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Chine – Taïwan dialogue politique. Dialogue de sourds sur un terrain miné

Négociations politique et dialogue de sourds. La Chine presse Taïwan.

Les échanges qui avaient tout l’aspect d’un dialogue de sourds se sont déroulés en marge du huitième forum économique et culturel entre le KMT et le Parti Communiste Chinois, organisé le week-end du 28 juillet à Harbin. C’est Jia Qinglin qui a ouvert le feu en précisant la lecture bien connue que le Parti faisait du concept « d’une seule Chine », prenant soin, sans surprise, de nier l’approche taïwanaise, mais avec une précision qui tranchait avec l’habituelle prudence du Bureau des Affaires taïwanaises du Parti : « le Continent et Taïwan appartiennent au même pays ; il ne peut donc pas y avoir une relation d’Etat à Etat entre les deux rives ».

La charge a continué avec Yu Keli, directeur des affaires taïwanaises à l’Académie des Sciences Sociales qui prévenait que la Chine aurait des difficultés à accepter longtemps la politique des « Trois Non » de Ma Ying Jeou (non à l’indépendance, non à la réunification, non à l’usage de la force), inaugurée en 2008. Pour faire bonne mesure, ses collègues ajoutaient que la confiance dans la relation reposerait désormais sur la capacité du KMT et du Président Ma à préciser les contours de leur « politique d’une seule Chine ».

Pour sa part, Zhou Zhihuai, secrétaire général de l’Association Nationale pour les études taïwanaises, allait encore plus loin. Après avoir insisté sur l’importance du dialogue politique pour l’établissement de la paix dans le Détroit, il accusait le KMT de le différer pour des raisons électorales, rejetant même brutalement la nécessité d’un choix démocratique, révélant une conception très dirigiste et univoque de « la version correcte de l’histoire » : « si tout dépendait d’un vote public, il ne serait jamais possible de redresser les erreurs de l’histoire ».

Enfin, Li Yihu, Directeur de l’Institut des Etudes taïwanaises de l’Université de Pékin, accusait Taipei d’avoir toujours refusé de venir à la table des négociations et pressait lui aussi le KMT de réfléchir en interne à la contradiction existant entre, d’une part sa quête d’espace diplomatique et ses aspirations à une défense indépendante, et d’autre part, son acceptation de la politique d’une seule Chine.

Taïwan freine et rappelle l’exigence de démocratie.

A ces mises en demeure, qui lèvent quelques ambiguïtés, mais ne sont cependant pas une surprise, contrairement à ce que semble dire la presse taïwanaise, les chercheurs de l’Ile ont répondu en répétant les conditions posées par Taipei pour l’ouverture d’un dialogue politique qui sont l’exigence de souveraineté de Taïwan et la démocratisation de la Chine, d’autant plus inacceptables par Pékin que la première contredit sa vision des relations dans le Détroit et que la deuxième menace la pérennité du Parti.

Zhao Chun-shan, professeur à l’Institut des études chinoises de l’Université de Tamkang, répondant au déni de démocratie de Zhou Zhihuai et faisant allusion aux récents tumultes sociaux en Chine, présentait une réflexion sur l’illusion que les pouvoirs politiques, qu’ils soient chinois ou taïwanais, puissent commander indéfiniment à la société. Il concluait sa présentation en insistant sur le fait que seul le partage de valeurs politiques communes permettrait d’institutionnaliser la paix dans le Détroit.

Enfin, Qing Hui-zhu, conseiller municipal à Taipei invitait la partie chinoise à méditer le poids de l’opinion publique à Taïwan, qui, lors de la récente campagne présidentielle s’était immédiatement rebiffée contre Ma Ying Jeou, aussitôt qu’il avait évoqué l’éventualité d’un dialogue politique avec Pékin. Il ajoutait que ce dernier ne serait possible que si les deux rives du Détroit devenaient des « Nations démocratiques » et pouvaient négocier sur le même pied, précisant, non sans ironie, que Taïwan serait prêt à « attendre patiemment que la Chine trouve le chemin de la démocratie ».

Les pièges du « consensus de 1992 »

Tant que le concept politique d’une seule Chine, articulé autour du consensus de 1992 restait dans l’ambiguïté, il pouvait constituer un facteur d’apaisement, surtout après les crispations des huit années de la présidence Chen Shui-Bian, où l’idéal politique de l’indépendance de l’Ile était sans cesse agité sous les yeux du Parti Communiste Chinois.

