanistan où, par la force des choses, d’observateur critique elle devient acteur. Pragmatique, elle ne néglige aucune expérience, y compris celle des Américains qu’elle n’a pourtant cessé de critiquer depuis 2008, à mesure que la coalition de l’ISAF rencontrait des difficultés face à l’insurrection afghane. Dans un article du Wall Street Journal du 9 février, Jeremy Page révélait qu’en décembre 2014 une rencontre discrète avait eu lieu à Londres entre des représentants afghans, chinois et américains.

Lire aussi :

- Mer de Chine. La tentation de la force
- Vacuité diplomatique et crispations militaires dans le Pacifique occidental
- Nouvelles tensions en mer de Chine du Sud


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