Facilité par le « consensus », le soulagement apporté par l’élection de Ma Ying Jeou, non seulement à Pékin et Washington, mais également dans l’Ile, où la population attachée au statuquo craint les tumultes avec Pékin, a permis, à partir de 2008, les progrès les plus spectaculaires jamais enregistrés dans le Détroit entre la Chine et Taïwan (lire notre article « La difficile équation de Ma Ying Jeou »).

Malgré quelques controverses à Taïwan, sur l’accélération du processus et les accusations par l’opposition d’une mise à l’écart du Yuan législatif, les progrès enregistrés ont globalement satisfait l’opinion publique inquiète des crispations avec Pékin et les hommes d’affaires de l’Ile, qui tirent profit de la signature de l’Accord Cadre et du renforcement des mécanismes de coopération économique entre les deux rives.

Mais la déclaration de Jia constitue un durcissement de l’attitude du Parti par rapport aux déclarations d’il y a seulement 4 mois de Wang Yi, Directeur du Bureau des Affaires taïwanaises à Pékin. En février, ce dernier prenait en effet encore soin de préserver l’ambiguïté en écrivant dans un article publié par son administration : « l’essence du consensus de 1992 consiste à adhérer à la plateforme commune d’une seule Chine, tout en mettant de côté les différends politiques. » [1]

La levée du voile des équivoques sur les politiques d’une seule Chine, fort différentes de part et d’autre du Détroit, qui semble correspondre à une impatience nouvelle de Pékin, fait apparaître le « consensus de 1992 » comme un terrain dangereusement miné de chaque côté du Détroit.

Voilà en effet le régime chinois placé par Taïwan en face d’un de ses plus dangereux talons d’Achille. Alors même qu’il est de plus en plus sur la sellette de contestations internes, en Chine et à Hong Kong, son incapacité à progresser vers un système politique plus ouvert pourrait conduire à un affaiblissement de sa légitimité, dans un contexte général où une partie de la classe moyenne montante urbanisée, base politique traditionnelle du régime, exprime de nouvelles attentes sociales et politiques.

A Taipei, l’insistance de la Chine pour ouvrir le dialogue politique créé un dangereux porte à faux pour le KMT. Celui-ci s’est clairement manifesté lorsque, durant la dernière campagne présidentielle, les sondages d’opinion ont immédiatement réagi négativement à l’annonce, pourtant prudente, le 12 mai par Ma Ying Jeou, d’une possible ouverture d’un dialogue politique avec la Chine s’il était réélu.

Après les embellies de 2008 et la signature de l’Accord Cadre, accepté par la majorité des acteurs de part et d’autres du Détroit, la volonté de la Chine d’accélérer les échanges politiques, dont tout le monde voit bien qu’ils constituent pour Pékin un jalon vers la réunification, heurte de plein fouet l’illusion du statu quo derrière laquelle se réfugient le KMT et une bonne partie de l’opinion taïwanaise.

Dans ce contexte le parti indépendantiste a, sans surprise, dénoncé l’absence de réaction officielle de l’équipe de Ma Ying Jeou et de son Parti à la mise au point de Jia Qinglin à Harbin. Le 30 juillet, Madame Chen Ting-fei, députée indépendantiste de Tainan, habituellement très critique du rapprochement avec la Chine et des relations entre le KMT et le PCC, jugeait que le ton du Président de la CPCPC avait une connotation « impérialiste », accusant Wu Po-hsiung, Président honoraire du KMT, présent au forum de Harbin, de n’avoir pas réagi. Elle ajoutait que le « futur de l’Ile devait être déterminé par les 23 millions de Taïwanais et non par Ma Ying Jeou, ou le KMT ».

Note(s) :

[1Ce n’est pas la première fois que le Parti Communiste chinois accélère le processus de rapprochement. Initialement, l’agenda que Hu Jintao avait dévoilé dans plusieurs discours ne prévoyait une signature de l’Accord Cadre qu’après 2012. Lire aussi « Chine-Taiwan. Le poids de l’histoire, des non-dits et des ingérences extérieures ».


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Par Hankuang Le 3/08/2012 à 00h20

Chine – Taïwan dialogue politique. Dialogue de sourds sur un terrain miné.

Il ne s’agit pas de « dialogue de sourds ». C’est plutôt vous qui le présentez ainsi, rien que dans l’intitulé « Chine-Taiwan » de cet article. Toutes proportions gardées, c’est comme si un Chinois va commenter les relations entre la Corse, ou la Réunion, avec la France au lieu de leurs rapports avec la Métropole ! Un autre exemple : à la fin de votre article, vous citez Lai Shin-yuan en lui attribuant le propos suivant : Taiwan est un « État souverain » alors qu’il s’agit d’une province chinoise contrôlée par un État, dont le nom officiel est la « République de Chine » !

Par La Rédaction Le 3/08/2012 à 08h12

Chine – Taïwan dialogue politique. Dialogue de sourds sur un terrain miné.

Question Chine ne prend pas parti. Le site se contente de décrire une situation et d’en analyser les causes et, si possible, les conséquences probables. Le titre de l’analyse ne fait que reprendre la manière la plus répandue d’évoquer la question, incompréhensible autrement. Tandis que la comparaison avec la Corse, souvent évoquée à Taïwan ou à Pékin, ne vaut pas.

S’il est vrai que la Corse est, à l’occasion, agitée par des mouvements indépendantistes, cette mouvance n’a jamais triomphé dans les scrutins démocratiques, comme ce fut, en revanche, le cas, à 2 reprises, à Taïwan. Il n’existe pas non plus dans l’Ile de Beauté, à Ajaccio, un parti à l’idéologie politique radicalement différente, qui se présenterait comme le dépositaire de la légitimité historique française, contre le gouvernement à Paris. Plus encore, la Corse n’est pas sous la pression de 1200 missiles balistiques pointés sur elle par l’armée française qui placerait l’organisation d’un référendum ou une déclaration d’indépendance de l’Ile sous la menace de représailles militaires.

Enfin, le commentaire souligne la différence d’appréciation entre Lai et Jia Qinglin, n°5 du Régime chinois, qui, en effet, est la matérialisation exacte d’un « dialogue de sourds », où - à tout le moins, lors du forum de Harbin, sujet et point de départ de l’analyse -, aucune des deux parties n’a accepté d’entendre les arguments de l’autre. Dans ce contexte, qui ne réunit pas les conditions d’un vrai dialogue sur le fond des choses, qui touche aux questions de souveraineté, les partisans du rapprochement pacifique de part et d’autre Détroit ont encore du pain sur la planche. Le plus préoccupant est que les chercheurs, dont on attend en général des solutions innovantes et apaisantes, se soient cette fois alignés sur le discours nationaliste pur et dur.

Par Taiwanisindependent Le 8/08/2012 à 13h36

Chine – Taïwan dialogue politique. Dialogue de sourds sur un terrain miné.

Je suis fatigué de devoir répéter des centaines de fois sur internet à des gens qui n’ont jamais mis les pieds a Taiwan que le nom « Republic of China » n’a absolument rien a avoir avec la Chine ( « People’s Republic of China »). Ce nom était une erreur politique. Hankuang mon pays Taiwan n’est pas sous l’autorité Chinoise et ne pas comparable a la relation France-Corse. Mais plutôt a la relation Grande-Bretagne-Usa. Nous Taiwanals avons fait le choix de la démocratie et liberté de pensée. Si vous ne comprenez pas ça alors allez voir de vous même. Les Taiwanais sont différents, plus généreux & polis etc... ils ont gardé la manières que la Chine a perdu pendant la révolution culturelle. Nous avons un gouvernement, des élections démocratiques une monnaie, une langue... je suis Taiwanais pas Chinois.

Par Anonyme Le 9/08/2012 à 11h55

Chine – Taïwan dialogue politique. Dialogue de sourds sur un terrain miné.

Cher Hankuang, quelle bonne idée de comparer Taiwan avec la Corse.
Votre connaissance historique ne vous aura pas fait rater ce point essentiel, qui est que la Corse a offert un grand chef d’État à la France après la révolution, et que c’est lui qui a unifié et codifié les règles de la grande terre et de l’île.
Je vois donc dans votre comparaison l’attente prochaine d’un président taiwanais au sommet de Zhongnanhai pour qu’il s’inscrive en beauté dans les acquis de la révolution maoïste.
Je salue l’ambition de votre propos.

Cordialement
EB

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